Chronique d’une année scolaire : le jour où la sonnerie retentit dans le vide

Les écoles ont fermé leurs portes lundi 16 mars et ce jusqu’à nouvel ordre. Pour mes élèves et moi commence une nouvelle ère.

J’ai, comme l’ensemble de la population, appris par l’entremise des médias la fermeture de nos établissements scolaires jeudi 12 mars. Vendredi 13 au matin, au portail, à 8h30, les élèves, leurs familles, les enseignant-es étaient dans une sorte de brouillard. Pas de directives précises, une béance devant nous, des angoisses pour certains enfants.

Ne jamais faire plus que ce que l’on nous demande

C’est le premier conseil que je me suis donné. La direction académique surnage entre ordres contre-ordres, conseils et appel au calme. Je décide de prendre le temps de répondre aux interrogations de mes élèves de CM1 et CM2, de décrypter avec eux ce qu’ils croient savoir et ce qui les interpelle. Nous discutons donc un bon moment. La mise au travail ce vendredi est délicate. Comment donner du sens à des activités qui n’auront pas de retour en commun, comment donner du sens à des projets qui vont s’arrêter net et sans doute être enterrés ? Vendredi à 16h30, ils repartent avec les sacs à dos chargés de quelques livres et cahiers, un « kit de survie » réfléchi avec eux dans la hâte et l’excitation de la journée. Glissés au fond des cartables, le roman que nous venions de commencer, un manuel de mathématiques pour faire des exercices d’entraînement et pour aller plus loin pour les curieux, les cahiers outils avec les leçons de maths et de français, un cahier pour regrouper les activités faites à la maison, la trousse et leurs petits objets bric-à-brac cachés au fond des casiers habituellement. Nous nous souhaitons de « bonnes vacances », en mimant les guillemets de nos doigts. C’est inédit de saluer les élèves sans savoir quand nous les reverrons, inédit et déstabilisant.

La naissance d’une nouvelle relation

Je leur ai donné mon adresse mail, les ai enjoint à m’écrire. J’espère pouvoir créer une correspondance avec eux. J’ai l’intime conviction que le lien peut naître de l’écriture. Je leur ai dit de me raconter leur confinement, leurs journées, de me poser leurs questions. J’ai reçu dès lundi matin un premier mail. Une petite phrase lancée comme ça. « Tu vas bien maitresse ? ». Oui, je vais bien. Et je les espère bien aussi. Même si je sais les difficultés à trouver un endroit paisible pour travailler ou juste être seul, pour lire ou rêvasser au dehors. Même si je sais les familles inquiètes, l’absence de revenus, les chômages techniques, les sans emplois sans interim... Même si je sais les parents non francophones, même si je sais les familles nombreuses et l’ordinateur à se partager, même si je sais qu’ils ne sont pas égaux dans la vie ni dans l’accès à la culture scolaire. Je ne peux pas occulter le fait que durant ces quelques semaines l’égalité d’accès aux connaissances ne sera plus un objectif. Je ne peux pas faire semblant et je refuse de participer encore plus au creusement des inégalités. Alors je fais le choix de leur fournir ce qui me semble primordial et en lien avec la progression que nous suivions, en leur faisant réviser ce qu’ils savent faire, en les amenant à écrire, à raconter.

De la pédagogie de grande consommation

Je me refuse à leur donner des liens leur donnant accès à des outils tout faits. Les ma classe à la maison, mon école à la maison, ma classe virtuelle, mon espace numérique de travail... Pour le moment, pour les semaines à venir, je veux inventer des supports qui leur permettent de retrouver ce que nous vivions en classe. Leur donner des activités en lien avec nos projets, nos modes de fonctionnement. Ne pas leur laisser la possibilité de substituer ce qui faisait la particularité de notre classe par des banques d’exercices calqués sur des programmes de référence. Je ne sais pas si j’arriverai à trouver les ressources pour renouveler chaque jour à distance ce qui faisait notre relation quotidienne en présence. Mais je refuse de remplacer la relation pédagogique par un écran d’ordinateur impersonnel.

Je sais déjà que le lien que nous sommes nombreux et nombreuses à tenter de nouer est chronophage. Créer des supports simples, adaptés à leurs niveaux de compétences, les envoyer dans les bons formats, répondre aux interrogations, renvoyer le même document dans un autre format car il n’est pas compatible, corriger ce qui revient, prendre le temps de faire une réponse à ceux qui écrivent, transformer leur curiosité en idée pédagogique, réinventer une forme inédite pour faire survivre nos projets... Tout plutôt que des exercices stéréotypés, répétitifs et sclérosants, qui n’ont pour objectif que d’entraîner les plus performants, qui ne stimuleront ni l’imagination, ni l’envie d’apprendre. Et pour moi créer et m’interroger, plutôt que de me laisser aller à la facilité de cette pédagogie paresseuse. Alors pour le moment, je leur envoie des activités à faire, je leur pose des questions, j’essaie de ne pas rompre le lien. Et j’attends leur réponse dans ma boite mail, comme un signe de connivence.

Deca