La loi Macron, « une loi rétrograde à 100 % »

Le projet de loi porté par le nouveau ministre de l’économie est en cours d’examen à l’assemblée nationale. Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, syndicaliste (et membre du PS...) en a livré une analyse critique au micro de l’émission Là-bas si j’y suis, appelant à une large mobilisation contre ce qu’il considère comme « le recul le plus spectaculaire du droit du travail depuis la fin de la seconde guerre mondiale ». Extraits.

« C’est la pire loi que la gauche puisse proposer aujourd’hui. 106 articles, 19 ordonnances qui vont suivre. Le travail du dimanche, c’est le plus connu, mais il y a aussi le travail de nuit, jusqu’à 23h59, « en soirée » comme ils disent, il y a la facilité de licenciement (…), la casse de l’inspection du travail, la suppression du droit pénal du travail, l’insécurisation des élus du personnel dans les entreprises (…), la casse des prud’hommes, et (…) peut-être la fin des CHSCT. Et finalement, le recul le plus spectaculaire du droit du travail qu’on aura eu depuis le conseil national de la résistance et la fin de la seconde guerre mondiale. On nous a présenté ça comme une loi d’avenir, c’est une loi du 19ème siècle. (...)

C’est un phénomène de low-cost avec les taxis : la société Uber va pouvoir remplacer G7 avec des gens qui ne sont même pas salariés. Et en général, c’est la dérégulation. Pourtant nous on le sait : quand on dérégule, ça augmente le chômage. Ce qui permet de lutter contre le chômage, c’est la loi et la régulation. Y a pas d’exemple contraire : depuis qu’il y a une augmentation des facilités de licenciement, le chômage a toujours augmenté. Et cette loi Macron va être une loi pour le chômage, une loi contre les salariés. Ça va être une loi rétrograde à 100 %.

Y a pas encore de conscience suffisante, parce qu’elle est présentée de façon compliquée. (…) Pourquoi quelqu’un qui est dans un gouvernement de gauche ose-t-il faire ça ? Et pourquoi l’ensemble de la société et nos syndicats ne sont-ils pas vent debout ? Si il y avait le début d’une loi comme ça qui soit mis en place dans d’autres circonstances, on serait tous en manifestation. Permettez-moi de dire que ces manifestations méritent plus de 3 à 4 millions de personnes. Ce qui se passe est grave. (…)

Sur le travail le dimanche et en soirée

On leur dit « le dimanche, les gens vont être volontaires ». Mais y a personne qui est volontaire ! Essayez de travailler le dimanche si votre patron ne veut pas ! Essayez de ne pas travailler le dimanche si votre patron veut ! C’est pas vous qui décidez ! Et puis ensuite on dit « Oui mais ils vont avoir un meilleur salaire ». Mais c’est faux ! Ce seront des femmes pauvres, des précaires et des étudiants désargentés qui seront obligés de travailler le dimanche, et la loi ne prévoit aucune majoration de salaire. La loi prévoit une négociation pour une majoration de salaire, mais ça renforce le pouvoir du patron. (…) Ça ne créera pas d’emploi, ça ne fera que supprimer des emplois pour les petits commerçants. (…) C’est un but idéologique et pas économique : le but, c’est de casser la semaine de travail. Le but c’est de casser la durée légale du travail.

C’est la même chose pour le travail en soirée. Y a besoin d’acheter du parfum en soirée sur les Champs-Elysées ? Mais à qui on va faire croire ça ? (...)

[Macron], je sais pas d’où il vient. Ou plutôt, je le sais trop bien. Il n’a jamais compris ce qu’était un syndicat. Il n’a jamais bossé dans une cantine. Il n’a jamais bossé sur un chantier. Il sait pas ce que c’est un patron qui vous presse pour faire plus de quarante-huit heures par semaine. Il dérégule ! Mais la dérégulation, ça fera moins d’embauches ! Si les gens travaillent deux fois plus, ça sera à la place de ceux qui n’ont pas de boulot. Toute dérégulation se traduit par un drame social.

Sur le travail illégal

On ne verra plus un patron au tribunal, entre deux délinquants, parce qu’il y a eu du travail dissimulé. Ça sera maintenant l’administration qui le convoquera, qui lui dira « Écoutez, vous n’êtes pas en règle, voulez-vous vous mettre en règle ? Vous avez un délai, et puis si ça se passe pas on vous interdira pendant un mois, maximum, et puis selon les circonstances on négociera avec vous, ça sera du "plaider-coupable" ».

Sur les conseils de Prud’hommes

Ils veulent supprimer les élections aux prud’hommes, vous vous rendez-compte ? (…) C’est la seule élection où les immigrés peuvent voter, où ils avaient le droit d’élire les juges de la République. Et là on supprime cette seule chose. Alors ceux qui font ça et qui me disent après « Je suis pour le droit de vote des étrangers », je les crois pas ! Parce qu’ils avaient quelque chose à valoriser, à mettre en évidence, et ils l’enlèvent. »

Illustration : Grève des gaziers, 1923 : syndicaliste haranguant les grévistes.

P.-S.

Même si la posture politique de Gérard Filoche — qui pense qu’il faut rénover le PS afin de pouvoir mener une politique de gauche quand bien même ce parti fait le contraire depuis 30 ans, qui crois dur comme fer en l’économie (qu’il oppose dans cette intervention à l’idéologie), qui défend une régulation qui s’est essentiellement appuyée pendant les 30 glorieuses sur le pillage en règles de l’ailleurs, etc. — ne tient pas la route, nous constatons qu’il est un des seuls à porter un discours structuré et intelligible sur la loi Macron et c’est pourquoi nous l’avons proposé à la Rotative.