« Des allumettes au fond des yeux » : le final de Colette Kartier

Le final de Colette Kartier, c’est samedi 1er décembre à partir de 15h avec les concerts de Prince Ringard et de Sycomore dès 20h30, en attendant des allumettes au fond des yeux... Retour sur une expérience collective.

Il est parfois impossible de ne pas se laisser tenter par l’expérience, car nos imaginaires sont peuplés de rêves, de batailles, d’amitiés et de légendes. Il y a 5 ans, il était évident que nous ne pouvions pas abandonner ce bar, ce lieu plein de vie et d’histoires loufoques, ce point névralgique d’un quartier distancé du reste du monde par un pont.

Ce quartier, certains y sont nés, d’autres y habitent ou simplement le traversent. Mais tous s’y rencontrent. Nous nous sommes attachés à ce lieu comme de simples curieux de son existence, qui décennie après décennie balayait autant de mégots que de concerts, autant de rencontres que de ruptures. Une brèche s’était ouverte et ne devait plus jamais se refermer, et ce malgré les assauts répétées d’une ville qui avale les espaces vides pour régurgiter des complexes immobiliers.

D’une poignée d’individus, à la centaine qui se sont joints pour générer l’énergie nécessaire, le mot d’ordre était clair : Colette is not Dead. Nous avons mis en commun nos désirs, nos rêves et notre détermination pour que ce lieu ne reste pas seulement ouvert à la vie d’un quartier, mais devienne le tremplin de nos volontés et de nos révoltes. Des multiplicités de visions différentes, maintenues ensemble par une même idée d’un lieu pour habiter le monde. Nous entendions par là, nous réapproprier nos existences et en développer de nouvelles qui ne se limiteraient pas à une vision répressive ou capitaliste du monde. Ce fut pour nous un moyen concret de générer une vie sous de nouvelles formes, celles d’un collectif.

Ce fut une aventure frictionnée dans la chaleur qui s’est dévoilée sous de nombreux aspects, d’une générosité bouleversante à une violence caractérisée. On a tous participé à son élaboration, ses amis comme ses détracteurs, de près ou de loin. Ce lieu est devenu un espace politique du fait même de son organisation quotidienne, dans les rapports que l’on entretenait ensemble en évitant de rejeter ce qui nous était différent, en faisant taire les préjugés faciles et idiots, en créant un espace libre aux repaires volontairement flous face aux aléas des circonstances. Dans une ambiance souvent conviviale, nos festivités ont parfois donné lieu à des comportements certes excessifs et étranges, mais dans lesquelles nombreux sont ceux qui ont trouvé une place qu’ils ne pouvaient avoir nulle part ailleurs.

Tout l’enjeu consistait pour nous à vouloir étendre tout cela, au delà des murs qu’il nous était impossible d’agrandir, pour que se propage et se partage ce souffle de vie dans les rues, sous autant de formes que possible, jusqu’à se créer d’autres imaginaires. Car ce qui nous rassemblait, que ce soit par nos expériences de vie et de luttes passées, c’était ce besoin d’avoir un lieu, ou plutôt un réseau de lieux, pour concentrer nos énergies et nos forces... Et les faire déborder vers l’extérieur. En pratique, nous avons essuyé quelques revers, car la difficulté de se mettre en jeu dans un univers avec lequel on est souvent en rupture, demande un courage qui parfois nous a manqué.

Toute la difficulté de notre exigence consistait à vouloir, à une si petite échelle, assembler et faire coexister autant de caractères, de sensibilité et de choix d’existences. Un des nombreux défis d’une vie communautaire, où les actes et les pensées sont discutées chaque jour avec force et intensité, consiste à trouver les moyens de faire évoluer les situations. Nous nous sommes construits à travers ces ballottages affectifs, émotionnels et politiques. Car si nous passions des heures chaque semaine à se retrouver autour d’une table, nous en passions bien plus encore à élaborer et créer de nouveaux échanges.

On aimerait ne garder en mémoire que les moments les plus grandioses de cette folie unique qui s’est emparée si souvent de ce lieu, jusqu’aux transes collectives presque impalpables pour celui ou celle qui ne veut ni voir, ni ressentir. Mais en contrepartie de ces extases entrelacées d’abondance, nous nous sommes aussi écorchés, blessés contre des rouages et des mécanismes tant internes, qu’externes. L’ivresse ne se suffit pas toujours à elle même, elle s’encombre parfois d’une redescente, qui même lancinante peut se finir par une chute. Nous avons sans doute perdu notre souffle, ou peut être s’est-il simplement couper sous le poids d’une autonomie que nous développions au fil du temps, mais pour sûr… ce souffle reviendra.

Un dernier point, une certitude même : ce qui se fige, finit inévitablement par se briser. Ce sont d’autres modes de vie que nous voulions créer, pas perdre les nôtres… Il y a dans le mouvement même de la chute, une libération, un accès qui se dégage pour de nouvelles expériences. L’échec serait pour nous, de préserver à tout prix un passé sans se donner les moyens de lui construire un avenir. Alors dans de telles circonstances, la décision de transmettre ce lieu était inévitable. De fait, en quittant cet espace, nous cherchons à le préserver, en lui laissant la possibilité de prendre une autre forme, pour un autre cycle.

Cela ne détruit pas l’étincelle qu’il a fait naître dans nos yeux… L’embrasement commençant à peine...

P.-S.

Café comptoir Colette’s, 57 Quai Paul Bert à Tours.