Congrès de la FNSEA à Tours : entre pâquerettes et productivisme

A l’occasion de son Congrès national, qui se tenait à Tours du 27 au 29 mars, la FNSEA affichait des jolies pâquerettes sur la façade du Vinci. Malheureusement, il est fort peu probable que ces fleurs soient le signe d’un tournant du syndicat vers l’écologie et vers une agriculture plus durable pour celles et ceux qui produisent ou qui consomment.

La biodiversité, en façade seulement

Malgré les pâquerettes et la table ronde sur le développement durable qui s’est déroulée mercredi après-midi, il sera difficile pour la FNSEA [1] de convaincre qu’elle se soucie de l’environnement et de la biodiversité.

Pendant les débats sur le renouvellement de la licence du glyphosate en septembre 2017, des membres du syndicat n’ont pas hésité à présenter cet herbicide comme non dangereux. Par exemple, le secrétaire général de la fédération locale FDSEA 77 déclarait devant une caméra du Figaro [2] qu’il est « prouvé  » que le glyphosate n’est « pas cancérogène, pas néfaste ». Il allait même plus loin en affirmant que le glyphosate est « un pilier » de l’agroécologie et de la lutte contre le réchauffement climatique et permettrait de « répondre à l’objectif de l’accord de Paris sur le climat ». Pour les défenseurs du glyphosate, l’herbicide permet de réduire la consommation de gazole et de produire moins de gaz à effet de serre en évitant du travail du sol, car en utilisant l’herbicide, pas besoin de multiplier les passages pour désherber mécaniquement. De là à faire du glyphosate le pilier de l’agroécologie, le raccourci est énorme et inquiétant.

Comme le rappelle la Confédération paysanne dans sa revue mensuelle de mars, la prolongation de la licence du glyphosate par l’Union européenne ne s’appuie pas sur une expertise en toxicologie ou une étude d’impact environnemental. Elle s’explique davantage par des choix politiques, qui continuent de faire l’affaire des fabricants d’un produit qui n’a pourtant pas tenu ses promesses : contrairement à ce que fanfaronnait une publicité des années 1990, les résidus de l’herbicide sont bien présents dans les sols. Est-il possible de faire autrement ? Se passer du glyphosate n’est pas simple quand on l’utilise depuis toujours, accompagner les fermes aurait évidemment un coût, mais bien moindre que celui de la pollution.

Plus localement, on peut noter la position d’Angélique Delahaye, entrepreuseuse-maraîchère à Saint Martin le Beau et ancienne membre du Conseil d’administration de la FNSEA. Elle déclarait en avril 2016 qu’« à ce jour, il n’y a pas d’alternative économiquement viable [au glyphosate] et garantissant la santé humaine à proposer aux agriculteurs ». On pourrait lui conseiller de jeter un œil à la page « agriculture biologique » de la Chambre d’agriculture de son département, qui peut l’accompagner pour passer en agriculture biologique. A son crédit, Angélique Delahaye semble avoir pris conscience récemment qu’une sortie du glyphosate était possible si on l’accompagnait correctement [3]. Sachant qu’Angélique Delahaye est par ailleurs députée européenne, membre de la commission de l’agriculture et du développement rural, on peut espérer qu’elle profitera de son mandat pour appuyer la transition agricole et proposer un accompagnement fort sur le terrain pour la sortie du glyphosate.

Absence totale d’ambition sur le bio

A l’occasion de sa venue au Congrès, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, explique dans La Nouvelle République du mardi 27 mars que « si on double les surfaces labellisées [agriculture biologique], qui représentent aujourd’hui 8 % des surfaces agricoles, ce sera déjà pas mal ». Cette absence totale d’ambition pour l’agriculture biologique est dramatique à une époque où les effets bénéfiques du bio sur la santé et l’environnement ne sont plus à démontrer [4].

Surfaces bio et en conversion et part dans la surface agricole utile de chaque département en 2016

Et les signaux envoyés par les pouvoirs publics ne sont malheureusement pas meilleurs, comme en témoigne l’évolution des aides à l’agriculture biologique. Ces dernières années, deux problèmes ont impacté les fermes en bio : un retard de paiement d’aides dues et la fin des aides au maintien, c’est-à-dire l’aide aux fermes déjà labellisées en bio. En décembre 2016, le Groupement des agriculteurs biologiques du Centre dénonçait ainsi les choix de l’État et du Conseil régional du Centre qui, faute d’argent, d’une part n’avaient toujours pas versé les aides de l’année 2015 et d’autre part remettaient en cause l’aide au maintien [5]. Or, comme le souligne la Confédération paysanne :

« Soutenir le développement de l’agriculture biologique est une nécessité dictée par une triple urgence : l’urgence économique pour beaucoup de paysan-nes à qui la bio permet de dégager de meilleurs revenus tout en préservant leur santé, l’urgence alimentaire de beaucoup de citoyen-nes qui doivent pouvoir accéder à une alimentation de meilleure qualité, et enfin l’urgence écologique. Dans l’économie de marché libérale que subissent les paysannes et paysans, les aides au maintien bio sont indispensables pour que l’agriculture biologique se développe au-delà de la niche économique dans laquelle elle se trouve. »

Entre un syndicat agricole majoritaire qui se contente de viser 16 % de surfaces en bio et une baisse des aides publiques dédiées au bio, une augmentation rapide des surfaces labellisées bio n’est en effet pas gagnée.

Situation difficile dans les Chambres d’agricultures

Depuis les élections professionnelles de 2013, la plupart des Chambres d’agriculture sont gérées par les syndicats locaux affiliés à la FNSEA. Un article récent dans Reporterre décrit les difficultés internes rencontrées actuellement par les Chambres d’agricultures (déficit, régionalisation) et la souffrance au travail vécue par les salarié-es : gel des salaires, dégradations des conditions de travail, sous-effectifs [6].

Dans ces conditions de travail difficiles, les salarié-es des Chambres doivent pourtant mener une mission de service public et être à l’écoute des agriculteurs en difficulté, dont le nombre ne cesse d’augmenter. L’article montre comment la crise agricole et la détresse d’agriculteurs servent parfois à justifier des heures supplémentaires : dur, même si on a déjà fait ses 35 heures, de refuser d’aller en visite chez un agriculteur en difficulté. Surtout si on a en tête que les agriculteurs se suicident 20 à 30 fois plus que les autres catégories professionnelles [7].

Difficile d’imaginer que ces agriculteurs désespérés seront consolés par l’intervention au congrès de l’ancien joueur de rugby Marc Liévremont, dont la FNSEA s’était payé les services pour vanter « la culture de la gagne ».

Notes

[1Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles, syndicat agricole majoritaire

[3Lire les communiqués d’Angélique Delahaye de 2016 et de 2018

[7Voir les chiffres glaçants de la Mutualité sociale agricole.