Retour sur l’épopée des TRACMA

Nous vous proposons ici de revenir sur l’article Montlouis : l’épopée des TRACMA paru dans le Nouveau Ligérien n°5. Cet article retrace une dizaine d’années de militantisme de la section syndicale CGT et du travail mené avec elle par les salariés de TRACMA en intervenant dans les choix stratégiques de leur entreprise.

TRACMA est une entreprise spécialisée dans la production de tracteurs spécifiques pour l’aéronautique, son siège social est situé à Montlouis-sur-Loire depuis 1960 et fait partie depuis 1990 du groupe TLD.

Inversion des rôles : comment, alors que les patrons successifs faisaient du sabotage, le syndicat a été amené à faire le travail des patrons...

Depuis plus de dix ans, les TRACMA luttent pour leur existence contre la loi du profit maximum. Pourtant, à aucun moment l’entreprise n’a été confrontée à la ’crise’, la TRACMA a toujours rapporté beaucoup d’argent à ses propriétaires, lesquels ont cherché par tous les moyens à couler la boite.

L’histoire de cette usine, c’est surtout l’histoire de la section syndicale qui, par son incroyable activité, a toujours mis en échec l’incompétence ou les funestes projets patronaux.

Il y a environ 40 ans naissait la TRACMA. Le propriétaire fondateur prit rapidement conscience qu’il pouvait faire mieux que les quelques remorques sur mesure dont il tirait déjà de substantiels profits, aussi lança-t-il la fabrication des tracteurs de manutention, ce qui allait devenir la principale activité de l’usine Montlouisienne.

C’est en 1968 que la section syndicale C.G.T. prend une réelle importance, mais aucun signe de danger ne stimule son activité. En 1973, le propriétaire sur ses vieux jours brade son oeuvre à l’américain OTIS par l’intermédiaire de la filiale SAXBY. SAXBY ne manifestant aucun intérêt pour le marché de la manutention, les inquiétudes commencent à poindre, mais la boite est encore florissante : elle fabrique, pour l’industrie, l’armée et les aéroports, des tracteurs de manutention de 1,5 à 2,5 tonnes au crochet ; 50 % du chiffre d’affaires est fait a l’exportation les effectifs avoisinent la centaine ; c’est le plein essor ; c’est même l’essoreuse, car SAXBY se contente d’empocher les bénéfices sans jamais investir, usant et abusant de la situation, puisque TRACMA a le monopole du tracteur thermique.

En 1983, la section syndicale s’inquiète du manque de dynamisme de la direction concernant les investissements et la prospection ; l’exemple de FENWICK soutenu en vain par l’État fait craindre le pire ; de plus, SAXBY se restructure et vend son activité signalisation automatisme à Jeumon-Scheider, torpillant ainsi l’évolution de la manutention tractée et préparant du même coup la reprise éventuelle par LANCERBOSS (G.B.)... lequel se désistera.

Fin 83, le carnet de commandes donne des signes de faiblesse et le 15 décembre 84 commence le chômage partiel. Alors les délégués du Comité d’Entreprise et du personnel rendent visite aux clients TRACMA — industries, aéroports, compagnies aériennes — par l’intermédiaire de leur syndicat : il était évident que des besoins se faisaient sentir dans l’évolution du matériel. Les TRACMA préparent eux même un plan de modernisation.

Pendant ce temps là, SAXBY (1984) ferme l’usine de Briare (190 emplois). FENWICK, après avoir reçu près de 50 milliards du gouvernement, est rachetée par l’allemand LINDE. SAXBY manifeste de plus en plus sa volonté de se débarrasser de TRACMA.

Pourtant les délégués de TRACMA interviennent partout où c’est nécessaire : ministère de l’Emploi, de l’Industrie, des Transports, préfet, députés... Ils prennent contact avec BALKANCAR, premier producteur mondial de chariots élévateurs (Bulgarie), et devant la complémentarité de la production des deux entreprises, ils proposent un partenariat : la solution est refusée par les ministères concernés ; tout comme avait été refusée l’association FENWICK-SAXBY.

En mai 84, le syndicat présente un projet de développement très sérieux avec des débouchés commerciaux, mais la direction générale ne veut pas en entendre parler.

Tenaces, les TRACMA obtiennent la tenue d’une table ronde (SAXBY - AIR FRANCE - Ministere - Syndicat - TRACMA) fin 1984. Ils ont un projet qui leur tient à cœur le TAPR : un tracteur porteur alliant puissance et dextérité capable de conduire un Boeing dans tous les coins des aéroports. La réunion est positive ; les TRACMA construiront le TAPR. D’autres marchés sont reconquis par l’amélioration de la production. Non seulement il n’y a plus de chômage technique, mais l’usine a du mal à faire face aux commandes.

Octobre 1985 : LANSING (G.B.) achète SAXBY à OTIS avec la ferme intention de restructurer, mais les commandes sont là et l’usine de Montlouis a du mal à faire face, les délégués réclament des emplois, ce qui n’est pas du goût de la direction générale. Il faudra une lutte de l’ensemble du personnel pour que l’embauche ait lieu, notamment en 1986. La section syndicale découvre d’autres marchés, notamment celui des tracteurs électriques. Mais la direction générale s’oppose à cette production sur le site de Montlouis, car LANSINGBAGNALL (G.B.) se réserve ce créneau.

1988 : La fusion avec MANUSERVICE entraîne un plan F.N.E. avec 12 licenciements. Les délégués cherchent la cause de la baisse des commandes et découvrent que les directeurs (technique et commercial) de Montlouis piratent la production TRACMA au profit de la SEPMA dont ils sont actionnaires. L’intervention du syndicat et de la Direction Générale de Montlouis entraînera le limogeage de ces deux directeurs.

1989 : STILL, dépendant de LINDE, achète SAXBY, et voilà la TRACMA dans le même groupe que FENWICK. Malgré les marchés importants de l’usine de Montlouis, les allemands revendent la TRACMA à PROEINANCE (33 millions de francs) qui, après compression du personnel, revendra la TRACMA un an plus tard, pour 40 millions, à TELEFLEX LIONEL DUPONT dont dépend AET (Airport Equipement Technologie). À ce jour, AET se satisfait de son acquisition qui lui rapporte environ 6,5 millions par an tous frais déduits. Malgré la bonne santé de l’entreprise et la relative stabilité des propriétaires, les TRACMA sont sur leurs gardes, car à chaque changement de direction, ils ont dû essuyer les plâtres de compressions ou de tentatives de compression. Aussi le syndicat reste-t-il très vigilant sur les comptes de l’entreprise, l’évolution du matériel, et les marchés.

Les délégués interviennent à tout moment. Ils ont obtenu la modernisation de l’usine et l’informatisation de la gestion. En collaboration avec les CHSCT (Comités Hygiène Sécurité Conditions de Travail), ils ont fait évoluer les modèles, ce qui a permis de reprendre une partie du marché à LANSING qui avait le monopole du tracteur électrique (Air France PTT SNCF).

De ce fait, les TRACMA sont syndiqués à 50 % à la C.G.T., seule organisation du site. Les habitudes prises au cours des luttes sont maintenues ; les assemblées générales du personnel sont fréquentes, et tout le monde est présent. Les décisions sont prises collectivement, le personnel est informé et consulté. Ces pratiques démocratiques sont facilitées par le non-cumul des mandats de délégués.

Bien sûr, le collectif syndical TRACMA est fier de ces dix ans de luttes qui ont permis de maintenir l’existence de leur usine. Mais ces militants sont principalement attachés à leur expérience et aux leçons qu’ils en ont tirées, aux règles qu’ils se sont fixé :

  • assurer au quotidien le travail syndical, car il n’y a pas de trêve dans ce domaine
  • ne jamais prendre de décisions sans en avoir débattu au syndicat et avec le personnel
  • respecter l’avis des autres et le vote majoritaire
  • éviter le cumul des mandats et repartir les taches sur le plus grand nombre de syndiques
  • maintenir la cohésion du personnel
  • informer le personnel de toutes les activités du syndicat.

Ainsi les TRACMA continuent-ils leur travail avec sérénité et modestie, conscients des incertitudes de l’avenir, mais aussi de leur force.

Michel Gaillard

Cet article met en évidence l’ambiguïté du syndicalisme révolutionnaire entre d’une part un discours offensif de transformation sociale, et d’autre part un travail opéré par la base dans les entreprises pour préserver l’emploi, découlant de la volonté des salariés (la critique du travail est loin). Bien que touchés par la critique du travail et du salariat, ces employés s’attèlent en premier lieu à préserver leurs emplois et par conséquent leur entreprise.

Une vision réformiste voire "jaune" de l’action militante ?

Pas nécessairement, on ne parle pas ici de cogestion [1] , mais plutôt d’un contrôle des salariés et du syndicat sur la gestion et les stratégies de l’entreprise. L’analyse de la vie de leur entreprise, la diffusion auprès des collègues des informations et d’un avis, permît au syndicat de lancer des discussions et de mettre par la suite en place des luttes revendicatives afin de tendre vers de meilleures conditions de travail et de rassurer leurs collègues sur un point crucial pour la plupart : la pérennité de leurs emplois.

On est quand même ici bien loin des conseils d’usine ou des usines autogérées [2].

P.-S.

La Rotative s’est construite et nourrie des expériences de presse alternative passées et actuelles. En Indre-et-Loire, différents journaux militants ont vu le jour puis se sont éteints, relayant les actions de transformation sociale et les réflexions de leurs contemporains.
Il nous a semblé sympa de faire un focus sur ces journaux, voir quelles aspirations avaient leurs créateurs, quels sujets y étaient traités. Nous tenterons de mettre les réflexions et questionnements menés en perspective avec ceux d’aujourd’hui. Régulièrement, des articles ou anecdotes de ces journaux seront présentés sous plusieurs formes afin de tenter de faire ressortir l’esprit qui animait ces journaux.

Pensez à voir et revoir les autres articles du Nouveau Ligérien mis en valeur :
Presse militante en Touraine : quand Le Nouveau Ligérien parlait d’IVG

Notes

[1La cogestion part d’un principe de gestion en commun d’une entreprise ou d’un organisme par les différents membres qui le composent. La cogestion est présentée comme garantie d’un fonctionnement "fluide" de la société, garantie censée apporter de la croissance et de la compétitivité. Or il s’avère que cette cogestion ne reflète pas les aspirations des salariés : en effet quelle personne est-elle prête à échanger ses acquis contre une flexibilité accrue, une charge de travail sans cesse en augmentation et ce même dans des domaines comme par exemple la santé où cette tension met la vie des patients en danger et accroît les inégalités d’accès aux soins, aux prises en charges.

Quel sens donner à cette cogestion, à ces partenaires sociaux parmi lesquels les dits "représentants syndicaux" s’assoient constamment à la même table que les exploiteurs jusqu’à en reprendre le vocabulaire et les codes sociaux. Cette cogestion est l’aboutissement final de l’intégration du syndicalisme au système de domination, intégration qui donne le change lorsque les rapports de force ne sont pas trop défavorables aux travailleurs (Le système octroie quelques miettes) mais fonctionne à plein lorsque le pouvoir décide de garder la main.

[2Une rencontre des travailleurs des usines autogérées se sont réunis à Marseille recensement : http://liberteouvriere.wordpress.com/2014/04/07/rencontres-leconomie-des-travailleurs-vers-un-reseau-mondial-dusines-autogerees/