« Ginette du DAL et les poulets chanteurs », titrait le Canard Enchaîné du 6 juin 2012. Le contenu d’une conversation singulière s’étalait dans la presse nationale, et le journal suggérait que le ménage soit fait chez ces « maîtres chanteurs » sévissant au commissariat de Tours. Au mois d’avril, Ginette, militante du Droit au logement, avait été invitée à se rendre au commissariat de Tours par deux agents de la Sous-direction de l’Information générale (ex-RG). Depuis quelques temps, ces deux flics l’appelaient très régulièrement pour lui suggérer de leur livrer des informations sur d’autres militants de la ville. Inquiète, Ginette s’était équipée d’un discret dictaphone pour se rendre au commissariat, et avait enregistré tout l’entretien.
La conversation démarre sur la situation de familles étrangères qui sont à la rue. L’un des flics livre son analyse pleine d’humanité sur la situation des migrants : « Le problème c’est que là il en arrive beaucoup et puis… putain, si tu commences à en loger certains après c’est l’aspirateur… C’est ce qui s’est retrouvé dans certaines villes. » Ils échangent ensuite sur les différents collectifs luttant sur les questions de logement. L’une des associations locales d’aide aux migrants a droit à des compliments : c’est « des gens qui font ça pour la bonne cause (…), même si ils ont des idées de gauche ». Comme le DAL, ces bénévoles sont là « pour défendre les familles », et les flics rendent hommage à leur action.
Aux yeux des flics, le problème, ce sont les collectifs, « plus anarchistes qu’autre chose », qui se serviraient des migrants et des mal-logés « pour faire chier le système, pour pourrir le système, parce que c’est des anarchistes ». A cause de ces « parasites », les efforts du DAL et des autres associations seraient réduits à néants.
Et puis vient le cœur de la discussion : « Nous ce qu’on te demande c’est de reprendre le DAL en main, et nous de notre côté on va voir ce qu’on peut faire éventuellement pour améliorer la situation de ton fils. » C’est que le fils de Ginette a été placé en famille d’accueil par l’Aide sociale à l’enfance depuis que sa mère a fait un séjour à l’hôpital suite aux violences exercées par son mari. Généreux, les flics proposent de se renseigner sur la situation de l’enfant (qu’ils semblent déjà bien connaître) et « de discuter éventuellement avec la personne décisionnaire (…) pour faire pencher la balance du bon côté ».
Policier 1 : Nous si tu veux on peut te filer un petit coup de pouce. Nous ce qu’on aimerait simplement, on cherche pas à faire de toi une balance, machin, tout ça, mais à travailler comme on travaillait avec X.
Ginette : Ouais.
Policier 1 : Il faudrait reprendre un petit peu le DAL. (…) Donc tu te laisses pas parasiter par les autres. (…) Et puis des fois qu’on arrive à t’avoir au téléphone par rapport à…Bon des fois…voilà. Qu’est-ce qu’y vont nous faire comme connerie ? (…) Et d’un côté voilà, on… bah c’est sûr que dans les faits, quand ils ont décidé de faire une connerie, un machin, bah si on arrive à t’avoir au téléphone pour savoir à peu près…(…)
Policier 2 : Donc voilà. Nous on peut essayer de te donner un coup de pouce pour booster ton dossier… (...)
Policier 1 : S’ils préparent un truc, bah si on t’appelle, bon essaye de nous répondre ou si tu peux arriver à nous donner un renseignement… mais sans faire de la balance...
Les flics proposent non seulement d’aider Ginette à récupérer son fils, mais aussi de l’aider à trouver un meilleur logement et un emploi. Avec un peu de coopération de la part de Ginette, tout pourrait ensuite se régler grâce à quelques coups de téléphone.
Après la révélation de l’affaire par le Canard enchaîné, les appels des flics cessent. Mais ce n’est qu’après avoir stabilisé sa situation personnelle et récupéré son fils que Ginette se décide à porter plainte contre les deux policiers. Elle écrit au procureur de la République en janvier 2014, pour dénoncer la tentative des flics de lui soutirer des informations en échange d’un coup de pouce pour récupérer son fils. Et elle joint à son courrier l’enregistrement de la conversation, ainsi que la retranscription qui a été réalisée.
La réponse du procureur tombe fin mai : pour lui, pas question de parler de chantage ou de harcèlement. Il ajoute que les flics n’ont fait qu’appliquer les « méthodes habituelles » pour obtenir des informations sur des militants. La plainte est classée sans suite. Circulez, y a rien à voir.
Ginette a décidé de ne pas lâcher l’affaire, et a demandé l’ouverture d’une information judiciaire en se constituant partie civile devant le doyen des juges d’instruction. Concrètement, il s’agit de demander à un juge d’instruction d’ouvrir une enquête. Histoire que le chantage au gosse exercé par les policiers de Tours ne reste pas impuni.