« Rassemblement citoyen », « creuset citoyen », « cogitations citoyennes »... La figure du citoyen a été largement mobilisée par la liste d’Emmanuel Denis en amont des élections municipales. Pourtant, la composition sociale du conseil municipal montre que tous les citoyen·nes ne sont pas également représenté·es, et que les nouveaux élus sont loin d’être représentatifs de la population locale.
En nous appuyant sur les données de l’INSEE et sur celles du répertoire national des élus, nous avons comparé les catégories socioprofessionnelles des élu·es avec celles de leurs administré·es. Et l’écart est flagrant. Les cadres et professions intellectuelles supérieures sont largement surreprésentés, tandis que les ouvriers et employés sont sous représentés.
Les données utilisées dans le répertoire national des élus sont déclaratives, et certains points méritent d’être corrigés pour avoir une vue plus fidèle de la situation. Ainsi, pour Jean-Patrick Gille et Cathy Munsch-Masset, le libellé de la profession retenu est « professions intermédiaires de la santé et du travail », qui comprend par exemple les infirmièr·es et les animateur·ices de loisirs. Compte tenu de leurs parcours professionnels et politiques, il semble plus pertinent de les rattacher à la catégorie des cadres [1]. Député PS pendant dix ans, Gille est désormais chargé de mission dans une association nationale qui se présente comme « un accélérateur d’emploi et de croissance au cœur de votre territoire » ; il cumule les mandats de conseiller régional, de conseiller municipal, et de vice-président au conseil métropolitain ; il est également président de l’Union nationale des missions locales. Munsch-Masset est diplomée de Sciences Po Bordeaux, et est directrice de l’association Habitat et Humanisme Indre-et-Loire, après avoir longtemps travaillé pour le ministère de la Justice ; elle cumule les mandats de vice-présidente du conseil régional, première adjointe au maire de Tours, et vice-présidente au conseil métropolitain.
On peut aussi ramener les « retraités » dans leur CSP d’origine, selon qu’il s’agit d’anciens cadres, employés, etc. En corrigeant les données, le poids des cadres au sein du conseil municipal devient encore plus écrasant, comme le montre le diagramme suivant.
La situation est similaire au niveau métropolitain, où plus de la moitié des élu·es appartiennent à la catégories « cadres et professions intellectuelles supérieures », ou sont des cadres retraités, alors que cette population ne constitue que 10% des habitant·es de l’agglomération. Les postes de vice-président·es sont occupés à 75% par des élu·es relevant des catégories « cadres et professions intellectuelles supérieures » ou « artisans, commerçants, chefs d’entreprise ».
Homogénéité sociale et domination bourgeoise
Cette domination politique des cadres ne constitue ni une surprise, ni une nouveauté. Elle n’est pas non plus spécifique à Tours : comme l’a relevé Médiacités, à Lyon, 67% des nouveaux élus appartiennent à la catégorie « cadres et professions intellectuelles », contre seulement 19% des Lyonnais [2].
Mais elle invite à interroger la notion de citoyenneté, telle que déployée par les multiples « listes citoyennes » qui ont fleuri dans le cadre des élections municipales de 2020, dont la liste Pour Demain Tours [3]. Le terme, martelé à outrance [4], pouvait laisser imaginer que les nouveaux élus seraient plus représentatifs de la population tourangelle. Ce n’est visiblement pas le cas.
Et si l’étiquette citoyenne a régulièrement été utilisée par ces listes pour décrire la perspective d’un pouvoir plus proche des habitant·es, moins vertical, faisant la part belle à la consultation, l’exemple de Grenoble montre les limites de ces engagements à l’écoute et à la participation. Dans la ville dirigée par Eric Piolle, pris en exemple par le nouveau maire de Tours, la municipalité a balayé d’un revers de la main une initiative de consultation des habitant·es du quartier de la Villeneuve sur la destruction de logements sociaux.
La surreprésentation des cadres au sein des exécutifs locaux n’est pas sans effets sur la manière d’exercer le pouvoir. Comme le notait Guillaume Gourgues, maître de conférences en sciences politiques à l’université Lumière Lyon 2, dans l’article consacré à cette problématique par Médiacités :
« L’homogénéité sociale pose problème à cause de la faible diversité des points de vue. Cela entame la capacité à se projeter dans les situations vécues par les habitants du territoire »
Concrètement, cela signifie que les élus bourgeois posent un regard de bourgeois sur les questions locales, et leur appliquent des solutions de bourgeois. Et l’on peut s’attendre à ce que cela ait des effets concrets sur les politiques mises en œuvre, tant sur le logement que la sécurité, l’emploi, l’urbanisme ou la mobilité.
C’est aussi par la composition sociologique des assemblées locales qu’on peut comprendre l’une des premières mesures adoptées par le conseil métropolitain. En augmentant de 30% les indemnités versées aux vingt vice-président·es de la métropole [5], qui atteignent désormais 2 295 euros, les nouveaux élus préservent leurs revenus et leur train de vie, en même temps qu’ils nous offrent un beau symbole. D’après les données de l’INSEE, 68% des salarié·es ont un salaire mensuel inférieur à cette somme. Mais ce sont précisément ces salarié·es qui sont exclu·es de l’exercice du pouvoir.