A Tours, cette année 2006, tout commence à partir du 26 janvier [1], dix jours après l’annonce de la loi pour l’égalité des chances par Dominique de Villepin. Ce jour-là, une soixantaine d’étudiants sont réunis amphi Richet aux Tanneurs. On y retrouve Sud Étudiant mais aussi l’UNEF. Il est décidé d’organiser une manifestation locale très rapidement. Du coup, on commence à mobiliser dans les milieux militants, des réunions s’organisent, on fait jouer les réseaux et les syndicats sont aux premières loges. Le 7 février, manifestation unitaire, ce sont plus de 1 000 manifestants à Tours qui défilent contre la loi pour l’égalité des chances et son article 8 : le Contrat Première Embauche [2].
Après le 49/3 du 8 février, le mouvement se lance à Tours !
Mercredi 8 février. Dominique de Villepin engage la responsabilité du gouvernement sur l’ensemble du texte de loi, utilisant l’article 49-3 de la Constitution, empêchant de la sorte la fin des débats parlementaires.
Jeudi 9 février. Dans la journée, ce sont 150 étudiants de l’I.U.T. de Tours nord, en majorité issus des Carrières sociales, qui sortent bloquer la circulation. Une Assemblée Générale est prévue le soir même.
Nous sommes au tout début de la mobilisation. Durant les quinze jours qui suivent : tractages, débrayages en amphi, ça s’organise entre étudiants. Le 18 février, une coordination nationale est prévue : les syndicats joueront les relais. Du coup, on manifeste dans les lieux publics : FNAC, galeries Lafayette (imaginez 50 clampins, allongés sur le sol, qui ne bougent pas, pendant que d’autres diff... un poil théâtral, je l’accorde, mais efficace sur le coup !)... on sensibilise un peu partout : sorties de lycées, facs, dans la rue... Tout est bon pour faire grossir la mobilisation ! Puis, du 11 au 27 février, nous sommes en vacances, alors autant en profiter !
Mardi 14 février. Manifestation. Nous sommes environ 500 à marcher dans les rues. Il fait froid. Tout se passe dans le calme.
Jeudi 16 février. Comme le temps n’est pas au beau fixe et qu’on est à peine 150 motivés, on part occuper la Direction Départementale du Travail à Tours. On fait beaucoup de bruit. Comme on peut s’en douter, nous sommes rapidement évacués par les flics. Trois copains passeront quelques heures au poste pour un contrôle d’identité.
Mardi 28 février. Après avoir essayé de mobiliser de manière consensuelle, on décide de bloquer les Tanneurs [3]. Faut que ça bouge. Et comme on a eu un peu de temps pour s’organiser...
Nous sommes une grosse centaine à se retrouver à 5/6h du matin. On chope tout ce qu’on trouve, les tables, les chaises, on sort tout, on barricade tout, on utilise des chaînes pour bloquer les poignets de portes, on bouche les escaliers qui mènent au parking avec des poubelles et des palettes... Il faut que tous les accès, et bordel il y en a, soient non seulement bloqués mais in-déblocables dans l’immédiat.
On utilisera, plus tard, le site Anatole France pour transvaser tout le mobilier : bientôt il n’y restera pas un tabouret. Plus tard, ce seront les mobiliers des sites Fromont et Béranger qui seront ré-utilisés, à la fois pour le blocage de ces deux sites, mais aussi pour les Tanneurs. On finira même par utiliser des cadis (préalablement chourés chez Carrefour) !
Mercredi 1er mars. Le blocage est maintenu pour une semaine à 284 voix pour et 76 contre. Nos effectifs commencent déjà à grimper : le blocage a du bon !
Jeudi 2 mars. L’I.U.T est lui-aussi bloqué dès le matin, et occupé de nuit. Une cinquantaine de copains resteront y dormir. Guitare, bières et chansons. Tout se passe dans une chouette ambiance. D’ailleurs, je ne connais pas meilleur environnement pour faire une belote !
Vendredi 3 mars. A 5h, deux camtars, avec 80 CRS, rappliquent à l’I.U.T. et sortent tout le monde du lit. Des copines se prennent des coups de pieds dans le bide pour se réveiller : l’une d’entre elle sera plus amochée et devra être conduite au CHRU par les pompiers. Point de ralliement : les Tanneurs. Arrivés là-bas : c’est la désolation, les keufs évacuent une nouvelle fois ; un copain finira, lui-aussi, aux Urgences. Les flics ont bousillé, volontairement, tout ce que nous avions à l’intérieur... Pour info, Tours a été la première université en France, sur la demande de son président M. Lussault, à avoir été évacuée par les flics au cours de cette année 2006. Nous l’en remercierons comme il se doit plus tard.
On décide alors de taper un grand coup : on part en manif sauvage, et après avoir fait croire aux flics qu’on allait bloquer la gare, on file au MEDEF. Hervé et Jean-Louis, nos fouille-merde de la BIVP [4], sont dépassés. Fallait les voir courir tout à fait paniqués ! On vire le personnel sur place et on en profite pour faire toutes les photocopies possibles. On veut dénoncer notre expulsion ! On trouvera même du champagne pour fêter ça ! Dans le coup, on décide d’occuper les lieux. Des affiches sont collées, des slogans sont tagués... On rigole bien - une petite heure. Quand les flics annoncent qu’ils vont intervenir, nous sommes un certain nombre à décider de rester dedans.
On monte dans les étages, le plus haut possible. Nous sommes quoi, 150 à tout berzingue. On s’accroche les uns aux autres. Les flics montent dans les étages.
Ils se positionneront à deux ou trois à chaque palier des escaliers. Et là, c’est la Curie ! On est arrachés aux copains à coup de tatanes, balancés dans les escaliers, coups de poing, coups de matraque, à chaque étape, on nous tire les cheveux, nous sommes un certain nombre à avoir passé au moins un étage sans presque toucher le sol. A la sortie, y’a un gros con qui gaze tout ce qui sort. Il est pris à parti et des coups sont rendus. Conséquence : encore un peu de gaz pour nous disperser. La violence est gratuite et démontre une grande nervosité des pandores. A la fin, nous sommes près de 300 devant le MEDEF à lever les bras dans un corps-à-corps avec les flics. Tout autour, beaucoup de personnes sont choquées. Bilan : 3 blessés graves dont un coma léger, et une bonne quinzaine de blessures plus superficielles (dont une arcade ouverte, une foulure...). Nous apprendrons plus tard que le MEDEF porte plainte pour les dégradations [5]. Dans la foulée, on retourne aux Tanneurs et on dégonde Thélème pour l’AG du soir et les prochaines : tout est à nous !
La nounou dira que l’opération s’est déroulée "sans ménagement" (doux euphémisme) et ira même jusqu’à moquer notre demande aux journalistes présents de faire leur taf en montrant bien la violence de l’intervention [6].
Lundi 6 mars. Première occupation du siège de l’UMP. On part à 150 ou 200 copains, on défile normalement, on passe devant la gare qui, ce coup-là, a baissé ses grilles, on continue vers Grammont, et on se met tous à courir. Opération UMP. D’abord, on sort les chaises etc. et on reste sur place jusqu’à ce que les flics rappliquent. Là on retourne, tranquilles, aux Tanneurs.
Mardi 7 mars. Ce sont 6 000 personnes qui défilent sous la pluie à Tours. Dans le coup, on change l’itinéraire : direction le comico, histoire de rappeler que les violences du 2 mars ne sont pas oubliés. Cela deviendra, par ailleurs, un passage obligé des prochaines manifs planplans contre le CPE. Rien que pour les voir à trente/quarante devant les portes se prendre des œufs [7].
Mercredi 8 mars. Quelques copains sont mandatés par l’AG de Tours pour aller soutenir l’occupation de la Sorbonne à Paris [8]. A Tours, l’AG qui compte 700 personnes environ maintient le blocus. Première apparition des contre-blocus dans les débats.
Vendredi 10 mars. Après une manif sauvage, nous sommes 300 à courir à la gare : nous passons les grilles qui descendaient et nous bloquons les voies de la gare. Une bonne heure. La garde mobile, détachée à Tours, est envoyée. Gaz et coups pleuvent. Deux nouveaux blessés pour l’hosto. Le soir, l’AG est nombreuse : cette fois les anti-blocus sont venus en force : 453 votes contre. Seulement, le blocage a aussi ses avantages : 801 pour. Le blocus est reconduit, les positions commencent à se radicaliser de part et d’autre.
Lundi 13 mars. C’est à l’I.U.T. que ça pète : baston entre bloqueurs et anti-bloqueurs. Les copains reçoivent des œufs et des tomates. Des coups sont rendus. Faut dire que la nuit précédente nous étions venus souder une partie des portes, pour une réussite mitigée. La tension finit par s’apaiser et si le blocage est plus ou moins annulé, les copains ne subiront pas de contre-coup pour leur mobilisation. Lussault est obligé d’organiser un CA exceptionnel et l’Université se positionne contre le CPE.
Mardi 14 mars. Un referendum est organisé par la Présidence pour faire stopper le blocage. La fausse bonne idée est de donner la parole à la "majorité silencieuse". Et comme à cette époque Internet n’est pas à l’ordre du jour, il faut se déplacer jusqu’aux facs. Les 2Lions [9] se frottent les mains, aux Tanneurs, les urnes sont volées et le vote, annulé.
Mercredi 15 mars. Comme la machine fonctionne de mieux en mieux, on a besoin de ronds pour tout faire tourner correctement (bouffe, matos...). Première mise en place d’un péage gratuit à Chambray. Des copains nous déposent et repartent avec leurs caisses, faudrait pas que les plaques soient notées. Nous sommes entre 50 et 80. On reste un peu plus d’une heure. Une jolie somme est récoltée [10] et les flics ne sont intervenus que très tardivement. On repart en cortège et on finit par investir un bus pour rentrer.
Jeudi 16 mars. Journée d’action nationale. 5 000 manifestants dans les rues à Tours. La presse bourgeoise commence à penser que ça s’essouffle. Mal lui en a pris ! Les lycéens s’y mettent : des blocus sont organisés à Paul Louis Courier [11], Arsonval [12], Descartes, Nadaud [13]... Entre 6 et 8 lycées seront bloqués !
Vendredi 17 mars. Allez, on y va franco ! Comme ça a bien marché avant-hier : re-opération péage gratuit. Cette fois, on se divise en deux : du côté de Monnaie et du côté de Joué. Là encore les automobilistes sont généreux et notre cagnotte augmente considérablement. Nous étions une centaine de part et d’autre. Après le coup, on part differ à Jean-Jo, nous ne sommes plus qu’une cinquantaine. On se retrouve tous vers 17h pour une AG aux Tanneurs où nous sommes pas loin de 1300.
Le Blocage est reconduit jusqu’au 20 mars avec les 2/3 des voix. C’est la dernière AG où les journaleux pourront prendre des photos ou filmer.
Samedi 18 mars. Nouvelle manifestation nationale. 7 000 manifestants dans les rues. La ville est paralysée : on choisit de diviser le cortèges en plusieurs tronçons d’une centaine de copains. Du coup, on peut bloquer plusieurs endroits en même temps. La CPAM, au Champ-Girault, est investie. Le soir, on fait un feu de camp du côté d’Anatole France. Palettes, pneus, tout y passe.
Un copain qui taguait nos revendications est interpellé par 6 ou 7 baqueux : on rapplique fissa. Cela déplaît aux tortues ninja qui nous chargent méchamment. Retour à l’envoyeur : bouteilles, boulons et pavés sont lancés. Dans la cohue, le copain est libéré mais ça gaze à tout va, et trois autres copains sont arrêtés lors des charges successives. On se replie vers la fac sous les coups de flash-ball. Une fois revigorés, on repart, vers Jean-Jo cette fois. A peine arrivés, nous sommes 250 à peu près, 70 policiers nous attendent. Re-charge, re-lacrymo, et re-défense active. On repart groupés : pas d’autres arrestations.
Dans la nuit du 18 au 19 mars. Le 19, une Coordination Nationale des Étudiants en lutte est prévue à Dijon. Quatre copains ont été mandatés pour s’y rendre. Ils prennent la route le samedi. Alors que la nuit est tombée, c’est le drame : à une sortie d’autoroute la voiture s’envole. Tous sont blessés. Dont un très grièvement. A Tours, c’est la stupeur. Cet accident aura des répercutions sur chacun d’entre nous. Cela s’ajoute à la fatigue et à la colère. De toute la France, les copains nous font parvenir des messages de sympathie. Il ne faut pas arrêter le combat : nous avons déjà trop donné de nous-mêmes.
Lundi 20 mars. A 9h, un copain est interpellé sur son lieu de travail pour les événements de samedi. On l’accuse de s’être rebellé ! Plus tard, d’autres copains seront arrêtés en ville, dans des actions de blocage, dont l’un pour avoir "tenté" de cadenasser la préfecture (comme quoi, ça peut avoir de l’imagination, un condé). Nous sommes 300 à nous presser devant le commissariat vers 17h. On vient réclamer la sortie de tout le monde. La Nounou titre : « les jeunes anti-cpe affrontent la police devant le commissariat ». Nous avons tous, à ce moment-là, avalé assez de gaz et de balles en caoutchouc pour l’hiver prochain. L’AG est annulée et le blocage reconduit, de fait.
Mardi 21 mars. 500 manifestants partent en manif, les agences d’Intérim du centre-ville sont attaquées : le mobilier, les ordinateurs, tout ce qui est sortable est déplacé dans la rue. Des copains jouant le symbolique tracent à la farine ou à la bombe des zones de précarité autour. Plus tard dans la journée on bloquera le pont Wilson, c’est toujours ça. Faudrait pas les habituer à moins. Dans tous les cas, les lycéens commencent à nous rejoindre quotidiennement, et çà, c’est chouette !
Mercredi 22 mars. Cela se passe mal avec la Direction qui cherche à débloquer coûte que coûte. Depuis hier nous avons même une société de vigile qui cherche à s’implanter... Du coup, on investit la présidence entre 9h et 10h. Lussault, Blonssart, son adjoint, et Barrère, son homme-à-tout-faire (et surtout de la merde), seront maintenus dans leurs bureaux toute la journée. Des pizzas seront commandées - sur le compte de la fac ! Une bonne dizaine, au moins ! L’épouse de notre président viendra même en catastrophe en milieu d’aprem voir si nous n’avons pas abîmé notre géographe local. A 17h, tout le monde sort : nous avons obtenu pas mal de garanties (boursiers, accessibilité de certains lieux etc.). Dès lors, on pourra organiser des films-débats ou des commissions où on veut et quand on veut. Le rapport de force est en notre faveur.
Jeudi 23 mars. Nouvelle journée d’action nationale. 3 000 manifestants dans les rues ; et vas-y qu’à la fin on part en cortège sauvage, on est quoi, 300, et on retourne sur la gare ! Les grilles sont cassées et les rails du chemin de fer occupés ! Trois heures (record national, d’après la nounou) à chanter et à bloquer ! Les cognes rappliquent et on repart en manif. 70 trains seront soit retardés soit abandonnés.
Plus tôt, pendant la grande manif, nous étions passés aux ASSEDICS [14], histoire de délocaliser leurs affaires sur le trottoir : pour ce que ça leur sert…
Vendredi 24 mars. Pour préparer la manif du 28 mars, on se répartit en plusieurs groupes, objectif : differ chez les pros. Michelin, SKF, Carouf... Plus de 2 000 tracts par entreprise ! Un groupe s’occupe du centre-ville. Là dessus, faut remercier LO et Solidaire : on n’ a pas toujours un MEDEF ou un local UMP à occuper pour faire nos photocopies de tracts.
Samedi 25 mars. Les copains cherchent à s’inviter au punch donné par les Studios, nouvelle version. Faut dire que le ministre de la Culture est là ! Les flics les refoulent. Et un peu de lacrymo n’a jamais fait de mal ! Il y avait, quoi, 50 copains ? Pas un ne verra la couleur d’un petit four !
Lundi 27 mars. Histoire de diversifier et de justifier le salaire de nos amis de la BIVP, c’est un sit-in à la Chambre du Commerce et de l’Industrie qui est organisé. Nous étions 200 à virer dehors tout ce qui était possible et à chanter assis dans la cour. C’était bucolique. Plus tard on dérangera SOFINCO et même une banque ! Le soir le blocus est maintenu dans une AG qui comptait environ 1500 personnes. On y voyait des gens de médecine venir tenir compagnie à l’UNI [15] et au MRDC37 [16]. Du coup, rien que pour les emmerder, on vote la fin du capitalisme comme nouvelle revendication du mouvement !
Dans la nuit, la fac des 2Lions est occupée. Nous sommes un peu plus de 200 en permanence sur place. Beaucoup de son. Le siège de l’UNI est dépouillé (ils porteront plainte) par quelques copains. Plus tard, et après discussions, l’AG décidera de porter une responsabilité collective sur ce saccage. On laisse pas tomber les potes ! Le lendemain, un huissier intervient pour constater l’entrave à la liberté. Les anti-bloqueurs iront jusqu’à casser vitres et portes pour nous accuser. La nounou relaie - sans recul et sans vérification. Dans la foulée, le site est bloqué administrativement : une première depuis sa création en 1995 !
Mardi 28 mars. C’est le grand jour : première grève interpro. 18 000 manifestants à Tours ! Même la nounou ne peut rien dire et titre le lendemain : « La déferlante » ! Comme d’hab, on part de Liberté, on passe devant la niche des chiens de Pétain, et on finit à Anatole. On reste à 500, tranquille – et pourtant il pleut ! Aucun bus ne circulera ce jour là.
Mercredi 29 mars. Les commissions : Brigade d’Intervention Clownesque, et Intervention Pestaculaire et Idiote se préparent. La première jouera les ancêtres de nos clown-activistes d’aujourd’hui, la seconde ira jusqu’à attaquer le mini-train de Tours, façon indiens. Le conducteur, d’ailleurs, goûtera très peu à la blague. Une pièce de théâtre est également en rayon, Libération en fera même un rapide compte-rendu dans un de ses articles. Autrement, la commission répression et protection réfléchit à la manière de sécuriser les Tanneurs : achat de billes à lancer sur le sol au moment des charges, fabrication de boucliers [17], bombes de peinture dans des ampoules [18] etc. etc.
Jeudi 30 mars. Avec les aminches, on envahit la NR le matin, rue Émile Zola, faut dire qu’ils sont de moins en moins objectifs dans leur torchon [19]. Quelques affiches sont collées, mais on obtient un droit de réponse dans le papelard.
Une fois fait, on part dézingué une nouvelle fois le siège de l’UMP (on nous accusera même d’avoir voulu y foutre le feu… pas de preuves, pas d’emmerdes !). Les copains taguent de nouveau les vitrines, l’intérieur est saccagé façon tornade. On récupère des photos dédicacées de Sarko, des affiches (qui orneront longtemps les chiottes de quelques uns)... Comme les condés rappliquent, on se casse. Cela tombe bien, on a appris entre temps que le Vinci accueillait un forum sur l’emploi des jeunes ! On s’y précipite à 350. Les portes sont closes. Pas grave : une des portes côté jardin est forcée et on s’invite en nombre et en force ! A l’intérieur, on s’accapare la parole, des slogans partent et ça se finit en discussion avec messieurs les patrons. Le soir, vers 20h, on bloque Jean-Jo, comme ça, histoire de rappeler que la rue est à nous. Les flics annoncent dans la presse : « Le mouvement se durcit d’un cran avec quelques centaines d’irréductibles », tu parles !
Chirac intervient de l’Elysée le 31 mars : la loi sera promulguée
Vendredi 31 mars. Coup de pression de la part des condés. A midi, alors que nous sommes à Jean-Jo et qu’un copain va se choper un dwitch rue de Bordeaux, la BAC le chope. Alertés, nous accourons. Des coups de tonfas et de télescopiques sont donnés. Deux copains se positionneront devant la bagnole des baqueux pour empêcher l’arrestation. Mais comme nos cow-boy du coin sont un tantinet farceurs, vas-y qu’ils accélèrent ! Les deux copains reculeront de 25 mètres avant de se faire éjecter !
Direction le comico, on se retrouve à 250 devant pour demander la libération du copain. A peine arrivés que 60 policiers en anti-émeutes bloquent l’entrée. Pendant le face-à-face, profitant d’une charge des flics en costumes, la bac fait une sortie et chope un autre copain. Des projectiles sont alors lancés sur les représentants de l’ordre. On apprendra plus tard que les deux copains sont en garde-à-vue, accusés du tagage de l’UMP. Un troisième suivra [20].
Comme c’est le week-end, la nounou en profite pour donner place, dans ses pages, aux anti-bloqueurs et aux commerçants qu’on fait chier. Avec un chouette article sur les étudiants étrangers qui en ont marre de ne pouvoir aller étudier. C’est fou comme on se sent aimés !
Lundi 3 avril. La presse du coin peut titrer : Face-à-face tendu à la fac des sciences. Dans l’aprem, nous étions allés dire bonjour à feu Germain, à la mairie, histoire de pouvoir le mettre devant ses responsabilités de socialiste. On a investi la mairie à 200 copains. Comme on peut l’imaginer, les trois vigiles de l’entrée ont assez mal pris la chose. Deux copines partent à l’hosto : un nez cassé et un malaise. Autant vous dire que les larbins ont reçu quelques gentillesses. Ce qui est drôle, c’est la manière dont la presse républicaine rapporte l’incident : « provocations, insultes et bousculades allaient bon train (…) sans doute le lyrisme de la jeunesse ! »… Et comme on est pas mal mélomane, alors que l’AG a de nouveau validé le blocage, on remet le couvert le soir : on part bloquer, à 150, la fac de Grandmont. Les anti-bloqueurs, prévenus, se sont barricadés à l’intérieur avec le gardien. De 19h à 22h30, c’est assez cocasse : ils nous empêchent de bloquer et on les empêche de sortir. Un feu de camp est organisé très gentiment. Cela ne pouvait durer et 60 policiers habillés pour carnaval et bagnoles de flics en civil rappliquent. Cela se termine avec un ou deux jets de gaz (faudrait pas qu’ils soient venus pour rien), mais pas d’arrestations.
Mardi 4 avril. Nouvelle grève interpro. C’est manif : opération ville morte. A Tours, la nouvelle répugnante est obligée de titrer : « Démonstration de la rue ». Faut dire qu’il fait beau, que nous sommes pas loin des 20 000, et qu’on va réussir à bloquer les trois ponts de Tours (Mirabeau, Wilson et Napoléon) et l’A10, comme la plupart des centres vitaux (Jean-Jo, Anatole, Thiers et Verdun). A Verdun, ça se passe très mal et nous sommes dispersés sous les tirs et le gaz. Ailleurs, ça se passe mieux : l’A10 sera bloquée quasiment toute la journée ! On brûle des palettes, des pneus, on met la zique à fond. Vers 18h, la police commence à avoir les crocs. D’un coup, ça chauffe à Mirabeau : une bagnole fonce et force le passage. Elle n’a pas pu passer toute seule. Les flics en profitent et ça charge à tout va : repli général aux Tanneurs. La pression monte, il y a pas loin de 100 flics à 150 mètres des Tanneurs, en tenues et tout. Quelques tirs. Nous, on se barricade à l’intérieur. Poubelles etc. Tout est utilisé. Les cochons se rapprochent. Le face-à-face durera jusqu’à 21h30. Beaucoup de tension mais peu de heurts. De toute manière, nous avions prévu le coup : billes et bar-à-mine. Vers 22h on quitte la fac en groupe de 5 ou 10 copains.
Mercredi 5 avril. Grosse journée. La nounou parle d’« affrontements musclés entre anti-CPE et policiers », le tout à cause de « 250 manifestants, toujours les mêmes », et la nounou de conclure sur la journée : « petit air soixante-huitard ». Et pour cause ! Avec les copains, on décide, à une petite centaine, dans l’aprem, d’aller aux 2Lions : il y a une AG là-bas. A Jean-Jo, on réquisitionne un bus. Celui-ci préviendra sa responsable. Il nous amène jusqu’à l’arrêt Boisdenier. Là, il ne bouge plus. Trois fourgonnettes de flics nous attendent. On a à peine le temps de sortir du bus, que ça dérape : les flics chargent sans sommations. Gaz, coups, flash-ball. Bref, la totale. Les copains doivent alors se rappeler de ce patron, juste à côté de l’actuel magasin Thiriet, qui encourageait les keufs à nous mettre mal (il y perdra, par ailleurs, sa vitrine quelques jours plus tard). Résultat : pas loin de 12 blessés, dont 2 graves (qui finiront à l’hôpital, transportés par les pompiers) et 2 arrestations [21]. Comme vous vous en doutez, en file aux Tanneurs retrouver les copains. Et là, on décide de pas se laisser faire : on part en manif à 250 rue Marceau, direction le comico, il est 18h et on a chopé chaises, tables, palettes, pots de fleurs, bâtons, poubelles… Les commerçants n’en croient pas leurs yeux. 70 flics en anti-émeute sont postés devant, on monte une barricade de bric et de broc. Puis on met le feu à quelques bidons. Les flics avancent : ils se prennent une volée de bâtons et de pierres. Le commissaire voit la bar-à-mine d’un copain lui passer à 30 cm. Évidemment, ça charge. Sans trop faire de distinction. La barricade est détruite et il y a pas loin d’une vingtaine d’arrestations, dont 9 garde-à-vue [22].
Deux copains, bien abîmés, finiront par passer la nuit aux Urgences, une vingtaine de blessés [23].
Jeudi 6 avril. On est un poil sonnés quand même. Du coup, les lycéens battent le pavé à notre place et vont même jusqu’à bloquer la bretelle d’accès à l’autoroute. Un des responsable de la police, interrogé, affirme : « Nous avons affaire à des attroupements allant de 200 à 700 personnes qui envahissent un lieu comme la gare, la mairie ou les locaux du medef ». Il est bien gentil quand il parle de 700… Peut-être pour justifier l’usage disproportionné de la violence ? Une conférence de presse est tenue aux Tanneurs : rejet du terme de casseur, dénonciation des violences policières, état des lieux du mouvement : ça ne fléchit pas. A l’I.U.T., c’est la reprise officielle des cours : 2 blessés parmi les rares copains qui y étaient allés pour bloquer quand même. Dans la nuit, en représailles à la veille, est mis en place le cimentage (partiel) du dépôt des bus de Fil Bleu (nous étions 4 équipes) : c’est un semi échec, si la surveillance du gardien est déjouée, il n’y aura qu’à peine 30 minutes de retard le matin suivant.
Vendredi 7 avril. C’est de nouveau manif sauvage dans Tours, blocage au fur et à mesure des trois ponts. Nous sommes à peu près 300 à ne pas faiblir. Histoire de bien faire chier, on reste mobiles : on reste rarement plus de 35/40 minutes à chaque endroit. A 18h, on rentre se reposer. Il reste la journée de mardi prochain à organiser.
Villepin décide de supprimer l’article 8 de la loi pour l’égalité des chances, c’est-à-dire le CPE
Lundi 10 avril. Villepin annonce que le CPE (article 8) est retiré du projet de loi sur l’égalité des chances… Ce jour-là, en AG, nous sommes pas loin des 2 000. Bien sûr, nous sommes obligés de faire ça à Anatole France : la question du blocage est actée visuellement : à gauche ceux qui sont pour et à droite ceux qui sont contre : blocus maintenu par les 2/3 des présents. L’UNI ne cherchera même pas à polémiquer.
Mardi 11 avril. Il avait été décidé auparavant une journée d’action nationale, elle est maintenue à Tours. Nous sommes 1 000 à être présents : jeunes qui veulent fêter la victoire, jeunes qui veulent continuer car toute la loi n’a pas été virée, jeunes qui veulent changer le monde… Durant la manif, le Quick et le McDo sont saccagés : chaises descellées et sorties, matos sorti dehors, mobilier idem.
On passe devant le comico, ça se chauffe gentiment : nous avons obtenu une sorte de légitimité avec la reculade du Villepin.
Un copain se fait choper par la bac un peu plus tard [24]. La nounou titre : « Même si le CPE est mort, ils veulent la peau de la précarité ! ». Pourquoi, ils la veulent, eux, la précarité ?!
Dans les jours qui suivent : quelques heurts sont à déclarer aux Tanneurs : deux anti-bloqueurs seront, par exemple, refroidis à coup d’extincteur. Dans le même temps 4 copains lycéens sont exclus de leur internat. On se mobilise pour eux, mais nous sommes tous claqués. Les vacances du 14 avril au 2 mai vont faire du bien. Pendant tout ce temps restant, la fac restera bloquée et occupée, de jour comme de nuit. Concerts, projections, débats... Durant ces quelques jours, on se prépare doucettement à ré-ouvrir la faculté des Tanneurs. Cela sera définitivement acté en AG, le lundi 2 mai. Nous n’étions qu’une centaine...
Bilan de la répression après 39 jours d’actions et de luttes, entre le 3 mars et le 11 avril : plus d’une centaine de blessés dont 13 graves (dont plusieurs comas). 34 arrestations dont 16 garde-à-vue, pour 8 condamnations à des TIG et/ou des amendes [25], ainsi que des rappels à la loi.