Pourquoi les « baisses de charges » sont un piège pour les salarié-es

Le gouvernement a annoncé de nouveaux allégements de cotisations pour les salarié-es et les patrons. Couplée à la volonté de tailler dans les dépenses publiques, une telle mesure ferait peser un risque accru sur le financement des dispositifs d’assurances sociales.

Dans une interview au journal La Provence [1], le ministre des Comptes Publics Gérald Darmanin annonçait le 17 août :

« À partir de l’année 2019, il y aura zéro charge sur le Smic. Un chef d’entreprise de Marseille qui embauchera une personne au Smic, ce sera zéro charge. Ce sera une révolution pour la création d’emplois. Pour tous ceux qui travaillent, nous allons mettre en pratique l’allégement des cotisations. Un ouvrier qui touche le Smic gagnera 260 € de plus par an et ça, dès l’année prochaine. »

Si tou-tes les salarié-es ont a priori de bonnes raisons de se réjouir de voir leurs revenus nets augmenter, ce genre d’annonces constitue en réalité un piège qu’il convient de déjouer.

Car les cotisations salariales ou patronales prélevées sur les salaires — souvent renommées « charges » dans le discours patronal — sont indispensables au financement des différents dispositifs de solidarité qui rythment la vie des travailleur-euses : assurance chômage, assurance vieillesse, assurance maladie, formation... Ce sont ces cotisations qui alimentent votre pension de retraite, votre pension d’invalidité, votre allocation chômage ou vos indemnités en cas d’accident du travail. « L’allègement des cotisations » annoncé par le ministre met donc en danger ce financement. On notera au passage que le dispositif « zéro charge » annoncé par Darmanin concerne d’abord les salarié-es au SMIC, et qu’une telle mesure n’est pas de nature à favoriser l’embauche à des tarifs supérieurs au minimum légal.

Des milliards d’euros d’exonérations de cotisations

Bien sûr, le gouvernement nommé par Emmanuel Macron n’est pas le premier à vouloir mettre en place des allègements de cotisations. De nombreux mécanismes d’exonérations ont déjà été mis en place par les pouvoirs précédents. Ainsi, la « réduction Fillon », mise en place en 2003, organise déjà une réduction des cotisations patronales dues au titre des assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès) pour les salaires inférieurs à 1,6 fois le SMIC.

Ces exonérations représentent des sommes colossales. Dans le rapport annuel de l’URSSAF d’Ile-de-France [2] pour l’année 2016, on apprend que le montant des exonérations de cotisations consenties aux entreprises de la région s’élevait cette année-là à 5,1 milliards d’euros [3].

De la même manière, le rapport de l’URSSAF du Loir-et-Cher pour l’année 2011 indique que le montant total des exonérations de cotisations consenties aux entreprises du département s’élevait à 145,7 millions d’euros [4]. Le document indique :

« L’Etat a financé 138 millions des 145,7 millions d’exonérations consenties aux entreprises du Loir-et-Cher. 5,2 % sont restés à la charge de la Sécurité sociale comme en 2010. »

Si, dans un certain nombre de cas, les exonérations de charges sont compensées par l’Etat, une part non négligeable reste à la charge des organismes sociaux. Pas étonnant, dans ces conditions, que les comptes de ces organismes soient régulièrement déficitaires. Le patronat et les divers gouvernements peuvent alors s’appuyer sur les déficits qu’ils ont eux-mêmes créés via ces différents mécanismes d’exonérations pour demander « une remise à plat », « une nouvelle réforme », des allongements de la durée de cotisation ou des réductions d’allocations.

Dans un contexte où le gouvernement annonce une baisse « sans précédents » de la dépense publique au nom du « sérieux budgétaire », il faut également craindre que les compensations apportées par l’Etat soient revues à la baisse. Soit, à court terme, une mise en danger de dispositifs d’assurance sociale qui ont déjà été considérablement laminés au cours des dernières années et, sous couvert de gestion rigoureuse et de créations d’emplois, une précarité accrue des salarié-es, chômeur-euses et retraité-es. C’est le démantèlement des dispositifs de solidarité, au profit des systèmes d’assurances privées, qui se profile.

Notes

[2Les URSSAF sont des organismes chargée de la collecte des cotisations salariales et patronales.

[3Voir à la page 14 du rapport disponible ici.

[4Voir à la page 28 du rapport disponible ici.