Pourquoi le grand patronat est-il obsédé par nos pensions ?

Il faut que tout se maximise, se dépasse, se développe, s’innove, s’achète et se rachète, se valorise, se crée et se capitalise, se disrupte... pour que rien ne change.

Mais... Pourquoi le grand patronat est-il obsédé par nos pensions de retraites ? Il a besoin de cet argent car il investit dans des projets utiles pour la société : le marketing, l’assurance sur les risques spéculatifs, la publicité. Faire vivre la communication des entreprises, très coûteuse mais utile : pour rappeler aux salariés qu’ils sont des « collaborateurs » et aux sous-traitants qu’ils sont des « partenaires ». Distribuer des primes et de l’avancement aux contremaîtres (pardon... aux « moniteurs »), pour que ça tienne. Permettre aux entreprises cotées en bourse de racheter leurs propres actions pour en faire augmenter la valeur, question de prestige !

Faire vivre la spéculation haute fréquence sur les produits agricoles. Les beaux projets comme Europacity. Financer des films très comiques sur les Roms et les immigrés. Les partenariats public-privé, dans les hôpitaux et les transports, qui socialisent les dettes et privatisent les profits. Créer des emplois d’ingénieurs qu’on spécialisera plus tard dans l’obsolescence programmée des marchandises. Réduire les services publics de proximité à du télé-conseil privé.

Créer, développer, investir...

Créer des emplois dans le management, mais aussi dans l’événementiel et le team building pour avoir des photos à mettre sur le site de l’entreprise. Animer des journées « j’aime ma boîte ». Monter des projets de recherche factices, pour obtenir le juteux Crédit d’Impôt Recherche. Embellir les entrées des villes, avec des zones commerciales et des parking géants. Financer des sondages et des enquêtes d’opinion pour connaître la valeur de tel produit politique ou tel autre produit alimentaire. Financer la « start up nation » pour produire des services de livraison à domicile depuis notre canapé et des réveils connectés. Produire et assurer la maintenance des avions de chasse qui serviront à terroriser les populations au Yemen. Racheter la presse pour que tout ça passe mieux. Gagner des marchés publics par rétro-commissions. Orienter à sa guise la recherche dans le Supérieur par le financement direct des chercheurs et laboratoires. Promettre de créer « un million d’emplois » à chaque cadeau gouvernemental. Produire des pin’s avec ce slogan.

Permettre des fusions-acquisitions pour avaler la concurrence et fermer les sites récemment acquis. Financer quelques millions pour Notre-Dame, mais cacher quelques milliards dans des sociétés-écran loin du fisc. Créer des emplois dans l’actuariat, l’expertise fiscale et la transmission patrimoniale. Prendre la place des services publics vendus à la découpe, remplacer « usager » par « client », en augmentant les frais au passage. Individualiser et privatiser l’éducation. Accumuler et refourguer des titres toxiques pour nourrir la prochaine crise financière. Réduire les emplois publics pour favoriser une nouvelle bureaucratie privée : emplois dans l’audit interne et la « gestion de projet » financés par les administrations publiques qui y ont recours.

Encore et toujours placer, maximiser, investir...

Déposer des brevets sur le vivant. Demander des aides régionales ou européennes pour s’implanter quelque part, profiter de l’effet de levier sur emprunt puis fermer l’entreprise. Racheter des titres de la dette publique pour sécuriser un placement sur le dos d’une population toute entière... racheter et revendre ces titres pour faire monter les intérêts. Puis proposer un plan d’ajustement. Proposer des services d’assurances capitalisées pour rassurer les futurs pensionnés de retraites, qui ont eu l’idée saugrenue de naître après 1975.

Et si les salaires ou les pensions baissent, on ouvre l’accès du crédit à la consommation... c’est un peu périlleux, mais les conséquences on verra plus tard ! Et, à force de contenir les salaires, on prend du muscle : on espère devenir suffisamment compétitifs pour trouver ailleurs dans le monde une demande solvable, afin d’écouler toutes ces marchandises très utiles. En espérant que les concurrents ne pensent pas à nous piquer cette idée astucieuse. Parce que la réussite financière est un signe du génie personnel, et que tout cela est dans l’ordre naturel des choses. Parce que le yacht de M. est bien plus petit que celui de M. Tout comme sa fondation de luxe & humanitaire. Le premier a une collection d’art, inaccessible au public, bien plus réduite que le second. Des œuvres moins bien cotées (feignasses d’artistes !). Parce qu’il faut bien acheter un, deux... dix appartements à Paris et ailleurs, les maintenir vides et les revendre. Faire monter les prix des logements et favoriser la ségrégation urbaine.

Fêter son anniversaire à Versailles, avec des intérimaires de l’hôtellerie déguisés en laquais. Accumuler des châteaux pour espérer obtenir une particule. On est cool, mais un peu à l’ancienne. Parce qu’il faut bien placer quelque part toutes ces masses de richesses devenues embarrassantes : le profit accumulé contre les salaires, les gains de productivité captés chaque année sur des travailleurs plus précarisés, le CIR et l’ex-CICE transformé en baisse générale des cotisations, la fraude, la fin de l’ISF et les subventions directes ou indirectes de l’État, le surcroît de liquidité dans les banques... On en veut encore.

Mais, que faire de tout ce « pognon de dingue » ?

P.