Nous aurons tout entendu sur cette rentrée. Les écoles rouvrent ! Les profs reprennent le travail ! Il faut sauver les décrocheurs, l’économie, la normalité ! J’aurai tout entendu et pourtant je n’ai pas réussi à comprendre ce qui allait se produire. Je n’ai pas su et ne sais toujours pas si je fais bien de participer à ce qui se passe actuellement dans les écoles.
Une déclaration dans les médias et puis s’en va...
Le ministère a présenté le plan de réouverture avec un protocole sanitaire d’une bonne cinquantaine de pages. Des règles s’instaurent dans le quotidien : lavages de mains répétés, distance entre les personnes, nettoyage des locaux et des objets de contacts, limitation des effectifs, aménagement des espaces, redéfinition des déplacements dans l’espace... Le protocole est strict, la mise en place complexe, les heures de réunion se sont enchainées pour tenter de mettre en place des dispositifs d’accueil viables et vivables. Les municipalités ont fait leur part, les équipes pédagogiques aussi. Mais je ne cesse au fond de moi de me dire que l’État manque à ses devoirs. Il dit, déclare, décide, à grands coups de communication pompeuse et ensuite laisse les petites mains gérer l’usine à gaz. Je me revois apprendre que les écoles allaient ouvrir à partir du 11 mai, zone verte ou zone rouge, confinement prolongé ou non. Et cette impression d’être un pion qu’on déplace selon son bon vouloir.
Les profs n’ont jamais cessé de travailler
Il a été dit que les enseignant·es allaient retourner au travail. Mais ce travail n’a jamais cessé. La continuité pédagogique, si chère aux discours ministériels, a été mise en place, du mieux qu’on a pu, avec les moyens du bord. Il a fallu faire avec l’ordinateur de la maison et son abonnement internet pour garder du lien, donner son numéro de téléphone personnel pour faire du soutien individualisé, prendre sa voiture et faire le tour des boites aux lettres pour distribuer les activités aux familles sans connexion ou sans imprimante. Nous l’avons fait, non sur ordre du ministre, mais parce qu’il nous semblait normal de faire au mieux pour garder le contact, faciliter la vie des familles, réduire la fracture numérique. Et certain·es d’entre nous ont distribué des repas, fait des courses, payé des loyers aux familles les plus démunies. Parce que c’est un des paramètres de ce service public d’éducation : la solidarité dans la communauté éducative. Avec la reprise des cours en présence, ce sont ces mêmes missions qui continuent, auxquelles se sont ajoutées la mise en place du protocole sanitaire, la préparation du matériel individuel désinfecté, et les heures de classe. Double journée donc. Et ce petit pincement quand j’entends qu’il faut reprendre le travail.
Et maintenant, le réel
J’ai donc repris le chemin de l’école. J’ai bougé les tables pour faciliter les passages, j’ai vidé les casiers des élèves qui ne reviendront pas, j’ai rangé leurs affaires dans des sacs étiquetés à leur nom en attendant qu’ils puissent venir les récupérer en fin d’année. J’ai refait des pots individuels avec du matériel pour qu’il n’ait pas à emprunter à un camarade. J’ai acheté du savon liquide moins agressif que celui mis à disposition, qui dès le premier jour de la reprise me raidissait les mains. J’ai ôté de ma classe tout ce qui faisait son projet de vie collective. J’ai retiré le tableau des services collectifs qu’on se rendait les uns aux autres, comme distribuer, ramasser, ranger. J’ai condamné ma bibliothèque où les livres circulaient librement entre les élèves. J’ai rangé les boîtes de matériel collectif, avec les feutres, les compas, les colles et les ciseaux. J’ai enlevé les affiches de libre expression où ils pouvaient écrire ensemble. J’ai empilé les deux tables du fond de classe qui servaient au travail de groupe. J’ai débranché l’ordinateur collectif où chacun pouvait accéder un petit moment par jour pour y dessiner, écrire ou y faire des recherches. J’ai gommé ce qui faisait que nous étions une communauté de savoir et d’échange.
La reprise est faite, les élèves reviennent au fur et à mesure, et je ne sais toujours pas si j’ai fait le bon choix en acceptant d’ouvrir cette classe. Cette classe qui contient entre 5 et 12 élèves, au lieu des 26 habituels. Cette classe qui ne travaille plus collectivement. Cette classe qui sera peut-être la réalité au 2 septembre. À la prochaine rentrée, il ne faudra plus que je doute.
Deca