Deliveroo débarque à Tours, et ce n’est pas une bonne nouvelle

L’entreprise spécialisée dans la livraison à vélo de plats cuisinés va s’installer en Indre-et-Loire. Son fonctionnement étant basé sur l’exploitation des livreurs, il n’y a pas de quoi se réjouir.

Dans les grandes villes où Deliveroo est déjà implantée, il n’est pas rare de croiser des groupes de cyclistes habillés aux couleurs de la boîte, les yeux rivés sur leurs smartphones. Ils se regroupent à des points stratégiques dans l’attente d’une commande qui les enverra chercher des plats préparés dans un restaurant, puis les livrer au domicile d’un client. Leur arrivée à Tours est annoncée pour le mois de mars 2017, et des « offres d’emploi » de coursier Deliveroo fleurissent sur les plateformes comme Jobijoba ou Direct-Emploi. Une première réunion d’information a d’ailleurs déjà eu lieu.

Contrairement au modèle traditionnel de livraison organisé par des pizzerias ou des restaurants de sushis, dont les livreurs sont salariés, le modèle Deliveroo fait appel à des travailleurs « indépendants », qui sont généralement auto-entrepreneurs. Les coursiers ne signent pas un contrat de travail, mais un contrat de prestation de services. Ce modèle, popularisé en France par l’entreprise Uber, est de plus en plus vivement critiqué. L’autoentrepreneuriat est devenu un outil utilisé par ces boîtes « pour faire bosser les gens sans gérer l’emploi, sans embaucher, sans payer de cotisations », comme l’explique la sociologue Sarah Abdelnour.

Capture d’écran du site Deliveroo

Deliveroo, qui prétend mener une « révolution de la livraison », insiste sur les avantages offerts par la flexibilité de son modèle, qui garantirait l’indépendance de sa flotte de bikers. Elle s’étend moins sur l’absence de congés payés, de cotisations chômage, de couverture en cas d’accident, et même de salaire minimum.

Des revenus fluctuants, et qui évoluent à la baisse

Dans un premier temps, les livreurs Deliveroo pouvaient espérer gagner un minimum de 7,50 euros par heure, auquel s’ajoutait le montant des « courses » réalisées pendant cette heure. Désormais, les minimums garantis ne concernent que certains créneaux horaires, et la course est payée autour de 5 euros brut. Compter donc deux courses par heure pour atteindre un salaire brut de 10 euros, sur lequel le livreur devra payer les cotisations et charges diverses liées à son statut d’auto-entrepreneur [1]. Le montant des bonus, versés en cas d’intempéries ou pour garantir une rémunération motivante certains soirs, peut varier sur décision unilatérale de Deliveroo. A une époque, Deliveroo promettait aux coursiers de « gagner jusqu’à 20€ de l’heure (sans compter les pourboires) ». Pour le recrutement de livreurs à Tours, l’entreprise annonce désormais « jusqu’à 150€ par week-end », sans préciser le nombre d’heures travaillées.

Des tenues inadaptées, aux couleurs de la marque

Lorsqu’ils travaillent, les livreurs sont obligés de porter des vêtements aux couleurs de Deliveroo, mis à disposition par l’entreprise. Cette contrainte déplait à de nombreux coursiers, qui ne sont pas payés pour faire de la publicité, mais uniquement pour fournir une prestation de livraison. Pourtant, en cas de non-respect de cette obligation, les coursiers peuvent subir une retenue de 10 euros sur la somme qui leur sera versée en fin de mois. Tant pis pour l’« indépendance » supposée de ces travailleurs, forcés d’utiliser un matériel que certains d’entre eux jugent inadaptés. Sur son blog, un coursier témoigne :

Quant aux t-shirts, qui sont paradoxalement mieux taillés que les maillots, ils s’imbibent de la transpiration. (...) Ça fait mal au cœur quand on a dans son armoire du bon matos pour vélo, qu’on ne peut mettre sous peine d’être « sanctionné ». En effet Deliveroo a mis en place tout un système de flicage et de délation pour traquer les bikers qui ne portent pas la tenue et/ou le sac.

Pas d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail

En raison de la relation établie entre Deliveroo et ses coursiers, les coûts liés à l’acquisition et à l’entretien du vélo sont à la charge du livreur, sachant que le prix d’une chambre à air est équivalent au prix payé pour une course. En cas d’accident, c’est la responsabilité du livreur qui est engagée, pas celle de l’entreprise. Et si le livreur se blesse — ce qui est fréquent dans ce métier —, il ne s’agira pas d’un accident de travail. Le livreur ne pourra donc pas prétendre au versement d’indemnités journalières s’il est arrêté, à moins de cotiser au RSI depuis au moins un an. Pareil s’il est malade et ne peut pas venir bosser : pas d’indemnités journalières, donc pas de revenus en cas d’arrêt de travail. Et si une blessure ou une maladie empêche le livreur de bosser, Deliveroo peut décider de cesser de faire appel à lui, comme raconté ici. L’« aventure » dans une start-up « dynamique » est donc plutôt risquée.

La solidarité s’organise

L’une de ces dynamiques entreprises a d’ailleurs fait faillite en juillet 2016. Take Eat Easy, qui avait fait l’objet d’une enquête publiée sur le site IAATA, faisait partie des leaders de ce marché de la livraison de repas à domicile assurée par des coursiers « indépendants ». Comme l’expliquait un article publié dans la revue Frustration :

« Des milliers de coursiers à vélo qui travaillaient exclusivement pour Take Eat Easy, portaient son uniforme, obéissaient à ses conditions et ses tarifs, ont été dans un simple e-mail remerciés pour leur collaboration. Presque un mois ne leur avait pas été payé et leur statut leur interdisait les indemnités de licenciement et les plans sociaux auxquels des salariés massivement licenciés ont droit. Une véritable utopie pour les patrons et les actionnaires, un enfer pour des travailleurs qui pour la plupart comptaient sur ce travail pour payer leurs loyers, éduquer leurs enfants, vivre tout simplement. »

Depuis, de nombreux « collaborateurs » de Take Eat Easy luttent pour faire requalifier leurs contrats de prestation de service en contrats de travail. A Lyon, un collectif s’est constitué pour organiser la solidarité entre les coursiers. Dans un tract du collectif, on pouvait lire :

« Les plateformes nous niquent depuis trop longtemps ! Nous n’avons aucun droit au chômage, aucun droit à la retraite, aucune prime de risque, aucun accompagnement en cas de blessure ! Et elles nous imposent leurs rémunérations, elles contrôlent nos horaires, elles ne payent aucune charge patronale ! Il est plus que temps de nous fédérer et de trouver des moyens de nous asseoir à la table des négociations ! »

Les futurs coursiers tourangeaux feraient bien de s’inspirer de cette démarche collective, pour ne pas rester isolés face à Deliveroo. Un appel national à se déconnecter des plateformes type Deliveroo, Foodora, etc. circule déjà pour le 15 mars.