Charles Martel et la bataille de Poitiers : des flammes de l’enfer au triomphe à l’extrême-droite

A propos du livre Charles Martel et la bataille de Poitiers : de l’histoire au mythe identitaire, publié chez Libertalia.

Le bandeau du blog de Vox populi, le mouvement d’extrême-droite identitaire de Tours, affichait fièrement une peinture représentant la bataille de Poitiers, au-dessus du slogan « Défends la terre de tes pères ». En octobre 2012, des militants du groupuscule Génération identitaire envahissaient le chantier d’une mosquée à Poitiers pour y dérouler une banderole proclamant : « 732 Génération Identitaire ».

La bataille qui s’est déroulée en 732 (ou 733) entre les troupes franques de Charles Martel et l’armée arabo-berbère d’Abd al-Rahmân est devenu un outil de propagande pour l’extrême-droite européenne qui y voit un symbole de la résistance contre « l’invasion musulmane » (parfois qualifiée de « grand remplacement »). D’où l’intérêt du livre publié aux éditions Libertalia intitulé Charles Martel et la bataille de Poitiers : de l’histoire au mythe identitaire. Les auteurs, William Blanc et Christophe Naudin, y étudient la manière dont s’est construit ce mythe.

Replaçant la bataille dans un contexte historique large, l’ouvrage retrace le parcours des conquêtes islamiques, de Médine au Maghreb et à l’Espagne, ainsi que les rapports entre les différentes forces en présence. Battant en brèche l’idée d’une alliance de la chrétienté contre une invasion musulmane, les auteurs évoquent notamment les accords passés entre Sarrasins et « autochtones », en Aquitaine ou en Provence.

Si Charles Martel a bien battu les troupes d’Abd al-Rahmân entre Tours et Poitiers – les anglo-saxons parlent plutôt de la « bataille de Tours » (battle of Tours) que de la bataille de Poitiers –, l’événement n’a pas eu la portée que certains voudraient lui prêter. Ce n’est pas le choc de civilisations que croit y voire Samuel Huntington. Les Sarrasins ne repasseront les Pyrénées qu’en 759, après la prise de Narbonne, et ce conflit n’empêchera pas le fils de Charles Martel, Pépin le Bref, de développer des relations avec Sulaymân, qui contrôle Barcelone et Gérone, mais aussi avec le califat abbasside basé à Bagdad.

« Les pouvoirs, franc, omeyyade ou simplement locaux (gouverneurs en sécession dans les Pyrénées d’un côté, Provençaux de l’autre) n’ont pas hésité à nouer des relations commerciales, diplomatiques, voire des alliances, où le facteur religieux n’a que peu d’importance. Le conflit n’était pas permanent. Évidemment, d’un côté comme de l’autre, victoire comme défaite étaient vues comme des signes de la volonté de Dieu. Mais l’affrontement n’a pas été une guerre sainte (...). Difficile, dès lors, de considérer la bataille de Poitiers comme l’une des étapes majeures d’un affrontement séculaire, de toute façon fantasmé, entre Islam et chrétienté. »

Après l’évocation de la bataille, les auteurs retracent la mémoire de l’événement à travers les siècles. Loin d’être considéré comme un héros, Charles Martel a pendant longtemps été vu par les sources ecclésiastiques comme un tyran ayant pillé les biens de l’Église pour les distribuer à ses soldats. Un extrait d’un manuscrit reproduit dans le livre le représente d’ailleurs brûlant dans les flammes de l’enfer. L’image de Charles Martel comme sauveur de la chrétienté en prend un sacré coup.

La mémoire officielle et la mémoire populaire sont scrupuleusement scrutées par Blanc et Naudin, qui reviennent en détail sur la manière dont le guerrier franc sera célébré – ou non – jusqu’au XXe siècle. Les changements dynastiques et les guerres seront propices à la convocation de Charles Martel, qui fait figure de résistant à l’envahisseur.

L’idée selon laquelle la bataille de Poitiers aurait été un affrontement à caractère religieux ou civilisationnel, même si elle apparaît notamment sous la plume de Chateaubriand, est plutôt récente. Elle sera reprise par l’extrême-droite française au début des années 2000, suite à la guerre au Kosovo :

« Au cours des années 2000, la figure de Charles Martel va être utilisée le plus souvent dans un contexte de conflit interne à l’extrême-droite, généralement par les courants les plus durs de cette famille politique afin de se distinguer (…) dans la surenchère islamophobe. »

Pour arriver, en janvier 2015, au hashtag #JeSuisCharlieMartel utilisé par les militants d’extrême-droite sur le réseau Twitter, et repris par Jean-Marie Le Pen.

Charles Martel et la bataille de Poitiers, de l’histoire au mythe identitaire
William Blanc et Christophe Naudin
Libertalia, 320 p., 17 euros.