Du 4 au 14 septembre se tiendra le procès des assassins de notre camarade Clément Méric. Pour nous, militants révolutionnaires et antifascistes, les tribunaux ne sont pas des lieux qui se prêtent à la lutte politique. Ces dernières années, nous avons fréquenté les tribunaux en soutien des personnes interpellées, gardées à vue, incarcérées dans le cadre des mouvements sociaux, pour réclamer vérité et justice contre les violences policières avec les familles de victimes.
Mais nous savons trop bien, et toutes ces expériences en témoignent, combien les salles d’audience sont façonnés pour maintenir l’ordre établi. Quels que soient les faits, les éléments des dossiers, les institutions judiciaires, les juges, le ministère public, adoptent toujours a priori un récit contre un autre : celui, par exemple, des fonctionnaires de police assermentés et de leurs syndicats contre les habitants des quartiers populaires ou contre les militants.
Par ailleurs, le système punitif et carcéral n’a rien à voir avec notre idée de la justice et avec la transformation révolutionnaire pour laquelle nous nous battons. Ce n’est donc pas par des « condamnations exemplaires » des assassins de Clément que nous pensons pouvoir combattre le fascisme aujourd’hui. Ce procès doit dès lors pour nous constituer un moment de vérité.
« L’offensive répressive et médiatique frappe lourdement les mouvements qui se revendiquent d’un antifascisme de lutte »
Nous savons que le traitement judiciaire et médiatique de l’affaire privilégiera une approche dépolitisante, dans laquelle il s’agira d’établir avec obscénité qui a versé le premier sang. Nous aurons non seulement droit aux mensonges des fascistes et de leurs alliés, mais aussi des discours criminalisants, qui ont fleuri ces dernières années, à l’encontre de l’antifascisme militant. En effet, depuis le 5 juin 2013 et la mort de Clément, à l’époque où toute la gauche semblait communier dans un rejet moral de l’extrême droite, l’offensive répressive et médiatique frappe depuis lors lourdement les groupes et mouvements qui se revendiquent d’un antifascisme de lutte. Lors de la fameuse affaire de la voiture brûlée du quai de Valmy pendant le mouvement contre la loi travail, la figure de « l’antifa » est venue incarner le casseur, le « militant ultra-gauche », et s’est vue presque à elle seule personnifier le « black bloc » épinglé dans le cadre des affrontements du 1er Mai 2018.
Ce revirement de la stratégie d’État à l’encontre de l’antifascisme montre bien le ridicule des mensonges de l’extrême droite sur Clément : la figure de l’étudiant blanc, débonnaire, de classe moyenne qui s’encanaille, propagée par Ayoub et consorts, est si loin des réalités de terrain que notre antifascisme est désormais en plein dans le viseur étatique.
« La fascisation des institutions et du pouvoir se joue ailleurs »
Notre antifascisme a construit sa légitimité dans les luttes en solidarité avec la Palestine, contre l’état d’urgence, contre les violences policières et contre l’islamophobie. C’est aussi pourquoi il n’est pas suffisant à nos yeux de demander des comptes aux agresseurs de Clément mis en examen et à eux seuls ; pour nous, la fascisation des institutions et du pouvoir se joue ailleurs, dans le racisme d’État, dans l’institutionnalisation de l’islamophobie, dans l’impunité policière et l’agitation quasi-insurrectionnelle des syndicats policiers (manifestations de nuit, armés, en direction des lieux de pouvoir).
Elle se joue aussi dans les marges de l’État, les groupes de sécurité, milices privées, dont l’affaire Benalla révèle l’ampleur dans le fonctionnement actuel des institutions. Ces liens obscurs entre personnel politique, policier et barbouzes ne sont pas exceptionnels, mais constituent de toute évidence un système amené à se généraliser, comme l’indique bien le rôle joué par l’extrême droite à Lyon sous Collomb, ou encore l’affaire « Claude Hermant » – un fasciste dont les liens avec les institutions répressives est notoire et qui s’avère suspecté d’avoir livré des armes à Amedy Coulibaly, tueur de l’Hyper Cacher. Dans un contexte d’escalade répressive de l’État, il n’est pas fortuit que des instances répressives parallèles, qui satisfont les tendances jusqu’auboutistes des forces sécuritaires, se mettent en place et montent en puissance.
Le moment de vérité que nous attendons, c’est à nous de le construire, non seulement en mettant en accusation et en demandant des comptes aux fascistes qui ont tué Clément, mais en mettant en accusation le système qui nourrit et qui renforce ces franges réactionnaires.
Nous sommes militants politiques et, pour nous, les responsabilités ne sont pas d’abord légales, mais politiques. Clément a choisi son camp et c’est depuis ce camp que nous continuons le combat et que nous accusons, dans la rue, les fascistes et l’État.
Nous appelons toutes les collectifs antifascistes, anti-racistes, individus, organisations politiques et syndicats à prendre part à la mobilisation, que ce soit au tribunal, dans la rue, partout en France et en Europe pour réaffirmer l’actualité des combats de notre camarade Clément.
Illustration : manifestation commémorant la mort de Clément Méric, juin 2017, par le collectif La Meute