L’adjudant Kronenbourg est Charlie : lettre ouverte d’un ouvrier du Livre à quelques ministres

A propos des curieux défenseurs de la presse qui accompagnaient Hollande le 11 janvier, des aides accordées par l’État aux journaux, et des « catcheurs enfouraillés en treillis » qui patrouillent dans nos gares.

Tours le 14 Janvier 2015

Mme la Ministre de la Culture
M le Premier Ministre
M le Secrétaire du Parti Socialiste
Madame, Messieurs,

Je n’ai pas participé à la manifestation d’unité nationale convoquée dimanche 11 janvier, bien que terriblement choqué et peiné des meurtres commis à Charlie Hebdo.

François Hollande, pour l’occasion, s’est affiché avec de curieux défenseurs de la presse. Ainsi, le représentant de la Turquie, qui emprisonne plusieurs dizaines de journalistes, du Gabon, qui en détient 177, de la Russie où Anna Politkovskaïa fut assassinée. La présence de la Hongrie et la de Jordanie ne bouleversera pas la remise du prochain prix Albert Londres. Les journalistes palestiniens du fond de leurs geôles doivent se réjouir du déplacement parisien de Benjamin Natanyahu pour clamer le droit à l’information.

Il ne manquait que l’adjudant Kronenbourg.

Dénoncer la répression de la presse avec de tels convives frise l’obscénité, alors que Charlie Hebdo et d’autres médias objectifs dénoncent ces tyrans à longueur de colonnes.

On peut se réjouir du déblocage d’un million d’euros par le ministère de la Culture pour aider Charlie Hebdo. D’autres médias, gavés de pub, propriétés de financiers aisés, n’ont pas eu à attendre que leur rédaction soit décimée à la kalachnikov pour bénéficier de la manne publique.

Jusqu’ici, Charlie Hebdo survivait par ses seules ventes, sans pub, et sans l’aide de l’État, si ce n’est une aide minorée à l’affranchissement, chichement accordée, tout comme Siné Hebdo, le Monde Diplomatique ou encore la presse syndicale.
Les Échos, propriété de Bernard Arnault, première fortune de France, s’est vu doté de 4 millions d’euros, Serge Dassault, cinquième fortune de France, reçoit lui aussi une aide conséquente, 16 millions d’euros, pour le Figaro, qui peine à vivre. Le journal l’Opinion, appartenant à Nicolas Beytout et relayant le point du vue du MEDEF est aussi aidé par l’État, pour informer, cultiver, sans doute.

Selon le ministère de la Culture les aides publiques à la presse concourent à la modernisation et la diffusion partout dans le pays d’une presse pluraliste et diverse. Cela explique sans doute que le Journal de Mickey, Gala, Closer ou « Prions en église » bénéficient d’aides publiques lorsque Charlie Hebdo et d’autres journaux d’information en sont privés.

Défiler avec des censeurs (doux euphémisme) et soutenir la presse de l’argent ne sont nullement des maladresses ou des obligations de circonstance. C’est le choix politique de l’actuel gouvernement et du parti socialiste. Ce choix a pour conséquence de mettre sur la paille les journaux qui concourent à l’information la plus impartiale .

L’autre choix serait d’aider la presse d’information et de la préserver des appétits financiers, pour garantir son indépendance. Pour cela, il serait nécessaire d’affronter les empires financiers, Bouygues, Dassault, Matra Hachette, entre autres, qui vivent des commandes de l’État et siphonnent au passage les aides publiques.

Bref, il vous faudrait faire une politique de gauche, aussi je peux comprendre votre hésitation et votre embarras, mais comme il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer…
Aujourd’hui, les despotes sont repartis museler la presse dans leur pays et bafouer les droits de l’homme sans que votre gouvernement ou le parti socialiste ne bronchent d’un poil... C’est normal, on ne fâche pas les clients qui font leur shopping chez les marchands d’armes français (5eme rang mondial), comme Dassault, également détenteur de médias.

Aujourd’hui, la République des costauds renforce Vigipirate et l’arsenal sécuritaire existant. L’heure est à la législation antiterroriste haut de gamme. Il semble cependant que les barrières devant les écoles, les catcheurs enfouraillés en treillis patrouillant dans les gares et les métros, les nombreuses arrestations au délit de faciès ont fait choux blanc. Quel est le bilan de Vigipirate au 7 janvier, un peu avant midi ? Quel est son coût en choix budgétaire, à l’heure où nous fermons des classes et des hôpitaux ?

L’urgence devrait être de s’occuper de l’esprit, plus que de la gâchette, le vieil Hugo jugeait salutaire d’ouvrir des écoles pour fermer des prisons. Il est sans doute opportun aujourd’hui de sauver la presse d’opinion, garante de démocratie, avec le budget insolent dévolu à la politique sécuritaire. Sauver notre presse d’opinion, tant qu’elle vit encore, plutôt que suivre son cercueil avec les clients de ses fossoyeurs.

Je vous prie de recevoir, Madame, Messieurs, mes salutations

Michel ANCE
Ouvrier de la presse parisienne et syndicaliste
http://piquetdegreve.blogspot.fr/