Quand les services de l’Etat s’approprient les discours hostiles aux demandeurs d’asile

A travers l’exemple d’une famille à la rue, le Réseau Education Sans Frontière d’Indre-et-Loire (RESF37) s’inquiète de la manière dont l’Office Français d’Immigration et d’Intégration (OFII) conçoit sa mission, et des implications pour le respect du droit d’asile en France. Communiqué.

L’O.F.I.I. ou l’officine où s’organise une guerre aux migrants

L’OFII, c’est un sigle : Office Français d’Immigration et d’Intégration. Créé en 2009, sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur, l’OFII est désormais le seul opérateur de l’Etat en charge de l’immigration légale. Il y a une antenne de l’OFII dans chacune des Régions. Celui de la Région Centre est situé à Orléans [1]. C’est un maillon essentiel de la politique migratoire dans notre pays - notamment en matière d’asile. Tout demandeur d’asile en effet a droit à un hébergement, à un accompagnement social et juridique, et à une indemnité (modeste [2]) pour lui permettre de survivre pendant la durée de la procédure d’asile… qui peut être longue, plusieurs mois, voire plusieurs années [3], pendant lesquels il n’a pas le droit de travailler. C’est l’OFII qui a en charge ces obligations légales et qui s’en acquitte de plus en plus mal.

Les associations et services sociaux sont en effet périodiquement alertés par des demandeurs et demandeuses d’asile contraints de s’abriter dans les halls d’immeubles ou à la gare, faute d’hébergement. L’exemple qui suit n’est, hélas, qu’un parmi d’autres — mais la manière dont l’OFII chargé de la mise à l’abri des migrants conçoit sa mission est particulièrement inquiétante pour la pérennité du respect du Droit d’Asile en France.

Le Réseau Education Sans Frontières d’Indre-et-Loire est sollicité par des citoyens en faveur d’une famille azerbaïdjanaise de 4 personnes, dont un enfant de moins de 2 ans et l’autre de moins de 5 ans. Les parents de l’enfant sont demandeurs d’asile, ont commencé la procédure, se sont rendus aux diverses convocations (Préfecture, OFII…) pour le suivi administratif de leur dossier. Malgré cela, pour eux, c’est la rue [4].

Le RESF37 alerte donc à son tour divers interlocuteurs (dont le Directeur de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale [5], et le Député) pour qu’ils interviennent en faveur de l’hébergement de cette famille. Ces démarches sont complétées par une lettre envoyée par courriel à l’OFII le 7 novembre dont voici le contenu :

Le réseau éducation sans frontière d’Indre et Loire (RESF37) s’alarme du temps mis par l’OFII à proposer une solution aux demandeurs d’asile en situation de vulnérabilité. La famille *** qui comprend 2 petits enfants (fichier joint), n’a pas d’hébergement depuis que sa demande d’asile a été enregistrée, malgré 2 signalements de la PADA [6] pour famille vulnérable. Le 115 est surchargé.
Les administrations et élus d’État sont tenus informés.
Merci de permettre qu’ils aient accès à un logement stable sans que cela soit au détriment d’une autre famille vulnérable.

Le RESF37 reçoit par mail une réponse moins d’un quart d’heure plus tard. La voici :

Contrairement à ce qui vous a été rapporté, la famille a bien été orientée sur une structure d’hébergement. [La structure est citée]. J’attire également votre attention sur le fait que cette famille a déclaré ne pas être intéressée par la demande d’asile et se présente en France uniquement pour bénéficier des prestations sociales. Un tiers les aurait encouragé à déposer une demande d’asile afin de bénéficier des prestations de l’OFII. La famille s’est montrée insistante sur l’aspect financier tout en esquivant les questions relatives à l’entretien de vulnérabilité coté OFII et l’entretien de demande d’asile coté préfecture.

Par ailleurs vous n’êtes pas sans savoir que le dispositif d’hébergement pour demandeurs d’asile est particulièrement sollicité aujourd’hui : cette famille a été orientée sous un délai inférieur à 15 jours alors que dans la plupart des cas, les délais peuvent atteindre 3 mois (dans le meilleur des cas).

Telles sont les pièces de ce dossier pour lesquelles il serait peut-être superflu de faire des commentaires…
Que l’on sache seulement que c’est quelques heures à peine avant l’envoi de cette lettre que l’OFII d’Orléans a finalement trouvé une solution d’hébergement pour cette famille, sans aucun doute grâce aux courriers envoyés à l’OFII par le Directeur de la DDCS et par le Député.

Bornons-nous à pointer ici les éléments les plus inacceptables de cette position de l’OFII – dont, rappelons-le, le devoir légal est de mettre à l’abri les demandeurs d’asile.

1/ Manquement flagrant au devoir de confidentialité d’un fonctionnaire de l’Etat à l’égard d’un administré. Le courrier de l’OFII est en effet destiné à un tiers, ici le RESF37 [7].

2/ Calomnies ciblées à l’égard d’une famille, puisées dans le réservoir de préjugés et de haine xénophobe le plus nauséabond.

3/ Empiètement de fonction puisque l’OFII n’a pas la compétence pour juger du bien-fondé d’une demande d’asile, ce qui est du ressort exclusif de l’Office Français de Protection des Réfugiés et de la Cour Nationale du Droit d’Asile.

4/ Justification cynique de l’incurie d’un service public, qui assume le maintien à la rue des personnes vulnérables qu’il a pour charge de mettre à l’abri.

La conduite de l’OFII et ses justifications révoltantes ne sauraient être excusées par des conditions de travail probablement difficiles. L’État pourra-t-il ensuite s’étonner de la montée de la haine envers les étrangers s’il permet que ses services y contribuent ?

P.-S.

Les liens et notes de bas de page ont été ajoutées par le contributeur ayant proposé l’article à la publication.

Notes

[1Contact : 4 Rue de Patay, 45000 Orléans, 02.38.52.00.34 orleans@ofii.fr

[2De 6,80€/jour pour une personne seule à 37,40€/jour pour une famille de 10 personnes ; le RSA est de 17.26€/jour pour une personne, 25,90€ pour deux personnes ce qui est évidemment encore trop faible pour survivre...

[3S’il y a des recours, mais une telle durée est de plus en plus rare avec la procédure accélérée

[4Comme plus d’une centaine de personnes chaque soir depuis des années : les sans abris et personnes hébergées en dehors des services de l’Etat seraient plus de 500 en Indre-et-Loire, les mal logés plusieurs milliers

[5DDCS

[7Le Réseau n’est pas une association mais un collectif militant (créé en 2005 en Indre-et-Loire) qui ne possède évidement aucun agrément lui permettant d’avoir accès à de telles informations