Action contre l’accaparement de terres agricoles par des investisseurs

Pour dénoncer l’accaparement de terres agricoles par des investisseurs, la Confédération paysanne de Touraine a installé symboliquement trois petites « fermes » sur dans un champ concerné par une vente de plusieurs centaines d’hectares en cours à Crouzilles. Dans son communiqué, le syndicat expose ses propositions pour inverser la tendance.

Actuellement, il n’est pas rare que des terres agricoles soient achetées par lots de centaines d’hectares, par des sociétés qui ont les moyens d’investir, au détriment de paysan-nes qui auraient besoin de quelques hectares pour s’installer ou conforter leur ferme. La Confédération paysanne avait dénoncé déjà par exemple une acquisition de 725 hectares dans le Lochois en février 2017 [1].

Parfois les acheteurs utilisent ensuite les compétences de ceux qui ne peuvent plus être paysan-nes en les prenant comme salarié-es ou, pire, comme prestataires de services. La prestation, qu’on appelle « travail à façon » dans le monde agricole, cela veut dire que celles et ceux qui travaillent la terre comme prestataires sont à la merci des décisions des propriétaires, sans garantie de leur activité à long terme. Serait-on en train de vivre un retour au servage ?

Cet accaparement foncier de grande échelle est encouragé par l’absence d’encadrement du prix de la terre agricole : suivant la loi du marché, c’est le plus riche qui achète la terre, peu importe s’il préfère en faire un terrain de chasse plutôt qu’une production pour nourrir les gens qui habitent autour. Le fait que les aides européennes agricoles soient très liées à la surface, sans plafonnement, encourage également l’accumulation de surfaces de plus en plus importantes dans les mains de moins en moins de personnes.

« Limiter la spéculation sur les terres agricoles »

Alors qu’un nouveau cas d’achat d’une surface de plusieurs centaines d’hectares serait en cours dans le Bouchardais, par une société déjà propriétaire d’autres parcelles agricoles, la Confédération paysanne de Touraine a souhaité mettre en lumière cette dérive foncière. Le syndicat a symbolisé trois petites fermes sur une des parcelles concernées par la vente, pour réclamer :

  • une loi foncière qui encadre les prix, pour limiter la spéculation sur la terre agricole ;
  • le plafonnement des aides publiques par ferme et la prise en compte du nombre d’actifs qui travaillent sur la ferme, pour que l’argent public aille prioritairement aux fermes qui créent de l’emploi sur nos territoires ;
  • et des moyens pour que la Safer [2] et la CDOA [3] puissent enfin réellement jouer leur rôle, c’est-à-dire contrôler la taille des structures et les transactions foncières, et dans les cas où plusieurs candidats sont intéressés par des terres : donner la priorité aux paysan-nes qui cherchent à s’installer ou conforter leur ferme.

La future loi foncière, actuellement en discussion, doit absolument prendre en considération ces revendications pour inverser la tendance. Car dans les conditions actuelles, quasiment impossible pour un candidat à l’installation de se positionner face à des investisseurs prêts à acheter des centaines d’hectares : s’il apprend qu’un compromis de vente a été signé sur des parcelles qui l’intéressent, le candidat a quinze jours pour se positionner. Quinze jours c’est très court, surtout si les surfaces sont considérables et qu’on pourrait imaginer, en s’en donnant les moyens, installer plusieurs fermes sur la surface totale. Et, sans pression des pouvoirs publics, le propriétaire préférera de toutes façons bien souvent vendre à celui qui achète le tout, plutôt que séparer en plusieurs lots.

A la Confédération paysanne, depuis trente ans nous sommes convaincus que trois petites fermes valent mieux qu’une grande, pour les paysan-nes mais aussi pour pour l’environnement, la vie dans les campagnes, l’emploi, le paysage. C’est pourquoi nous continuons de nous battre pour que les politiques publiques soutiennent des installations nombreuses partout sur le territoire et ne restent pas impassibles devant des investisseurs qui s’accaparent l’espace par lots de centaines d’hectares à coups de millions d’euros !

Hasard du calendrier, cette action calée sur les échéances de la Safer d’Indre-et-Loire est tombée en même temps que l’intervention policière à Notre-Dame-Des-Landes. En ce jour particulier, la Confédération paysanne de Touraine tient à apporter son soutien à toutes celles et ceux qui subissent en ce moment l’évacuation brutale de la ZAD, qui met en péril, entre autre, la réflexion collective sur l’avenir de ces terres agricoles sauvées de l’urbanisation.

Notes

[1Lire le communiqué : Installons des paysans !

[2La Safer : Société d’aménagement foncier et d’établissement rural. Quand plusieurs candidat-es se présentent pour l’acquisition d’un bien agricole, la Safer arbitre entre eux en fonction de "priorités légales" : "viabilité économique" du projet agricole, priorité à l’installation ou à la confortation d’une ferme (c’est-à-dire une ferme qui a besoin d’hectares supplémentaires pour arriver au seuil de viabilité économique) et maintien en agriculture biologique si les terres en vente sont déjà labellisées agriculture biologique.

[3CDOA : Commission départementale d’orientation agricole. La CDOA a pour mission de "favoriser l’installation des jeunes agriculteurs et conforter les exploitations agricoles jusqu’à un niveau de viabilité défini [régionalement]". Elle délivre des "autorisations d’exploiter", nécessaires dans plusieurs cas pour accéder au foncier en vente ou location, par exemple si la surface visée dépasse 102 hectares en polyculture élevage.