Chronique de l’absurdité ordinaire : sur une intervention policière à domicile

Il y a quelques jours, des habitants de l’agglomération qui avaient hissé dans leur jardin le drapeau d’un mouvement révolutionnaire égyptien ont eu la surprise de voir débarquer les flics.

Lundi 11 heures du matin. On revenait d’un week end assez chargé avec concert, etc. On se repose, chacun d’entre nous dort profondément dans sa p’tite chambre, on profite du premier jour des vacances. La sonnette de la maison retentit deux fois. Ouh, ça doit être le facteur, la flemme de se lever. A un moment, on entend des voix au sein de la maison, l’un d’entre nous se lève pour voir ce qu’il y a, ce qui se passe.

Arrivé en bas (la maison est sur deux niveaux), je vois deux personnes qui cherchent à entrer par la porte de la cuisine. Commence alors un dialogue qui me fait directement rentrer dans l’ordre de l’irréel. C’était deux flics, en civil, l’un me montre sa carte. Je leur parle depuis la fenêtre : « Bonjour. Police. Vous pouvez me dire ce qu’il y a d’inscrit sur le drapeau ? »

Je leur demande s’ils ont un mandat ou une ordonnance du juge leur permettant de pénétrer notre domicile sans autorisation. Ils esquivent, et veulent absolument savoir ce qui est écrit sur ce drapeau. J’adopte alors une position que j’allais garder jusqu’à leur départ : celle de ne rien leur dire et de leur répéter sans arrêt qu’ils n’ont pas le droit d’être ici.

Il y a eu le copinage, puis l’énervement, puis l’intimidation (du genre on peut vous arrêter, on peut vous demander vos papiers, vous êtes en train de commettre un délit etc etc etc ). Ils sont finalement partis sans s’empêcher de prendre des photos (mais cette fois-ci en dehors de la maison), puis après sont passés, repassés, re-repassés. Ils m’ont dit à la fin que j’allais recevoir une convocation.

On est du coup un peu sur le cul de cette intervention matinale. Le drapeau en question est un fanion où est écrit en arabe « jeunesse du 6 avril ». Il trône dans notre jardin, à côté d’un drapeau mexicain. Ce drapeau a été récupéré en Égypte par l’un des colocs, auprès de militants de la jeunesse du 6 avril, l’un des groupes qui a démarré la révolution égyptienne.

Nous considérons cette intervention de la police comme grave, très grave. On se rend compte qu’une langue par le simple fait de son existence devient un élément suspect, une chose qui peut justifier une intervention et un interrogatoire de la police. Comme si depuis les événements de janvier, tout ce qui était de l’ordre de l’arabe, ou d’une langue assimilée devenait directement suspect, source de danger. Cela en stigmatisant toute une population et en la plaçant directement dans une suspicion contrôlable.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser que ces pratiques se situent dans la logique des choses, aujourd’hui : celle d’un État français qui réactive des logiques coloniales pour contrôler une large partie de la population considérée comme dangereuse. Mais pas normal, il n’est pas normal que l’on se fasse interroger sur une écriture. On voit bien ici les prémices de ce que pourra être la nouvelle loi sur le renseignement : donner les coudées libres aux forces de la répression, leur permettre de se mouvoir aisément en faisant fi des dispositions légales déjà existantes, pour ficher, contrôler, ficher, puis contrôler.

Nous sommes là et nous avons du coup hissé le drapeau, plus haut, encore plus haut, et nous sommes prêts à faire face à n’importe quelle tentative d’intimidation, convaincus par cette maxime qui nous fait tenir, portée par Amazigh Kateb dans sa chanson « Chante avec moi » :

« Je suis plusieurs dans ce cas-là. »

SPDC 55

Illustration : manifestation de la jeunesse du 6 avril demandant la dissolution du parlement égyptien, le 10 décembre 2010, par Jano Charbel.

P.-S.

Nous vous tiendrons au courant si jamais il y a la moindre convocation.