Le maire ouvre la séance, et donne la parole à Emmanuel Denis (opposition, EELV) pour qu’il pose une question préalable. C’est une question des parents de l’école George Sand concernant l’utilisation d’un gymnase… Le problème serait lié à un accord conclu entre la mairie et l’établissement (privé) Notre-Dame-de-la-Riche, qui squatterait trop le gymnase au goût des parents de l’école (publique).
C’est Dateu, adjoint aux Sports, qui répond. La répartition des créneaux d’utilisation des gymnases serait assurée par l’Education Nationale, en fonction des demandes des profs d’EPS ; la Ville et le service des Sports n’interviennent pas. Le maire demande si le débat est clos, Emmanuel Denis semble dire que non, et hop le maire s’énerve, lève les yeux et les bras au ciel, et menace de « mettre l’autorité du maire dans la balance ». Il en a marre de répondre à ces questions, d’autant que le sujet lui semble assez accessoire.
Et on passe au sujet principal, intitulé comme suit dans l’ordre du jour : Transformation de la communauté urbaine Tour(s)plus en métropole « Tours métropole Val de Loire ». Le maire évoque le texte de la délibération, qui reprend les arguments qui ont amené à faire la demande de passage en métropole. Problème : cette délibération n’est pas disponible pour les habitant-es. Pour la transparence, ça commence bien.
La loi permettant à Tour(s)plus de devenir métropole a été promulguée le 28 février. Après le vote des collectivités concernées, le « brave ministre » Baylet viendra à Tours le 22 mars « avec dans sa sacoche le décret de transformation signé par le premier ministre ». Le conseil communautaire a déjà rendu un avis positif (trois votes contre seulement), les conseils municipaux des différentes communes de l’agglo se réunissent ces jours-ci.
Le maire évoque le rapport métropolitain, un document mettant en avant « les atouts de notre territoire ». Ce rapport « expose les politiques fortes et structurantes concernant la culture et le sport, les politiques de mobilité, celles du développement économique et du tourisme, et du développement durable, etc., c’est-à-dire tous les sujets d’importance qui vont être traités en mutualisant nos moyens ». Le rapport présente également « les perspectives d’action que le statut de métropole permettra de mettre en œuvre plus aisément », et le maire cite les politiques sportives et les patinoires, le CHRU (sans évoquer les centaines de suppressions de postes qui s’annoncent), le CCCOD inauguré en grande pompe la veille, etc.
D’après le maire, « le passage en métropole permettra de développer les politiques environnementales et liées au développement durable, notamment concernant une unité de valorisation des ordures ménagères, l’autosuffisance alimentaire, la valorisation des circuits courts (…), la valorisation des productions de biogaz pour les mobilités, etc. ». Babary évoque la deuxième ligne du tramway « et au-delà », le développement de l’aéroport (pour aller dans le sens du développement durable, certainement), et les mobilités douces. Ça devient un véritable catalogue : le maire cite les « clusters » d’activité, le « lieu totem » Mame, les hôtels Hilton, le développement touristique. Il assure que la métropole sera un élément de dynamisation du territoire de l’ensemble de la Touraine :
« Il n’y a pas de territoires dynamiques s’il n’y a pas de métropole dynamique, on le sait par comparaison avec d’autres territoires, parfois voisins, où les villes centres tombent en désuétude ».
Faudra trouver un moyen d’évaluer l’impact positif de la métropolisation pour les habitants de Richelieu ou Château-Renault…
Le maire a l’enthousiasme d’un adolescent qui va entrer au lycée :
« On va rentrer dans un club qui n’est plus celui des villes moyennes françaises, les 50, 60, 70 villes, mais celui des 22 métropoles, et on va côtoyer de rudes gaillards et gaillardes. Voyez le rayonnement, le dynamisme, l’efficacité de Lyon, de Bordeaux, de Nantes, de Rennes ! »
Le maire invite ensuite les élu-es à s’exprimer sur « ce beau projet ».
Christophe Bouchet, adjoint en charge du rayonnement et de l’attractivité, déclare qu’il s’agit d’une étape importante pour le « dynamisme » de la ville. Il décide de parler en termes sportifs, et qualifie carrément « d’adversaires » les autres villes de la même catégorie. Une parfaite illustration de la rivalité organisée entre les villes dont parle Jean-Pierre Garnier dans son texte sur la métropolisation.
Bouchet explique ensuite que Tours va devoir devenir une capitale, mais, apparemment, il n’a pas d’idée claire à proposer : « On a des moyens d’exister pour être une capitale (…), et il est impératif d’avoir une vraie communication autour de nous pour dire que Tours est une capitale. Encore il faut bien trouver quelle est cette capitale, bien la définir sans faire peur à la population ». Les boîtes de communication se frottent déjà les mains. Puis il enfile les clichés : « la douceur, les jardins, la Loire, les châteaux, etc. »
Thibaut Coulon a des couples à marier, et a donc souhaité intervenir tôt dans la discussion. Le passage en métropole, « c’est un cap important qui nous engage à regarder vers l’avenir et qui concrétise une vision que nous avons construite ». Parler pour ne rien dire et faire des phrases dans lesquelles les mots sont interchangeables demande une grande maîtrise, n’essayez pas de reproduire ça chez vous.
L’élu explique que « les populations » s’interrogent sur ce que la métropole va changer à leur quotidien : « Quel est le plus que ça va amener ? ». Ben, d’après le maire, il y aura des actions menées sur les patinoires, c’est quand même essentiel. Coulon plaide ensuite pour la vidéodiffusion des conseils d’agglomération/métropole, comme c’est le cas avec le conseil municipal de Tours, histoire que les débats puissent être suivis largement, et que « les populations » n’aient pas trop le sentiment d’un éloignement des structures de décision. C’est une bonne idée, mais on en profite pour réclamer une mise en ligne des cahiers des délibérations. Sinon, ce n’est que moyennement intéressant.
Coulon explique ensuite : « Nous voulons être la métropole des grandes transformations ». Il nous apprend qu’il y aura une « fête de la métropole » le 22 mars (pour la venue du ministre, donc), qui se déroulera à Mame, et « ce n’est pas un hasard », parce que l’agglo s’est engagée à fond dans la transformation numérique #FrenchTech #LoireValleyTech #Tedxtours. Il parle ensuite de Tours « métropole des grands équipements », « métropole des compétences et de l’emploi », etc.
Emmanuel Denis annonce qu’il votera pour la transformation en métropole, mais sans partager totalement le bonheur absolu de Bouchet et Coulon. Il propose d’envoyer un courrier aux habitants de l’agglo pour leur expliquer les enjeux du passage en métropole. Il explique que la métropole sera un moyen de lutter contre la montée des inégalités, et estime que cet aspect-là est plus intéressant que l’idée de compétition entre les villes. La concrétisation des projets métropolitains de « transformation » pourrait créer des milliers d’emplois. Ainsi, d’après Denis, si les 300 000 habitant-es de la métropole se mettaient à manger local, cela créerait 6 000 emplois d’agriculteurs non-délocalisables. Il s’inquiète ensuite de la progression du Front National, qui propose de supprimer les métropoles, et insiste sur la nécessité d’expliquer les enjeux à la population.
David Chollet (EELV) évoque le « pacte fondateur » de la communauté d’agglomération et pointe du doigt les évolutions positives (le plan agricole) et les constantes négatives (le soutien continu à l’aéroport de Tours) qui apparaissent avec le projet métropolitain. Il ironise ensuite sur les discours qui présentent l’autoroute A10 comme un « liant urbain », et qui voudraient en faire « un lieu d’urbanisation », un potentiel « support de services pour peu que le territoire sache activer les acteurs et les ressources latentes » . Du jargon d’urbaniste qui fait ricaner Chollet, qui rappelle que l’A10 est une source majeure de pollution de l’air. A propos du passage en métropole, il rappelle qu’il était favorable au passage en communauté urbaine (« C’est notre niveau finalement, comme Le Mans, comme Angers »), mais explique qu’il s’inquiète de la possibilité d’associer la population aux grands choix structurants à mesure que les compétences sont transférées à des niveaux supérieurs.
Pierre Texier (PCF) déclare : « Nous revoilà donc sur cette question de l’avenir de notre territoire, pour emprunter un langage à la mode qui cache un mode de gestion et un projet politique ». Il note ensuite un florilège de mots tirés des interventions de Coulon et Bouchet : « compétition », « développement », « challenge », « enthousiasme », « stratégie de territoire », « ambition », « attractivité »… De quoi construire une belle grille de bullshit bingo [1]. Texier poursuit :
« Derrière ce vocabulaire se cache un mode de gestion autoritaire qui éloigne encore plus les citoyens des lieux de décision ».
Plus loin, il signale que l’un des arguments répétés en boucle en faveur du passage en métropole était le versement d’une somme de 8 millions d’euros par an par l’État. En fait, lors de la présentation du débat d’orientations budgétaires à Tour(s)plus, les élus ont appris que cette somme s’élèverait plutôt à 6,5 millions d’euros, tandis que la dotation de l’État baissera dans le même temps de 6,8 millions d’euros. Réaction de Texier : « Les habitants qui ont entendu cet argument, dans une situation où les difficultés financières sont pointées par la plupart, ont été trompés ». Et c’est vrai que ça fait penser à l’argument des partis britanniques qui promettaient que la sortie de l’UE permettrait de réinjecter des dizaines de millions d’euros dans le système de santé, avant de se rétracter dès le lendemain de la victoire du Brexit. Texier termine en déclarant que les élus communistes ne peuvent approuver cette délibération, « qui va à l’encontre de ce que souhaite une majorité de nos concitoyens ».
La parole est donnée à Nicolas Gautreau (PS, groupe Tours2020). « C’est bien sûr de façon positive que nous allons aborder le vote de cette délibération ». Il a une pensée « très forte » pour Jean Germain, qui avait œuvré pour la construction d’une intercommunalité. Il se lance dans une longue tirade sur l’histoire de l’intercommunalité, évoquant une dizaine de fois l’ancien maire. Puis il explique :
« Il faut faire métropole, il faut penser métropole, que notre ADN soit métropole ».
La métropole : plus qu’un régime de gouvernance territoriale, un art de vivre. Gautreau parle ensuite de mieux associer la population aux politiques menées, et dans un même souffle évoque la nécessité de lancer « très vite » la deuxième ligne de tramway.
Pierre Commandeur (groupe Tours2020) se félicite de l’énergie « transpartisane » investie dans ce projet de passage en métropole, puis insiste sur la nécessité d’impliquer les habitants et sur les améliorations nécessaires en termes de démocratie et de participation. Il évoque la manière dont la commune de Saint-Cyr-sur-Loire a communiqué sur les compétences de la métropole auprès des habitants dans le magazine municipal. L’occasion de découvrir que le dernier numéro de cette publication municipale compte pas moins de seize photos du député-maire Philippe Briand, dont une sur laquelle il pose en compagnie d’un chat. Un beau candidat pour le concours « Ma binette partout » du Canard Enchaîné.
Commandeur demande ensuite à Babary d’intervenir afin que les réunions du conseil communautaire soient diffusées sur internet, soulignant qu’un dispositif d’enregistrement existe déjà. Hâte de pouvoir faire des GIF de Philippe Briand.
Monique Maupuy (PS, groupe Tours2020) rend également hommage à Jean Germain, puis explique qu’elle souhaite « que nous ne soyons pas la 22ème métropole et que nous montions dans les étages pour arriver au début ». Encore cette idée de compétition…
Le maire donne la parole à Gilles Godefroy (FN), qui déclare que « c’est la fin du département, étranglé entre la Région et la Métropole ». Il rappelle que le Front National a toujours été opposé à la métropole, parce que ce projet éloigne les citoyens des centres de décision. Il termine en ironisant sur le fait qu’Emmanuel Denis ait pris le temps de lire le programme du FN. Notez que le tract distribué par Godefroy sur les marchés de la ville, qui est entièrement à la gloire de « Marine » (Marine avec ses sœurs, Marine avec ses enfants, Marine sur un bateau, etc.) ne contient aucun élément de programme.
Gauthier Martiny (majorité) prend la parole. On sait pas qui c’est, mais d’après le site de la mairie il est « délégué auprès de Madame Céline BALLESTEROS pour suivre les dossiers et les questions se rapportant aux foires et marchés ». Il déclare qu’il n’a « pas bien compris les personnes qui sont réfractaires ou qui sont en opposition » au passage en métropole :
« C’est pas aujourd’hui qu’il faut se plaindre, aujourd’hui ma vision c’est qu’il faut voir plus loin que le bout de notre nez, aujourd’hui il faut qu’on aille de l’avant, aujourd’hui il faut avoir de l’ambition. »
Bon, si le type arrive pas à comprendre les arguments avancés par l’opposition, on peut rien faire pour lui, faudrait tout reprendre au début. Il poursuit : « Oui, demain Tours sera une ville qu’on va nous envier dans toute la France ». Ah ok, en fait il se drogue, ça explique ses problèmes de compréhension.
Delaunay, Auconie, Dateu, Schalk-Petitot, etc. prennent également la parole pour dire que tout est pour le mieux, et que la métropole deviendra un pays ruisselant de lait et de miel. Il est bien sûr question de « talents », de « ressources », etc. C’est un jour « formidable », « historique », « un jour de fête »…
Le maire salue le « cheminement historique » réalisé, « l’union politique intelligente » qui a été faite à cette occasion pour « un projet d’intérêt général qui les dépasse ». Il lit ensuite le texte de la délibération présentée au conseil municipal, qui consiste à donner un accord pour la transformation de la communauté urbaine dénommée Tour(s)plus en métropole dénommée Tours Métropole Val de Loire dans les conditions définies aux articles L5217-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales, à approuver le rapport stratégique métropolitain, et à autoriser le maire ou le premier adjoint à signer tous actes afférents à l’exécution de la délibération.
C’est mis aux voix. Les élus PCF et FN votent contre. David Chollet s’abstient. Tous les autres élus votent pour, avant de s’applaudir. Le maire annonce qu’un verre de l’amitié les attend à la sortie : « C’est bien le moins que nous puissions faire, de trinquer à ce beau projet ». Effectivement, boire du champagne loin des yeux des habitant-es en s’auto-congratulant semble être une belle manière d’inaugurer le processus métropolitain.