Quand Sophie Auconie défend une vision approximative de l’Histoire au service d’une idéologie réactionnaire

En relayant une certaine vision de l’Histoire, Sophie Auconie laisse planer le doute sur sa propre vision de l’histoire nationale.

Le 20 décembre, la députée européenne et candidate aux élections municipales à Tours Sophie Auconie relayait un « tweet » de l’émission Les Grandes Gueules citant l’ex-acteur Lorant Deutsch : « L’Histoire n’appartient pas qu’aux historiens. Elle nous appartient à tous. »

Quand Lorant Deutsch dit cela, il s’agit pour lui de couper court aux critiques formulées par des historiens à propos des deux ouvrages qu’il a publié, Métronome et Hexagone. Face à ceux qui lui reprochent de commettre de nombreuses inexactitudes et de détourner les faits au service d’une idéologie douteuse, Deutsch avait déjà déclaré :"Je ne suis pas un historien au sens universitaire du terme mais un passionné d’Histoire, un transmetteur d’Histoire et un conteur d’histoires" [1].

Puisqu’il n’est pas historien, il serait injuste de lui reprocher des erreurs ou approximations. Et il peut par exemple avancer sans sourciller que le Louvre a été fondé par le père de Clovis au Ve siècle, alors qu’il a été commencé, au mieux, à la fin du XIIe siècle [2]. Ce type d’erreur pourrait sembler sans conséquence si l’extrême-droite ne s’en servait pas pour faire son beurre, les identitaires parisiens saluant dans le travail de l’écrivain une « démarche de ré-enracinement » donnant la preuve d’un « effacement progressif » d’une identitée mystifiée [3].

Mêmes approximations quand Deutsch évoque la bataille de Poitiers dans son dernier ouvrage. Une critique détaillée du chapitre en question peut-être lue sur le site Les historiens de garde : pour Deutsch, Charles Martel, « sous la bannière du Christ », met un coup d’arrêt au « déferlement sarrasin », aux « houles musulmanes » qui, « Coran dans la main, cimeterre dans l’autre, (...) ont envahi Narbonne et sa région, massacrant les défenseurs de la ville, envoyant femmes et enfants en esclavage, offrant terres et habitations à des milliers de familles musulmanes venues d’Afrique du Nord. » Or, d’après l’historien Christophe Naudin :

« Il est (...) faux d’affirmer, comme il le fait, que l’armée d’Abd al-Rahman était suivie d’une population entière prête à coloniser les terres conquises. Lors de leurs incursions en Septimanie, les Arabes ont pris des villes (comme Narbonne), y ont installé un gouverneur et une garnison, mais très rarement une population arabe ou berbère. Ceci expliquant en partie d’ailleurs leur tolérance envers les populations locales, et notamment leurs cultes : il est plus facile d’installer son pouvoir en ayant la population de son côté. C’est d’ailleurs comme cela que les Arabes ont procédé en Al Andalus. L’intention de Deutsch est évidemment de faire croire à une colonisation massive et programmée. »

Difficile de ne pas faire le lien entre la thèse soutenue par Deutsch et le discours de l’extrême-droite identitaire, qui parle à loisir de « remplacement de population » et « d’islamisation de la France » pour fustiger l’immigration nord-africaine. Un exemple local, ce tweet de Pierre-Louis Mériguet, leader du groupuscule d’extrême-droite Vox Populi (et probable candidat du Front National aux élections municipales).

D’ailleurs, l’une des bannières du blog de Vox Populi présente un détail du tableau La bataille de Poitiers, de Charles de Steuben.

Sur la même ligne, le groupuscule d’extrême-droite « Génération Identitaire » a récemment occupé le chantier d’une mosquée à Poitiers en déployant une banderole « 732 Génération Identitaire » (732 étant la date de la bataille de Poitiers).

Sophie Auconie ne peut ignorer les polémiques qui ont accompagné la sortie des ouvrages de Deutsch. Et le fait qu’elle relaye son approche de l’ Histoire, qu’il met au service d’une idéologie réactionnaire et nationaliste, laisse planer le doute sur sa propre vision de l’histoire nationale.

tom

Photo de Lorant Deutsch par Myrabella ; photo de Sophie Auconie par elle-même