L’article vante les formations financées par Pôle Emploi (750 000 euros dépensées en quatre ans pour satisfaire les besoins des employeurs en personnel habilité !), décrit les opérations de maintenance à venir dans les centrales nucléaires de la région, et recense le nombre de forums de recrutement organisés par l’association PEREN, qui « favorise l’emploi et les compétences » au sein des entreprises sous-traitantes d’EDF.
Pas un mot des conditions d’emploi dans la filière, qui pourraient pourtant faire réfléchir à deux fois les candidats à l’embauche dans ce secteur « en plein essor ». Dans son numéro d’octobre 2013, Le journal mensuel des activités sociales de l’énergie publiait ainsi un dossier au titre et au sous-titre éloquents : « Sous-traitance, le cancer du nucléaire – La maintenance des centrales, une profession à haut risque ».
Comme le rappelle l’introduction du dossier, les activités de maintenance des centrales nucléaires sont assurées à 80 % par des salariés d’entreprises prestataires. Et ces travailleurs « sont à la fois les plus exposés aux cancérigènes, aux accidents de travail et de trajet, et les moins protégés socialement ». Ils sont aussi soumis à une pression croissante de leurs hiérarchies, qui elles-mêmes doivent respecter les délais toujours plus courts fixés par EDF dans le but de réduire la durée des arrêts de tranche [1]. Cette pression en cascade conduit les travailleurs à prendre des risques, et a été un facteur déterminant dans l’accident qui a récemment entraîné la mort d’un salarié d’une entreprise sous-traitante à la centrale de Chinon. Comme l’explique Annie Thébaud-Mony dans son ouvrage Travailler peut nuire gravement à votre santé [2] :
" Les travailleurs extérieurs (...) se livrent une sorte de "guerre" au temps. C’est à celui qui parviendra effectivement à respecter les délais imposés par EDF, en imposant aux autres de passer après lui lorsqu’il y a, de fait, concurrence entre deux activités. L’enjeu est la reconduction de leur emploi en tant que travailleurs extérieurs DATR [3], à travers les marchés accordés par EDF ou par les entreprises de premier niveau (ou deuxième, ou troisième...) à leur entreprise située hiérarchiquement plus bas dans les cascades de sous-traitance. Si leur entreprise affiche un retard de planning, la faute en revient aux travailleurs chargés de l’intervention."
A ces risques s’ajoutent une précarité essentiellement liée à deux facteurs : ce qu’on appelle « la gestion de l’emploi par la dose », et la fréquence des déplacements. En effet, de nombreux salariés d’entreprises sous-traitantes sont appelés à se rendre de centrale en centrale pour assurer la maintenance au cours des arrêts de tranche qui se succèdent, dormant dans des campings à des centaines de kilomètres de leur foyer. Et quand ces salariés sont exposés à une dose de rayonnements ionisants dépassant 14 millisieverts [4] au cours d’une année donnée, les chanceux sont affectés à d’autres chantiers, tandis que les moins chanceux sont mis au chômage technique avec perte de salaire [5].
Enfin, en cas de problèmes d’exposition ou de contamination, les sous-traitants sont souvent laissés sans ressource, et dans l’impossibilité de faire reconnaître une éventuelle maladie professionnelle [6]. Une situation à la fois liée à un déficit global d’information sur les risques de cancer, et à des conditions de travail qui empêchent la construction par les travailleurs d’une réponse collective aux risques pour la santé et la sécurité auxquels ils sont confrontés.
L’essor de la filière nucléaire vanté par La Tribune de Tours se fait donc au détriment des travailleurs, exposés à de nombreux risques. Il est regrettable que l’hebdo gratuit n’en informe pas ses lecteurs.
Illustration : centrale nucléaire de Chinon