Depuis début mars on n’entend plus parler des anciens salariés des librairies Chapitre : l’excitation médiatique est retombée. Si l’on connaît relativement bien les différentes étapes des licenciements (annonce par lettre recommandée, batailles syndicales, vote du Plan de Sauvegarde de l’Emploi etc.), les ultimes étapes de la liquidation judiciaire nous demeurent plus obscures. Une fois licenciés, les ex-salariés doivent bénéficier d’un plan de reclassement [1]. C’est à ce stade que certains professionnels entrent en jeu : les mandataires judiciaires associés.
Des professionnels du reclassement
Pour les librairies Chapitre, c’est la Société Civile Professionnelle BTSG - Bécheret Thierry Sénéchal Gorrias, « prestataire en matière de traitement des entreprises en difficulté », qui s’occupe des procédures de liquidation et de reclassement.
Le 18 février, depuis l’étude de Paris, Maîtres Stéphane Gorrias et Marc Sénéchal ont envoyé un courrier à différentes librairies françaises. Ce courrier visait à les informer du jugement rendu le 2 décembre 2013 au Tribunal de Commerce de Paris « entraînant la suppression de l’intégralité des postes de travail » détaillés en annexe. Ce courrier contient également une demande, très explicitement formulée :
Sur les 17 pages que compte cette lettre, 12 sont dédiées à la description de chaque « poste de travail » supprimé pour un total de 442 postes sur toute la France. Pour la ville de Tours, on retrouve bien les 17 postes de travail (à ne pas confondre avec les individus !) concernés par la fermeture de la librairie des Deux-Lions :
Un courrier qui passe mal
Notons d’abord le caractère culpabilisant de ce courrier : ce n’est pas au groupe Actissia, pourtant responsable de la liquidation judiciaire, que l’on demande « d’atténuer les conséquences sociales des licenciements » mais à d’autres librairies.
Imaginez la violence de cette requête lorsqu’elle est adressée, sans doute par mégarde, à des petites librairies indépendantes se trouvant confrontées à des difficultés parfois particulièrement sérieuses en raison notamment de la concurrence exercée par les grandes enseignes généralistes et les sites de vente en ligne.
A Tours, ce fut par exemple le cas des librairies Bédélire [2], Le Livre [3] et de la libraire Lire au jardin [4]. Aucune de ces enseignes n’a la possibilité à l’heure actuelle de proposer des embauches ; la librairie Lire au jardin organise d’ailleurs une journée de soutien ce samedi 17 mai durant laquelle des livres d’occasion seront bradés pour « renflouer les caisses ». Il y a quelques semaines, on pouvait lire dans la Nouvelle République : « Les petites librairies indépendantes sont encore nombreuses sur Tours : une "biodiversité" qu’il faut préserver. » L’article évoquait un patrimoine « hélas menacé » et un avenir « en pointillés ».
Comble de l’ironie, à Tours, selon nos informations, seules ces petites librairies ont reçu le courrier de la Société BTSG. Les plus grandes librairies de Tours (La Boîte à Livres, Cultura) a priori plus susceptibles de pouvoir proposer des postes, nous ont toutes affirmé ne pas avoir reçu ce courrier.
BTSG, des mandataires judiciaires injoignables et incompétents ?
Nous avons essayé d’obtenir des explications sur ce courrier de la part de la Société Civile Professionnelle BTSG. Nos tentatives sont restées infructueuses, les « mandataires judiciaires associés » s’avèrent particulièrement difficiles à joindre. Le standard téléphonique, qui ne fonctionne que de 9h45 à 12h45, relaie en boucle ce même message sur un fond musical qui se veut tranquillisant :
« Bonjour, vous êtes en relation avec la SCP Bécheret, Thierry, Sénéchal, Gorrias mandataires judiciaires associés, merci de patienter quelques instants, une opératrice va prendre votre appel. »
L’opératrice en question (parce que, bien sûr, il est impensable qu’un homme occupe un poste d’opérateur téléphonique chez les professionnels judiciaires) ne prendra jamais notre appel :
« Toutes nos lignes sont actuellement occupées, merci de bien vouloir renouveler votre appel. »
Le mail que nous avons envoyé à la BTSG est également resté sans réponse. Nous voulions leur faire part de nos découvertes au sujet de la ville de Tours et leur demander des explications sur l’envoi de ce courrier et la sélection des destinataires.
Aujourd’hui, seules deux hypothèses s’offrent à nous : soit ces professionnels de la liquidation judiciaire sont incompétents et, dans ce cas, il serait souhaitable qu’ils cessent de prendre en charge ces procédures ; soit il s’agit d’une grande mascarade visant à engraisser des cabinets tels que celui de la BTSG aux dépens de l’objectif affiché de reclassement des salariés licenciés...