Chronique d‘une année scolaire : septembre en attendant

Bientôt un mois que la rentrée s’est faite. Et sous les assauts permanents du ministère et des autres, rien ne se passe. L’eau frémit doucement. En attendant octobre ?

Tout s’est bien passé. Comme chaque année. Nous avons retrouvé nos murs de classes, plus ou moins bien repeints, nos élèves, plus ou moins bien reposés, nos collègues, plus ou moins motivés. Et nous avons repris le travail. Vaguement relu les programmes modifiés durant l’été. Nous avons plus ou moins chanté pour obéir à la contrainte imposée de la rentrée en musique [1]. Nous avons écouté le ministre qui se pavanait devant les médias, y expliquant en long et en large tout ce qui allait changer. Et moi, j’ai recensé les mensonges ou semi-vérités de mon chef.

  • Au primaire, la priorité : des classes allégées, de meilleurs encadrements, des moyens. Personnellement, j’ai 26 élèves, comme l’année précédente, mes collègues aussi. Nous avons une moyenne de plus de 26 élèves par classe. Je peux dire que nos effectifs montent. C’est un fait. Quant aux améliorations matérielles, elles dépendent des mairies. Je travaille dans une ville pauvre, les peintures n’ont donc pas pu être refaites.
  • Le numérique fait son entrée en force dans les classes, et les tablettes permettront de rendre ludiques les évaluations nationales. Ces évaluations sont la marotte des ministres, qui les déplacent de niveau, de période, mais toujours dans le but de cartographier les réussites et les échecs des établissements scolaires, et non pour évaluer les pratiques pédagogiques et les programmes qu’ils mettent en place. Les élèves de notre école passent ces évaluations — ruineuses en temps et en énergie, et dont l’utilité reste à démontrer — sur papier. Pour ces élèves, ces évaluations ne sont donc pas ludiques, et cela ampute gravement le budget photocopie qui se restreint d’année en année... car nous travaillons dans une municipalité pauvre.
  • Les salaires vont être augmentés. Pas le mien, mais ceux des enseignants en début de carrière. Le mien baisse. Depuis quelques années. Pour des raisons mathématiques simples. Plus de prélèvements, l’augmentation des assurances, les jours de carence, et — avouons-le — des jours de grève de plus en plus fréquents. Et comme, contrairement aux collègues du secondaire, nous ne pouvons prétendre aux heures supplémentaires (en réalité, je ne m’en plains pas, cela évite la concurrence malsaine entre nous), et bien quoique je fasse mon salaire baisse.
  • Ce qui est vrai par contre, c’est que je vais apprendre à mes élèves un certain nombre de savoirs et de compétences, oui, oui, comme les procédures de calcul réfléchi, comme les règles d’usage de la langue française tant à l’oral qu’à l’écrit, et aussi quelques repères philosophiques sur le vivre ensemble. Parce que, là encore, Blanquer ment en affirmant qu’il faut « REMETTRE » ces pratiques au cœur de l’école : elles n’en sont jamais sorties.

Dans les cours de récréation, dans les réunions de pilotage des projets, dans les couloirs, ça grogne doucement. Nous sentons bien que ça se dégrade, qu’on se moque de nous, qu’on nous ridiculise, nous infantilise. Qu’on tente de nous faire rentrer dans un rang moutonnier, où les plus dociles tireront leur épingle financière du jeu. Ça grogne doucement. En attendant que la prise de conscience soit plus générale, que l’on apprenne à dépasser son quant-à-soi pour comprendre que tous ces petits mensonges cachent un énorme mensonge. Celui que le gouvernement tente de nous faire avaler, l’idée qu’il existerait une éducation nationale, publique, laïque, égalitaire.

Le 9 octobre, plusieurs syndicats, plusieurs corps de métiers appellent à la grève. Je la ferai. J’irai dans la rue. Pour écouter peut-être un frémissement grossir. Peut-être.

Déca

Notes

[1Extrait de la propagande ministérielle, disponible sur le site education.gouv.fr : « Le 3 septembre 2018, la rentrée scolaire a lieu « en musique » dans les écoles, les collèges et les lycées. Pour cette seconde édition, les élèves sont accueillis par des chants ou des concerts afin de commencer l’année sous le signe de la joie et de la sérénité. Le développement de la pratique collective de la musique est essentiel pour bâtir l’école de la confiance. »