Chronique d’une année scolaire : le mépris en exemple

Le lundi 2 novembre, la France confinée retrouvera le chemin de l’école. Les équipes se retrouveront face à l’impréparation totale du Ministère. Ou comment le ministre remporte la palme du mépris.

Les vacances se sont ouvertes sur l’assassinat de Samuel Paty. Elles ont continué avec la mise en place d’un couvre-feu dans plusieurs grandes villes, dont Tours. Elles s’achèvent par un reconfinement partiel, l’annonce d’un nouveau protocole sanitaire à mettre en place dans les écoles, un plan vigipirate à renouveler et un hommage national à organiser.

Une journée d’hommage national

Dans un premier temps, les enseignant·es ont appris par voie de presse (mais ils et elles sont habitué.es maintenant) qu’un hommage national pour Samuel Paty se tiendrait dans chaque établissement scolaire lundi 2 novembre, et que pour permettre aux équipes de le préparer, les élèves seraient accueillis à 10h. Dans la foulée, le reconfinement est décidé et un nouveau protocole est soumis pour les écoles jeudi 29 octobre. Suite à ces diverses annonces ministérielles, les instits se retrouvent avec une liste de choses à faire assez conséquente.

Le jour de la rentrée, ils auront donc pour tâches, de 8 heures à 10 heures, de se réunir dans les établissements pour discuter de la mise en place de l’hommage national à Samuel Paty. Il s’agira d’organiser les cérémonies, la séquence pédagogique et le déroulé de l’hommage, tout en prenant en compte le nouveau protocole sanitaire. Durant ces deux heures, les directeur-rices sont chargé.es d’aller chercher les nouveaux masques conformes mis à disposition des équipes pour les collègues dans des lieux de dépôts encore inconnus. Durant ces deux heures, les collègues sont chargés d’accueillir les élèves masqués qui se présenteront au portail de l’école, parce que leurs familles n’auront pu s’organiser à la dernière minute pour ne les amener qu’à 10h. Durant ces deux heures, les collègues signeront les centaines d’attestations de circulation, qu’ils auront au préalable imprimées, permettant aux familles de déposer leurs enfants dans leur établissement. Durant ces deux heures, ils seront chargés de vérifier que le nouveau protocole sanitaire est en place, que le gel est présent, que les savons liquides sont présents, que le ménage a été effectué. Durant ces deux heures, ils devront réorganiser les récréations et la restauration scolaire, refaire les listes pour les employés municipaux en charge du temps méridien. Durant ces deux heures, ils devront refaire les affichages concernant le passage en alerte attentat du plan vigipirate.

Deux heures donc pour mettre en œuvre dans chaque établissement une organisation nouvelle. En attendant, vendredi 30 octobre, les équipes joignent les parents d’élèves pour prévenir de l’ouverture exceptionnelle de l’établissement scolaire à 10h lundi. Les équipes se mettent en lien avec les mairies pour organiser l’accueil périscolaire, la pause méridienne. Et accessoirement, les enseignants reprennent les préparations de leurs cours, en enlevant les projets liés aux sorties sportives, aux cinémas, aux lieux d’expositions temporaire ou encore aux médiathèques.

Finalement, non, un hommage mais pas comme on avait dit

Après cette longue journée de vendredi, jour de congé, mais cela est anecdotique, le ministre écrit aux personnels et prévient les médias (à peu près au même moment, il y a du mieux). Blanquer, donc, se fend d’un gentil message pour nous annoncer que finalement non, il n’y aura pas vraiment d’hommage, que c’est trop compliqué, puis qu’avec le protocole sanitaire, ce n’est pas aisé, donc, bah, on se contentera de la lecture offerte d’une lettre de Jean Jaurès (incompréhensible pour des élèves de moins de 11 ans, soyons clair), d’une minute de silence en classe, et puis on remet les horaires habituels de rentrée, 8h30 quoi.

En conlusion de ce message, je comprends qu’on nous impose une minute de silence, mais qu’on nous ôte le temps nécessaire à la concertation pour savoir comment la présenter aux élèves. Par contre, le ministre souligne :

La minute de silence de lundi doit être respectée. Tout problème en la matière est à signaler à la cellule « Valeurs de la République » du rectorat.

Voilà, vendredi soir, 19h… Il faut prévenir les familles que finalement c’est tout bon pour 8h30, on ne change rien, c’était pour rire. Mais on signera quand même les attestations, et oui, ils peuvent tous venir à la même heure, puisque le protocole, nous avons finalement une semaine pour le mettre en place. Et que, oui, on fera une minute de silence, sauf peut-être pour la classe qui sera à la piscine à 11h.

Le mépris institutionnalisé

Blanquer se permet dans son message de nous rappeler sa vision de l’école, propos qui entrent en dissonnance avec ses actes.

Face aux épreuves, de quelque nature que ce soit, l’École a toujours su réagir avec les mêmes qualités : l’unité, le savoir, l’esprit critique, le respect d’autrui et la fidélité aux valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité. Chaque jour, vous incarnez, faites vivre et transmettez ces valeurs. La Nation vous en est infiniment reconnaissante.

Cette outrecuidance ministérielle consistant à faire la pluie et le beau temps envers ses agents, ce mépris du travail effectué, cette négation de l’expertise des gens de terrain, tout ceci me dégoûte.

Mais ce qui est pire, finalement, c’est qu’après avoir considéré que la mort de Christine Renon ne méritait aucune reconnaissance, alors même qu’elle a été assassinée par la bêtise crasse de l’institution, monsieur Blanquer sera sans doute responsable d’autres morts au travail. Car des journées comme celle-ci ne sont pas inédites. On commence à s’habituer. Jusqu’à la rupture.

Déca