Ces inculpé.es sont ceux et celles qui depuis les assemblées générales de Rennes 2, l’assemblée générale Interprofessionnelle et l’assemblée de la Maison du Peuple occupée, ont pris part au mouvement contre la loi Travail au printemps 2016. Lors d’une journée de blocage et de manifestation appelée par l’ensemble du mouvement, dix-neuf d’entre eux et elles avaient été arrêté.es par une horde de 70 flics de tous les services à l’aube du 19 mai 2016, alors qu’ils et elles participaient à une action pour les transports gratuits qui consistait à désactiver les bornes du métro. Un autre camarade avait été interpellé plus tard dans la matinée et placé en gav avec les autres.
Cette arrestation était censée être la conclusion d’une enquête préliminaire visant de prétendus « groupuscules d’ultra-gauche d’inspiration paramilitaire » (expression utilisée pour justifier le dossier). Cette enquête avait été lancée cinq jours plus tôt lors de la venue de Cazeneuve, ministre de l’Intérieur de l’époque, venu passer en revue ses troupes à Rennes pour mettre un terme au mouvement jugé trop débordant.
Obsédés par ce qu’ils percevaient comme une menace mortelle pour l’ordre public, les flics avaient utilisé des méthodes d’enquête comprenant tous les coups tordus disponibles : filatures, mouchards sur des voitures, mises sur écoutes téléphoniques et géolocalisations, et le placement sous surveillance des locaux de Solidaires 35 qui accueillaient alors les réunions du mouvement suite à l’expulsion de la Maison du Peuple.
À grand renfort d’allusion au terrorisme (on y parle de « réunions conspiratives », de « saboteurs du métro », de gens « fanatisés », « dérangés psychologiquement et idéologiquement »), cette affaire a été directement instrumentalisée par la préfecture et le procureur de la république dans une mise en scène dramatique qui visait à justifier l’ouverture d’une instruction sous un chef d’inculpation aussi court que vraisemblable :
« Association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes et de délits punis de 10 ans d’emprisonnement, notamment de la préparation de dégradations par moyens dangereux pour les personnes et de violence en bande organisée avec arme sur dépositaire de l’autorité publique ainsi que des infractions connexes de dégradations aggravées sur des biens d’utilité publique appartenant à une personne chargée d’une mission de service publique avec le visage dissimulé. »
Face au vide abyssal du dossier et au choix déterminé des arrêté.es de garder le silence face aux flics, les chefs d’inculpation ont rapidement dégonflé. La juge d’instruction avait été alors contrainte de relâcher les mis.es en examen en attente de leur procès, en leur infligeant au passage un contrôle judiciaire qui durera pour la plupart plus de 8 mois : interdits de manifester, d’avoir le moindre contact les un.es avec les autres, et assigné à résidence pour l’un d’entre eux, cette mesure était le moyen pour les juges de priver les inculpé.es de toute activité politique, et de rendre impossible l’organisation collective de leur défense.
Pour autant ils et elles n’ont cessé de se battre contre cette assignation judiciaire et suivant les recommandations diffusées très largement dans le mouvement, ils et elles ont choisi de garder le silence face aux juges et aux procureurs qui voulaient faire des inculpé.es des balances et des indicateur.trices contre le reste du mouvement. Et après huit mois d’enquête infructueuse, ils et elles ont fini par être tou.tes libéré.es de leur contrôle judiciaire sans que personne d’autre ne soit mis en examen, renvoyant les enquêteurs face à la misère de leur dossier.
Généralisation du délit d’association de malfaiteurs contre les luttes sociales
Trois ans plus tard, le ridicule de ce montage judiciaire pourrait prêter à sourire s’il ne s’agissait pas d’une nouvelle expérimentation visant à généraliser le délit d’association de malfaiteur contre l’ensemble des luttes sociales, parallèlement au traitement pénal extrêmement lourd infligé aux inculpés du quai de Valmy à Paris.
Dès la rentrée suivant la mobilisation contre la loi Travail, cette volonté s’est concrétisée par la circulaire du 20 septembre 2016 relative à la lutte contre les infractions commises à l’occasion des manifestation et autres mouvements collectifs : parmi les multiples recommandations pour optimiser la répression (usage systématisé du délit « d’attroupement en vue de… », formation spéciale des OPJ, mise à disposition de fiches d’interpellation et de JLD dédiés aux contrôles judiciaires de masse), celle-ci appelait à généraliser les associations de malfaiteurs (considérées comme « une incrimination qui peut s’avérer utile ») contre les actions de blocages et les manifestations, en prévision de l’expulsion de la ZAD et de la jungle de Calais.
Deux ans et six mois de révolte des gilets jaunes plus tard, ces associations de malfaiteurs et contrôles judiciaires sont devenus des outils employés massivement contre celles et ceux qui s’organisent dans la lutte comme à Paris, Marseille, Toulouse et Narbonne. Avec les mêmes méthodes de surveillance et d’instrumentalisation, avec les mêmes privations de contacts et interdictions de manifester, le pouvoir judiciaire enlisé dans une masse gigantesque de procédures tente, tant qu’il le peut encore, d’écraser toutes les formes d’organisations qui composent aujourd’hui les mouvements hors des syndicats et des partis : assemblées, occupations, comités de mobilisation, commissions actions, ronds-points occupés…
Un rassemblement devant la cité judiciaire de Rennes est organisé le mardi 4 juin à 12h30. Texte pioché sur Expansive.