« On se pince pour y croire » : réponse du syndicat SUD à la directrice du CHU de Tours

Dans un courrier cosigné par le doyen de la faculté de médecine et le président de la commission médicale d’établissement, Marie-Noëlle Gérain-Breuzard a voulu assurer le personnel du CHU de Tours de son attachement au service public hospitalier [1]. Ce courrier n’a pas convaincu les membres du syndicat SUD, qui lui ont adressé la réponse suivante.

Madame la directrice générale,

Qu’est-ce que c’est que ce courrier que vous nous avez envoyé suite au 14 novembre ? On peine à en revenir. On se pince pour être sûr d’y croire.

De quelle angoisse avez-vous été prise tout à coup pour nous adresser à toutes et tous un tel déluge de langue de bois, si éloigné sur le fond de l’ensemble de votre action au CHU depuis votre arrivée ?

Attention, on ne dit pas que ce n’est pas habile ! Honnêtement, on ne vous connaitrait pas, on pourrait y croire à votre discours sur toutes vos « préoccupations » que vous dites « partager » avec nous.

Mais le problème c’est qu’on se connait bien maintenant, vous et nous. On a eu trop d’occasions d’admirer votre « engagement sans faille » quand il s’agit de diriger notre établissement, et les conséquences que cet engagement produit à la pelle.

Dans votre élan en prenant la plume, vous commencez par un détournement. Vous mettez au second plan les revendications principales de notre mobilisation actuelle. Pour vous, il faut voir au-delà des revendications pour l’amélioration des « conditions de travail » et « d’accueil des patients ». Vous préférez « l’attachement au service public hospitalier ». Ce n’est pas correct de venir discréditer les revendications des autres, madame la directrice. Et dès le début du courrier ça fait louche. Il n’y a pas d’un côté les bonnes revendications de principe (le service public) et de l’autre, celles pour lesquelles il faut directement aller au-delà (des moyens, des effectifs, des lits, du salaire). Et puis pour nous les unes doivent rester en permanence corrélées avec les autres.

Juste après avoir dénaturé nos revendications, vous vous les accaparez. Vous affirmez qu’il y aurait « des objectifs que nous partageons tous ». Ah bon, intéressant. Quel aveuglement a bien pu nous empêcher de percevoir ces choses communes que nous partagerions ensemble ? L’expérience peut-être ! Car voyez-vous, quand nous venons pour notre journée de travail, notre « objectif » n’est pas réellement de tout faire pour que cela coûte le moins cher possible. Faire des économies n’est pas notre but ultime. Nous n’avons pas à cœur comme vous de réduire en permanence les dépenses afin de respecter le principe « de faire toujours plus avec toujours moins ».

Vous dites avoir la « volonté d’améliorer l’attractivité des métiers hospitaliers et la qualité d’exercice des professionnels ». Madame la directrice, nous sommes au regret de vous apprendre que « l’attractivité » au CHU n’a jamais été plus catastrophique qu’aujourd’hui. Tous les jours, entre collègues, nous parlons de reconversions, de partir d’ici, de trouver autre chose, que ce n’est plus possible et qu’il en va de notre survie de nous échapper. Le chômage structurel de masse n’est plus une barrière assez puissante pour imposer la peur suffisante pour rester. Les jeunes collègues qui arrivent à l’hôpital sont tellement maltraitées par les conditions de travail qu’ils et elles partent en courant. Ou alors ne souhaitent même pas venir après avoir fait l’expérience lors de leurs études ou entendu comment ça se passe. Et celles et ceux qui souhaitent rester, vous les maintenez dans la précarité du statut de contractuel pendant des périodes indignes, sous-payés grâce à votre charte de gestion des contractuel·les.

Le paragraphe suivant, le doute nous prend. Car la phrase est ambigüe, et on a du mal à croire ce que vous pourriez avoir voulu dire. Vous voudriez avoir la « préoccupation de prendre soin des professionnels » ? Sérieux ? Au sens de prendre soin de nous ? Notre santé, notre bien-être, notre état psychique ? Madame la directrice, relisez votre bilan social. L’explosion des accidents de services, du nombre de jours d’arrêt, ce sont des chiffres, ça devrait vous parler. Si vous avez du mal à vous en convaincre, passez un coup de téléphone à la commission de réforme départementale qui voit tous les mois les situations de nos collègues cassées par le travail, blessées dans leur corps parce que pas assez pour accomplir le travail à faire. Sans compter le nombre de collègues que vous envoyez devant des experts et dont vous contestez la réalité de ce qu’elles vivent. Depuis que vous êtes directrice générale, combien de réunions de négociations où des collègues vous ont dit la gravité de leurs conditions de travail ? Combien de délégations vous ont demandé des moyens pour améliorer les problèmes ? Combien de fois dans les instances nous vous avons alerté sur les dangers que nous encourrions, et que vous avez ignorés, niés, voire combattus.

Après ça, vous essayez de nous expliquer à quel point vous vous êtes appliquée à être « les inlassables relais des préoccupations de notre communauté hospitalière auprès de notre gouvernement », et comment vous avez « tenté de peser ainsi sur les décisions ». Ça on veut bien vous croire. Mais certainement pas vous en remercier. Doit-on vous rappeler que votre inlassable envie de peser sur les décisions du gouvernement vous a poussé en 2016 à adresser une note à l’IGAS. Votre but était alors bien de peser sur les décisions, mais absolument pas dans un sens qui semblait servir l’intérêt de nos collègues : élargir la période estivale pour la pose des congés d’été, augmenter le temps de travail maximum pour une semaine, réduire le temps de repos minimum entre deux périodes de travail… Prise la main dans le sac avec ce courrier qui n’aurait pas dû être en notre possession (la discrétion c’est tellement mieux), vous vous êtes souvent agacée qu’on y fasse référence. Mais jamais vous ne vous êtes excusée, ni avez exprimé de quelconques remords.

Enfin on en vient au pire, au plus cynique. Mais aussi au plus grave car le plus concret, réel, ce qui nous impacte le plus au quotidien, alors même que votre travail de sape n’est pas encore terminé. Quand vous dites que « la communauté du CHRU de Tours sait de quoi elle parle en matière de transformation et d’adaptation. Depuis plusieurs années, elle s’y est engagée résolument avec courage et elle a démontré sa capacité à porter un projet fort de sens pour nos patients et les professionnels », comment ne pas penser au projet COPERMO et son plan massif de suppressions de lits et de postes qui l’accompagne ? Encore une fois nous sommes d’accord avec vous, ce projet est « fort de sens pour nos patients et les professionnels » mais pas dans le sens dans lequel vous souhaiteriez le vendre. « Fort » en souffrance, « fort » en perte de sens du travail, « fort » en précarité, « fort » en privatisation, « fort » en découragement, « fort » en destruction…

Pour finir comme vous avez commencé par une récupération et un détournement, vous assénez que « Notre communauté reste attachée à cette volonté de transformation ». C’est marrant, jusqu’ici nous pensions être intégré·es dans ce que vous appelez dans votre courrier « notre communauté ». Mais en lisant ça on ne peut qu’être convaincu·es que vous ne parlez pas de nous ici, pas de tous les collègues du CHU qui vous ont dit sur tous les tons, toutes les formes, dans toutes les grèves et mobilisations, que de vos transformations nous n’en voulions pas, ni à l’état de projet, ni mis en application.

Tiens, nous venons de comprendre quelque-chose (dommage alors que nous arrivons à la fin du texte). Ce n’est peut-être pas à nous que vous vous adressez. Mais aux professeurs et docteurs que vous saluez dès le début de votre courrier par votre formule « Professeur, Docteur, Madame, Monsieur » qui montre une séparation fondamentale que vous faites. Un « nous » et un « elles et eux » qui en temps normal vous rassure. Mais qui à l’heure où les médecins, chef·fes de services, internes, externes, rejoignent massivement le bas peuple de la santé, le risque de vous retrouver seule doit être assez inquiétant. Voilà donc la réponse à notre première question : de quelle angoisse avez-vous été prise tout un coup ?

Madame la directrice, vous aussi vous devez commencer à nous connaître. Vous savez donc que notre boussole c’est bien l’amélioration des conditions de travail des agents de la FPH, des prises en charge, des conditions de vie des tout·es les collègues et usager·es, et globalement transformer profondément la société entre autre en défendant coûte que coûte les services publics. À ce titre, nous nous en voudrions de passer à côté (malgré ou à cause d’une trop grande rudesse à votre endroit) d’une possibilité pour vous de faire pour de vrai ce que vous dites dans votre courrier. Nous finirons donc cette réponse en vous reformulant ce que de très nombreuses fois, aux côtés des collègues, nous avons tenté de vous faire comprendre.

Si votre action en tant que directrice jusqu’à présent a été pour le moins délétère, il n’est pas trop tard pour faire preuve d’un réel engagement, comme vous tentez de nous (et vous aussi peut-être) en convaincre. Mettez un terme immédiat aux projets que vous menez au CHU, ré-ouvrez les lits, remettez et augmenter les effectifs nécessaires et souhaitables pour le travail à faire. Suspendez les destructurations de services et le COPERMO. Supprimez toutes les décisions qui provoquent la précarité pour les collègues contractuel·les (bien sur vous pouvez innover, la liste des possibilités est extensible). Si votre engagement existe, mettez fin aux ordres de votre direction qui répriment les mobilisations, arrachent les banderoles, musèlent l’expression légitime des professionnel·les, entravent le droit de grève et le droit syndical.

Et si jamais au moment de vous lancer, vous êtes retenue par la peur des conséquences qui pourraient vous tomber dessus en honorant vos engagements, pensez à tou·tes les professionnel·les dont vous louez « l’engagement exemplaire » et qui d’après vous « mérite pleinement la reconnaissance de la communauté nationale ». Ces professionnel.le.s qui chaque jour, à cause des conditions de travail qui n’ont jamais été aussi dégradées, risquent leur santé, leur carrière, leur vie, pour continuer à faire vivre « un hôpital public qui délivre ‘’une médecine humaine et d’excellence, pour chacun, tout au long de sa vie’’ ».

Veuillez recevoir Madame la Directrice Générale, nos salutations distinguées

Le syndicat SUD

Illustration tirée du reportage photographique de La Meute lors de la manifestation parisienne du 14 novembre.

Notes

[1Voir le courrier de la directrice du CHU en cliquant ici.