Assises de la maternelle : comment refonder l’école sans demander l’avis des professionnels

Les 27 et 28 mars se sont tenues les assises de la Maternelle, à Paris. Organisée par Blanquer, sous l’égide du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, ces deux jours de travail ont réuni des éminences de l’école maternelle. Tour d’horizon des invités à déconstruire l’école maternelle.

Blanquer, en poste au ministère de l’Éducation Nationale depuis moins d’une année, a entamé de nombreux chantiers. Après la mesure déjà effective sur les CP dédoublés, après le chantier en cours de la réforme du Bac, après son travail avec Vidal autour de l’accès à l’Université, après ses engagements autour de la nécessaire refonte de l’enseignement professionnel, le voilà occupé à démanteler un nouveau pan de la scolarité française : l’Ecole maternelle. Ce ministre répond bien à l’analyse faite de lui comme le perfomer de l’éducation nationale.

Une reconfiguration complète de l’éducation

Il est aux commandes d’une refonte de la pré-scolarisation des enfants de moins de 6 ans. Alors même que les programmes ministériels ont été révisés, il y a deux ans, sous la férule de Valaud-Belkacem, il se targue de tout changer. Pour cela, il s’appuie sur une étude réalisée par France Stratégie [1], et sur les résultats des enquêtes d’utilité publique de type PISA. Leur infographie [2] se conclut sur cette sentence : il faut « confier la responsabilité de l’accueil de tous les enfants de moins de 6 ans à un ministère unique chargé de l’éducation et de l’enfance ». Le message est clair, l’organisation actuelle est à repenser. Il serait possible de créer un nouveau ministère dédié à la petite enfance ; ce choix, de fait, modifierait les statuts des enseignants de maternelle actuels. L’autre option serait d’étendre les missions du Ministère de l’éducation nationale à la petite enfance, imposant de fait une visée scolaire à l’accueil du tout-petit. France stratégie préconise d’avoir de bonnes bases pour les fonctions exécutives (mémoire de travail, contrôle des impulsions, flexibilité cognitive) plutôt que de connaître les chiffres et les lettres. On ne peut que faire le parallèle avec les néologismes à la mode dans le champ managérial.

Des aides de camps et un aréopage de spécialistes en tout genre

Les deux jours de réunion ont permis d’organiser une série de conférences et de tables rondes, rassemblant les spécialistes décrétés de l’enfant et de la petite enfance. Comme le dit le ministre :

« En organisant ces Assises, qui rassemblent tous les acteurs de l’Ecole maternelle, nous ouvrons un nouveau chapitre de ce qui est une fierté française enviée par bien des systèmes scolaires. »

Les acteurs de l’Ecole maternelle n’ont pas été choisis au hasard, et pas forcément non plus sur leurs connaissances de l’enseignement ou de la pédagogie appliquée aux plus jeunes. Neurologue, professeur en politique publique et développement, psychiatre, inspecteur général, coach parental, docteur, linguiste, directeur d’école privée, spécialiste de la maladie d’Alzheimer…nombre de professions diverses et variées. Ah, oui, et une professeure des écoles.

Certains noms interpellent même particulièrement. C’est le cas de Ghislaine Lambertz-Dehaene, directrice de recherche au CNRS et épouse de Stanislas Dehaene, actuel président du Conseil scientifique de l’éducation nationale, nommé par Blanquer lui-même. Marc Gurgand, professeur à l’École d’économie de Paris et directeur de recherche et Franck Ramus, professeur attaché à l’École normale supérieure et directeur de recherche, qui comme ça ne sont pas réellement identifiés comme spécialistes de la maternelle, sont tous deux membres nouvellement nommés du CSEN par Dehaene et Blanquer donc. Ce Conseil scientifique, créé par le ministre le 10 janvier dernier, regroupe notamment des chercheurs issus des sciences cognitives. Cette instance nouvelle compte peser sur la construction des réformes. Il existait pourtant déjà un conseil scientifique : le CNESCO, qui avait le même rôle. Blanquer, en invitant 3 des 21 membres du CSEN lors de Assises, marque sa préférence. La famille, c’est important, et pas que pour les enfants.

On peut noter aussi la participation de Valérie Grembi, directrice de l’école privée sous contrat « Votre école chez vous », qui permet de scolariser à la maison les enfants en situation de grand handicap, association qui a été sauvée de la faillite par la fondation Bettencourt. Il y a même un hommage à lire sur le site de l’école.

Et une professionnelle de la profession, Inspectrice générale de l’éducation, nommée par Blanquer en janvier, Caroline Moreau. Elle a écrit une thèse pertinente sur le développement cognitif des élèves de moins de 6 ans, intitulée « Rôle du gêne linotte dans le développement des corps pédoncules, structures impliquées dans l’apprentissage et la mémoire olfactifs chez la drosophile ». No comment.

Surtout ne pas demander aux professionnels de participer

Les assises se sont refermées. Les professionnels n’ont jamais été sollicités pour s’exprimer. Hors la professeure des écoles invitée, aucune présence dans les tables rondes des Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), ou des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants, ni des enseignants spécialisés formant les Réseaux d’aide aux enfants en difficultés (RASED). Les conclusions sont déjà tirées. Et même si Cyrulnik reconnait que le nombre élevé d’enfants par classe ne favorise pas les apprentissages, on ne peut dire que ses propos rassurent.

« Ce serait le rêve de doubler le nombre de postes, parce qu’on établit plus facilement des relations affectives quand on a 13-14 enfants à gouverner et à sécuriser, que quand on en a 30. »

Tout est dit, à bon entendeur salut. La réforme est en marche. Et qu’on ne vienne pas dire que nous ne savions pas. Il suffit d’écouter ce que le ministre nous dit.

Déca, instit de base

Notes

[1France Stratégie, administrativement appelé Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), est une institution rattachée au Premier ministre. Elle a pour objectif de concourir à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation.