D’après les associations de soutien aux migrants, de plus en plus souvent les arrivants doivent subir « tris » multiples et répartitions contraintes, où ils sont bringuebalés de structures en structures, sans raisons valables ni finalité véritable.
Les événements récents au CAO de Saint-Pierre-des-Corps permettent de dire qu’un degré supplémentaire a été franchi par les autorités puisque deux ressortissants afghans ont été assignés à résidence et sont désormais sous la menace d’un avis d’expulsion... Voilà que les structures d’accueil comme les CAO et les PRAHDA servent maintenant d’antichambre aux renvois.
Entre espaces de détention camouflée et/ou espaces de passe-passe, les nouvelles procédures altèrent encore un peu plus le sens que gardaient encore les structures d’accueil en France.
Retour sur une procédure encore inédite localement
Interrogé ce lundi 21 août lors d’un rassemblement de soutien aux deux personnes menacées d’expulsion, le directeur du CAO a confirmé la nouveauté de ces pratiques d’assignations à résidence au sein de sa structure, couplées à des notifications d’expulsion avec billet de train et d’avion fournis sous quelques jours.
Après l’évacuation de 2 500 personnes Porte-de-la-Chapelle fin août à Paris vers des centres de tri provisoires (gymnases et autres structures réquisitionnées), ces pratiques concrétisent la volonté de l’État Français d’expulser rapidement les ressortissants dits « dublinés » (ressortissants qui ont été enregistrés à leur arrivée dans un autre pays d’Europe) ou déboutés du droit d’asile.
Après les déclarations du premier ministre Gérard Colomb qui réaffirme une volonté de tri entre les réfugiés politiques et économiques, et les mots du président Macron qui ne veut laisser personne sur les trottoirs de la capitale, on assiste bien ici à la concrétisation d’une volonté de fluidifier et d’accélérer le traitement des demandes d’asile.
Parallèlement aux annonces de nouvelles places d’hébergement, les assignations à résidence se succèdent au sein des CAO et PRAHDA [1] dans lesquels la police peut entrer à tout moment. A ce propos, le directeur du CAO de Saint-Pierre-des-Corps a bien rappelé ce lundi son impuissance face à une intrusion policière inopinée et son devoir d’informer les services de l’État de la non-disponibilité des places quand des personnes refusent de quitter les locaux.
Les deux cas du CAO de Saint-Pierre-des-Corps ne sont pas isolés ; la détention camouflée au sein même des structures d’accueil, puis l’expulsion potentiellement forcée avec intervention des forces de l’ordre semble à présent le mode opératoire dicté par le ministère et appliqué par les préfectures… Et ce même si les exilés sont originaires de pays en guerre ou jugés dangereux — comme l’Afghanistan dans ce cas précis.
L’ubuesque contradiction entre les accords de Dublin et les plans européens de répartition des réfugiés
Alors qu’au 10 avril 2017, la France n’honorait qu’à hauteur de 16 % ses engagements en matière d’accueil de réfugiés [2], des expulsions accélérées apparaissent comme à Saint-Pierre-des-Corps en application des accords de Dublin III.
En effet, la majeure partie des exilés arrive via l’Italie ou la Grèce, où ils sont enregistrés. D’après le règlement de Dublin, c’est donc à ces pays qu’il revient de traiter leurs demandes d’asiles. Or, la position géographique de ces pays fait que leurs capacités d’accueil sont saturées, et que les conditions de vie des exilés y sont de plus en plus précaires. Cela pousse nombre d’entre eux à continuer leur route, malgré les violences policières qu’ils subissent et les mesures répressives qui visent celles et ceux qui leur viennent en aide [3]. Pour autant, leurs demandes d’asile ne pourront donc être déposées dans les pays suivants.
Par ailleurs, certains pays comme la France ne respectent pas les engagements européens de répartition des personnes ayant obtenu le statut de réfugié, tout en orientant et en expulsant les « dublinés » vers les pays saturés… Ainsi, les délais de traitement se rallongent dans ces pays tant les retours (le plus souvent refusés par les intéressés) alimentent la saturation d’un système ubuesque, traumatisant et dégradant au regard des conditions d’accueil dans la grande majorité des pays d’Europe.
Les deux personnes notifiées d’expulsion à Saint-Pierre-des-Corps sont quant à elles menacées de renvoi vers l’Autriche et l’Allemagne.
L’hypocrisie des pouvoirs publics face au durcissement des politiques migratoires européennes
En octobre dernier, des accords ont été signés entre l’Europe et l’Afghanistan afin de faciliter le retour forcé des ressortissants afghans déboutés du droit d’asile [4]. Pays jugé sûr pour les uns mais pas pour tous, l’Afghanistan était alors fortement déconseillée aux ressortissants européens.
Alors que le président des États-Unis a annoncé l’envoi de nouvelles troupes sur le sol afghan, où la situation est loin d’être stabilisée, il a fallu qu’un attentat à Kaboul fasse 90 morts à la fin du mois de mai pour que l’Allemagne suspende les renvois d’exilés vers cette destination [5]. Les talibans occupent de nouveau à ce jour une majeure partie du pays et l’État Islamique est toujours implanté à l’est.
Comme d’autres pays européens, la Suède poursuit pour autant les expulsions et n’honore que 1 % des engagements de répartition des réfugiés en Europe [6].
L’Autriche, quant à elle, stagne honteusement à 0% des engagements européens. Le pays mène une politique drastique de restriction à l’immigration dans le but de fermer la route des Balkans et adopte des mesures qui fragilisent toujours plus les réfugiés [7].
Aussi, en 2016, l’Autriche prévoyait d’ores et déjà de reconduire sur l’année 2017 le numerus clausus de 37 500 établi en début d’année pour limiter les demandes d’asiles.
Dans ce contexte, les renvois français vers de tels pays ne sont-ils pas assimilables à des expulsions camouflées, ici vers l’Afghanistan, traduisant l’hypocrisie notoire face au durcissement des politiques migratoires en Europe ?
Interrogé à ce sujet, le responsable du CAO de Saint-Pierre-Des-Corps conseille en premier lieu d’accepter les reconduites en Autriche et en Allemagne et dit ne pas être en mesure d’émettre de tels jugements.
Que faire face aux politiques qui semblent nous laisser impuissants ?
Au delà de ces considérations, ne semble t-il pas simplement inhumain de faire le tri entre des personnes qui fuient la famine, la guerre ou des conditions de vie jugées trop difficiles et sans horizon ? De quel droit ferme-t-on des frontières et décide-t-on que telle ou telle partie du globe est sûre pour certains, quand ces même zones sont déconseillées aux Européens ? Ceux-là même qui, de naissance, ont le droit de se rendre à leur guise aux quatre coins du globe…
N’est-ce pas en s’appropriant les ressources de ces mêmes pays que se sont construits nos États, nos conforts égoïstes, et que le monde capitaliste scindé entre Nord et Sud a nourri les extrémismes les plus sombres à l’origine de nombreuses migrations ?
Ne rien faire, laisser les politiques migratoires se durcir, les assignations à résidence et les expulsions s’opérer dans le silence, sous nos fenêtres, ne revient-il pas à être complices tout en affichant, du bout des doigts nos désaccords sur les réseaux sociaux ?
Des collectifs de soutien tentent de se battre concrètement sur tout le territoire et montrent aux exilés une autre image de cette France qui se dit terre d’accueil. Leur porte vous est grande ouverte.
Illustration : l’un des ressortissants afghans ce lundi lors du rassemblement de soutien