Mourir aux portes de l’Europe : une cartographie de la lutte des pays riches contre l’immigration

A partir de quatre cartes, Philippe Rekacewicz [1] montre la « véritable stratégie de guerre » qu’emploient l’Europe et plus généralement tous les pays riches pour empêcher les « envahisseurs » venus des pays pauvres de pénétrer leurs frontières. Un magnifique travail de cartographie et de synthèse.

Au-delà d’une vision particulière sur la géographie des migrations, c’est aussi un peu de « l’histoire » de la création et de l’évolution de ces cartes que nous souhaitons partager avec vous.

1. Planète interdite

C’est étrange, cette peur paranoïaque de l’invasion, cette volonté de se « protéger » coûte que coûte de ces êtres humains qui, chaque année, prennent le chemin de l’exil vers les pays riches qu’ils imaginent terre d’espérance. Mais les riches ont décidé que cette humanité-là était indésirable.

Ils renforcent leurs frontières, dressent des barrières, construisent des murs toujours plus hauts. Une véritable stratégie de guerre mise en œuvre pour contenir « l’envahisseur ».

Par un effet d’entraînement, d’autres grands pays comme la Chine, l’Afrique du Sud ou la Russie – et d’une manière plus informelle, le Brésil – mettent aussi en place une « sanctuarisation intérieure » pour limiter les migrations économiques des régions pauvres vers les zones de forte croissance.

Ces obstacles physiques sont des outils efficaces pour criminaliser l’immigration et rendre acceptable l’emploi d’expressions inacceptables : « immigrant illégal ». On fait croire qu’ils transgressent la loi : grâce à ces nouveaux obstacles, juridiques ou physiques, on crée une nouvelle catégorie de délinquants : le migrant.

Au mépris du droit international et des valeurs universelles. (...)

2. Géographie d’une humanité indésirable

A l’Ouest les copains bienvenus chez nous, le portefeuille bien garni, et à l’Est, les indésirables, le petit peuple du monde trop pauvre pour nous « mériter ». Symétrie presque parfaite : subsistent des îlots de pauvres à l’Ouest, des îlots de riches à l’Est. (...)

3. Les trois frontières de l’Europe

(...) Le naufrage de Lampedusa en octobre 2013, au cours duquel 366 personnes sont mortes noyées, n’est pas exceptionnel. c’est juste « une tragédie » parmi de nombreuses autres tragédies, quasi quotidiennes, souvent moins spectaculaires, mais tout aussi meurtrières. 366 noms viendront simplement allonger une liste déjà longue de milliers d’autres noms.

Ces migrants ne meurent pas par « hasard » : ils sont victimes d’une politique migratoire européenne crispée sur le fantasme de l’invasion, qui ferme de plus en plus solidement les portes de son territoire en complète violation du principe de libre circulation. (...)

4. C’est l’Europe qui s’enferme

Cette « frise » met en regard deux éléments fondamentaux du monde migratoire. D’une part la longue « litanie » des traités, conventions et directives européennes qui ont, au cours des années, rendu la circulation des migrants de plus en plus difficile, et d’autre part, représenté ici en périodes équivalentes, le nombre connu des migrants qui sont morts en tentant de parvenir sur le territoire européen. Chaque année donc, de nouvelles restrictions, et chaque année, toujours plus de morts...

Ces quatre cartes ainsi que les commentaires qui les accompagnent sont à voir sur Visionscarto.net.

Notes

[1Géographe, cartographe et information designer, Philippe Rekacewicz a longtemps dessiné des cartes pour le Monde Diplomatique avant de fonder le site Visionscarto.net qui propose réflexions et expérimentations sur les mille manières qu’il existe de représenter le monde.