À Coussay-lès-Bois, mobilisation contre une ferme-usine censée accueillir 1 200 taurillons

Un projet de ferme-usine de 1 200 taurillons devrait bientôt voir le jour sur la commune de Coussay-Les-Bois (Vienne), malgré le refus des communes du canton concerné et une mobilisation importante d’habitants, d’agriculteurs, et d’associations locales aux divers appuis. Le préfet a validé les demandes de permis de construire, ignorant les conclusions alarmantes de l’enquête publique.

Petite histoire du site...

Le site qui doit accueillir ce projet de ferme-usine a une histoire complexe. La commune de Coussay-les-Bois accueillait déjà un centre d’enfouissement controversé, construit par Suez Environnement. Cinq ans après l’ouverture de ce centre, un site de compostage a vu le jour de l’autre côté de la route, à proximité d’une zone protégée.

Ce centre d’enfouissement accueillait entre autres les déchets de l’hôpital de Châtellerault, à une époque où l’utilisation des géo-textiles au fond des casiers d’enfouissement n’était pas encore de vigueur. Les casiers étaient alors simplement recouverts d’argile, avant que les géo-textiles ne soient utilisés pour « empêcher » toute fuite. Aucune vérification d’étanchéité de ces casiers ne peut être envisagée aujourd’hui tant les risques d’échappement de gaz nocifs sont importants. Nous ignorons ce que l’on trouverait alors… Ah, la bonne veille méthode du trou… Ce qu’on ne voit pas n’existe pas… Le centre d’enfouissement de Suez Environnement est encore actif à ce jour.

La plate forme de compostage ouverte par Suez a été vivement critiquée suite à des soucis de logistique, de maintenance et à des dégagements de méthane nauséabonds sur la commune. Différents recours de la maire de Coussay-Les-Bois, couplés à l’action de l’association ASPECT, qui a été créée en réaction au projet et pour garder un œil sur les pratiques environnementales des environs, ont conduit à la fermeture du site par la préfète de la Vienne.

Alors laissée à l’abandon, la plateforme a ensuite été échangée par Suez à un certain M. Liot, figure industrielle locale, contre des parcelles de pâturage.

Une zone à risque élevé pour l’eau…

Quoi de mieux pour construire une plateforme de compostage et un site d’enfouissement qu’une zone surplombant une nappe phréatique affleurante (à une profondeur de 5 à 20 mètres seulement), qui alimente le réseau d’eau potable des quelques 3 000 foyers et 5 000 habitants des communes de Lesigny, Mairé et Coussay-Les-Bois ?

Les appareils de mesure disposés sur le site d’enfouissement pour contrôler la qualité de l’eau montrent des valeurs de chlorure au-delà des limites tolérées dans l’eau potable : 700mg/L contre 200mg/L tolérés, chiffres disponibles à la mairie de Coussay. Mais cela reste soi-disant sous contrôle...

Un hydrogéologue commandité par la préfecture a rendu à ce propos des conclusions alarmantes.

Le projet de la SCEA Les Nauds de M. Liot

M. Liot est un agro-industriel local de 78 ans, propriétaire de deux fermes et de trois usines d’aliments de bétail (rachat de déchets de céréales pour en faire des aliments pour élevage). Son nom est connu dans la région aussi pour son usine d’œufs (et d’œufs en tube, hum…) rachetée et gérée à ce jour par ses frères qui l’en auraient exclu.

Suite à l’échange des terres avec Suez, M. Liot a déposé un permis de construire via l’une de ses société, la SCEA Les Nauds, pour un bâtiment agricole pouvant accueillir 1 200 taurillons, une centrale de méthanisation, le tout couplé à une installation photovoltaïque pour produire de l’électricité. M. Liot, produisant des aliments de bétail, pourrait ainsi écouler ses propres produits et aurait conclu des accords avec les agriculteurs locaux, notamment pour les volumes de paille colossaux nécessaires à une ferme-usine de ce type.

Le photovoltaïque, une installation inappropriée mais des aides et avantages non négligeables…

Le photovoltaïque (production d’électricité par panneaux dans le but d’être revendue) est un marché florissant, le prix des panneaux ayant fortement chuté et le prix de rachat de l’électricité étant indexé à la date de dépôt du permis de construire, soit ici en 2014, 0,28 euros du Kw contre environ 0,15 euros à ce jour.

Bingo ! donc pour notre cher industriel qui peut ainsi légitimer l’exploitation photovoltaïque par son activité agricole, condition sine-qua-non pour l’obtention du permis de construire. Petite parenthèse : l’argument selon lequel la production d’énergie solaire contribue à réduire l’émission de gaz à effet de serre est rendu caduque dans ce cas. Couplé à de l’élevage intensif, les sources de pollution sont alors nombreuses (gaz issu du bétail, rejets polluants dans les eaux usées, export et transport du bétail par la route…).

L’Etat encourage les constructions de bâtiments photovoltaïques via des aides, et certaines entreprises proposent même, ici par exemple, de prendre en charge la construction des bâtiments contre les bénéfices engendrés par la production électrique sur une certaine période. L’exploitant agricole devient ensuite propriétaire des locaux sur une vingtaine d’années.

Tout bénef’ pour ce patron qui projette de produire environ 15 000 taurillons par an dans une ferme d’une soi-disant capacité d’accueil de 1 200 taurillons, employant 4 salariés seulement (le nombre de 2 salariés n’étant pas passé dans le projet initial, celui-ci a été revu à 4).

Une centrale de méthanisation

M. Liot et la SCEA Les Nauds projettent également de coupler à ces productions une centrale de méthanisation. Encouragée par le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, cette pratique a pour but de limiter les impacts de l’élevage sur l’environnement et de produire du biogaz. La méthanisation vise à valoriser les déchets animaux pour en faire un digestat (fumier > digesteur > biogaz et digestat), source d’azote pour les cultures. Pour autant, ce digestat n’est pas du fumier et contient une forme d’azote très lessivable et donc instable si soumis à des pluies.

Le plan d’épandage soumis par la SCEA Les Nauds étant majoritairement sur des céréales (mono-culture majoritaire dans la région), il est clair que cela entrainerait une pollution accrue des nappes et cours d’eau.

Une étude d’impact bidon

C’est notamment pour cette raison que la chambre d’agriculture locale a refusé de réaliser l’étude d’impact nécessaire au dépôt du dossier. Celle-ci a donc été confié à une entreprise privée hors domaine agricole, ce qui y explique le nombre colossal d’erreurs et d’aberrations :

  • place règlementaire par animal non-respectée : 4m2 contre 7 légalement ;
  • taille des couloirs ou des courettes inappropriée pour le passage du tracteur ;
  • absence de bâtiment de mise en quarantaine en cas de maladie ;
  • absence de local type bureau ou vestiaire prévu pour les employés ;
  • aucun logement adjacent pour une alerte incendie ;
  • portions par animal erronées (1kg par jour contre 8kg normalement, mettant en évidence l’incompétence de l’entreprise qui a réalisé l’étude et qui a inversé nourriture et paillage…), etc.

L’enquête publique ouverte début 2016 a clairement mis en lumière ces nombreuses aberrations et bien d’autres, démontrant que les bâtiments et les méthodes envisagées n’étaient pas viables, voire étaient clairement néfastes pour l’environnement, les salariés et les animaux.

Autre exemple, concernant la pollution des eaux déjà menacées par Suez et son site d’enfouissement : la SCEA Les Nauds prévoit un bassin de décantation des eaux usées bien trop petit par rapport au nombre de bêtes. La seule solution envisagée en cas de débordement est un reflux vers les fossés adjacents, toujours proche de la nappe phréatique qui alimente en eau potable les communes alentours… La SIVEER, syndicat des eaux de Vienne, a fait une contribution à l’enquête publique qui insiste sur les risques de pollution quant à la nappe affleurante, déjà soumise à des risques importants par les forages de la station d’enfouissement adjacente.

Des réactions politiques locales ignorées et muselées par le préfet

Deux permis de construire ont été déposés, un pour les bâtiments photovoltaïques par l’entreprise Technique Solaire et un pour l’entreprise de M. Liot, l’activité agricole et la centrale de méthanisation. Ces permis de construire ont été refusés par le maire de Coussay-Les-Bois.

Aussi, 9 communes du canton ont été consultées et tous les conseils municipaux ont voté majoritairement contre le projet, les communes concernées par le plan d’épandage devant légalement donner leur avis.

Suite à ce refus, M. Liot n’a pas baissé les bras et, quel miracle, les permis ont été signés par le sous-préfet de Montmorillon. Deux recours ont été déposés et un commissaire enquêteur a donc été nommé par la préfecture pour doléances.

180 contributions écrites ont été déposées, parmi lesquelles 4 seulement étaient positives — dont celle du vétérinaire de Coussay, perspectives économiques obligent... finie l’image du bon vétérinaire soucieux du bien-être animal —, et donc 176 contributions négatives. La conclusion du commissaire enquêteur a tout de même été positive. Cela n’est pas sans rappeler les méthodes courantes de soi-disant consultations citoyennes sur les projets urbanistico-affairistes de nos chères villes.

Comble de l’ironie, la communauté de commune soutient activement l’association ASPECT, fortement engagée contre la ferme-usine, via la reconduction de sa subvention. Comment les voix des habitants, des communes consultées, des associations locales, des professionnels consultés via des expertises, des syndicats des eaux peuvent-elles être ignorées à ce point, réduites à néant par la préfecture et le sous-préfet, et ce malgré les contributions de l’enquête publique ?

Quelques aberrations du projet de production agricole

Nous avons vu comment la méthanisation promue par M. Le Foll, ministre de l’agriculture, peut être une aberration, de par une application approximative et mal gérée, et conduire à diversifier les sources de pollution (rejet des gaz liés à l’élevage, traitement des eaux usées difficile à ces volumes, pollution des sols suite à une utilisation inappropriée du digestat issu de la méthanisation du fumier).

La viande de taurillon est une viande blanche peu consommée en France, les Français préférant la viande rouge. Le taurillon est un produit qui vise des pays comme le Portugal ou l’Italie qui consomment le bœuf jeune, préférant une viande qui ne saigne que très peu. Sur une exploitation de ce type, 70% de la production part à l’exportation. Pour autant, avec la crise agricole qui sévit en Europe, les italiens réclament de plus en plus de la viande « engraissée en Italie ». Cette exportation est bien entendu source une nouvelle fois de pollution de par le transport et sa rentabilité est à ce jour clairement remise en question.
Toujours la même rengaine, produire de manière intensive en détruisant les terres pour exporter ensuite la production à des milliers de kilomètres...

Enfin, les conditions de vie des animaux sont évidemment déplorables dans ce type de projet, avec le moins possible de main d’œuvre disponible afin de réduire les coûts et un système de production pensé uniquement pour les chiffres, d’autant plus dans ce cas où la rédaction du projet ainsi que l’étude d’impact ont été confiés à une entreprise privée qui ne connaît rien à l’agriculture.

Une importante mobilisation

Les Coussayais, déjà si heureux d’héberger au sein de leur commune les activités d’enfouissement de Suez-Environnement voient naitre, impuissants, un bien sombre projet agricole dirigé par un vieillard en quête de reconnaissance familiale, guidé uniquement par le profit, et ignorant avec mépris les répercussions dévastatrices à long terme sur l’environnement de la production intensive animale.

Habitants, agriculteurs locaux, communes du canton et associations se battent depuis plus de deux ans contre son projet, ignorés de l’autorité de l’Etat en la main du préfet et du sous-préfet dont les intérêts sont ici illisibles et obscurs.
Des manifestations ont déjà eu lieu mais suite aux débuts imminents des travaux, une journée de mobilisation a été organisée sur place le samedi 12 novembre, et une nouvelle manifestation est prévue le samedi 26 novembre à Poitierss.

D’autres projets de ferme-usine voient le jour un peu partout en France et en Europe. Le projet de Monts (37) a avorté grâce à une importante mobilisation, démontrant clairement que ces luttes ne sont pas vaines et que le pouvoir de nos mobilisations est bien réel.

Rendez-vous à Poitiers le 26 novembre à 14h30 place de l’hôtel de ville pour une manifestation contre la ferme-usine et son monde ! [1]

Voir la carte des projets de fermes-usines en France.

P.-S.

Nombreuses infos sur http://asso-aspect.over-blog.com/

Enquête publique sur www.vgca.fr/enqu%C3%AAte-publique-coussay/

Notes

[1Détails de la mobilisation sur le site d’ASPECT.