Assemblées générales féministes à Tours : la nécessité de la non-mixité

Depuis début décembre, dans le cadre du mouvement social contre les réformes des retraites, il y a des AG féministes en non-mixité sans hommes cis-genres [1] ! Cela fait causer, réagir comme toujours ! Ça en dérange même certain.e.s !! J’ai voulu parler de ces réactions qui nous mettent en colère.

Lors du premier tract, rédigé dans le cadre du Réseau féministe d’Indre-et-Loire, nous avons choisi d’appeler à se retrouver dans le cadre d’une AG féministe sans hommes cis-genres. C’est un choix de ne pas formuler AG de femmes. Nous voulions sortir de l’identité unique de femme et être claires que ce lieu était ouvert aux personnes transgenres. Lors des tractages, le mot cisgenre a beaucoup interrogé car certain.e.s ne comprenaient pas ce qu’il voulait dire. Cette AG a voulu s’adresser aux lesbiennes, aux trans, aux meufs, aux femmes. Riches de l’histoire des luttes féministes passées et de leurs contradictions, nous souhaitons lutter ensemble contre l’hétéro patriarcat. 
 
Nous avons choisi de faire des AG en mixité choisie entre personnes concernées, et créer un espace politique qui nous ressemble, qui nous appartient, qui nomme les oppressions — entre autres sexistes — que nous vivons, et qui permette d’échanger sur les effets spécifiques de cette réforme des retraites. Ce choix d’organisation nous offre un espace de parole libérée, d’avoir une parole écoutée et considérée, ce qui est rarement le cas au sein des AG en mixité. Nous voulons nous organiser collectivement dans ce mouvement social. Ce qui ne nous empêche pas d’être présentes dans des espaces de contestation et de lutte en mixité, mais nous renforce pour aller dans ces espaces qui ne sont pas exempts d’hétéro-sexisme. 
 
Lors des moments de tractage, nous avons été reçues de manières très diverses, avec sourire et envie de nous rejoindre, curiosité, désintérêt, voire rejet formel. J’ai le sentiment qu’on n’avance pas sur le sujet des espaces non mixtes, qui ne sont pas acceptés pour ce qu’ils sont : des espaces politiques d’émancipation... Je ne parle pas des personnes qui s’interrogent, qui questionnent, qui appréhendent cette mixité choisie mais je m’adresse aux remarques piquantes, critiques acerbes, à la méfiance, à l’agressivité, à la répression. On nous dit encore et toujours : Ah vous excluez les hommes ?!! Ça sert à rien, ça divise la lutte ! Y a d’autres priorités !! 
 

Pourtant, la non-mixité comme outil politique d’émancipation, ce n’est pas nouveau !?

 
Par exemple, quand les syndicats de salarié.e.s se réunissent sans le patronat, on trouve cela normal, même évident. Par contre quand les femmes, meufs, lesbiennes, trans veulent se réunir sans la classe dominante [2], c’est-à-dire les hommes cis-genre, là c’est un problème ! Cherchez l’erreur ! La différence ?? 

Dans les années 60, aux États-Unis, pour la défense des droits civiques des noir.e.s américain.e .s, ces personnes ont dû sortir d’une non-mixité subie pour s’organiser politiquement en non-mixité choisie pour combattre le système qui les oppressait. Là aussi, il.elle.s ont vécu de la contestation, de la répression quant à leur choix d’organisation en non-mixité. 

Ce qui m’interroge dans ces réactions, c’est que j’ai l’impression que nous devons répéter ce que nos camarades d’avant ont déjà bien souvent raconté, expliqué, analysé. On peut citer Christine Delphy, féministe matérialiste sociologue : 

La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de l’auto-émancipation. L’auto-émancipation, c’est la lutte par les opprimés pour les opprimés. Cette idée simple, il semble que chaque génération politique doive la redécouvrir.
Christine Delphy, La non-mixité : une nécessité politique

 
Ou bien les organisatrices du Camp d’été décolonial, en 2016 : 

Quels que soient les groupes sociaux dominés concernés, il nous semble que oui, la non-mixité est une nécessité politique. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a été pensée et utilisée par des milliers de militant-e-s, qu’ils soient féministes, antiracistes ou anticapitalistes, depuis des décennies. Comme nous, ils ont dû constater que les réunions mixtes sont certainement nécessaires pour faire avancer les luttes mais que comme tout le reste, elles ont leurs limites. [3]

 
On en a d’autant plus marre de devoir se justifier qu’on voit bien que ce sont certaines non-mixités qui dérangent, qui interrogent, et pas d’autres ! Quand les femmes se réunissent pour causer avortement, maternité…, ça dérange moins, nous sommes beaucoup moins remises en question… Pourquoi pas nous réunir pour causer inégalités salariales, retraites, précarité, politiques sociales, économie, droit du travail ?... Bref, pour échanger sur nos conditions matérielles d’existence, et pas seulement des questions de reproduction ! 
 
Laissez-nous choisir nos espaces d’émancipation et d’organisation collective !!! 
 
Sortons aussi des fantasmes ! Notons que les féministes qui se réunissent sans hommes cis-genres ne passent pas leur temps à parler d’eux ! On a bien d’autres sujets à se partager ! Vous êtes le « centre du monde » dans cette société patriarcale mais pas dans nos échanges. Ces espaces sont, avant d’être des espaces contre vous, des espaces POUR NOUS !

Jo, participante aux AG féministe

Notes

[1Une personne cisgenre est une personne dont le genre est conforme au sexe assigné à la naissance.

[2Pour le courant féministe matérialiste, l’origine du patriarcat ne doit pas être cherchée dans une quelconque nature spécifique des femmes, qu’elle soit biologique ou psychologique, mais bien dans l’organisation de la société. Les féministes matérialistes se sont donc attachées à analyser les « rapports sociaux de sexe » (c’est-à-dire le genre), comme un rapport entre des classes sociales antagonistes (la classe des hommes et la classe des femmes), et non entre des groupes biologiques. Cf Wikipédia.