Le 24 septembre 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’EDF suite à sa condamnation pour plusieurs infractions à la réglementation des installations nucléaires à la centrale nucléaire de Chinon. Cette décision vient trancher, en faveur des associations, des questions de droit nucléaire qui se posaient régulièrement devant les juridictions répressives.
En 2013, lors d’une inspection menée à l’occasion d’un chantier de maintenance sur le réacteur B1 de la centrale de Chinon, l’Autorité de sûreté nucléaire a découvert une série alarmante de dysfonctionnements et négligences. Ceux-ci révélaient d’inquiétants problèmes organisationnels et un véritable mépris tant pour la sûreté que pour la protection des travailleurs.
Sur la base de ce rapport, en avril 2014, le Réseau « Sortir du nucléaire » a déposé plainte contre EDF pour une quinzaine d’infraction à la réglementation des installations nucléaires et au droit du travail.
Le parquet a alors engagé des poursuites uniquement à l’encontre du directeur de la centrale (le Réseau « Sortir du nucléaire » ne l’avait cependant pas visé dans sa plainte et a dû faire citer EDF devant le tribunal, pour éviter que l’entreprise n’échappe à la condamnation). Parmi la longue liste d’infractions, trois ont été retenues par le procureur :
- la mauvaise gestion de substances chimiques sur le site (les produits acides et basiques, pourtant incompatibles, étaient stockés ensemble au mépris des règles de sûreté les plus élémentaires) ;
- l’absence de traçabilité de certaines opérations de maintenance (en l’absence de levée de points d’arrêts de surveillance, des contrôles systématiques formalisés étant remplacés par de simples sondages) ;
- une importante fuite de bore sur une canalisation (ce produit destiné à contrôler les réactions nucléaires est considéré comme une substance « hautement préoccupante en raison de ses caractéristiques reprotoxiques » par la réglementation européenne).
Suite à une audience rocambolesque, lors de laquelle l’avocat d’EDF avait comparé la fuite de bore à une trace de calcaire sur une tuyauterie domestique et les rétentions d’EDF à de solides armoires normandes, le 6 décembre 2016, EDF et le directeur de la centrale ont été respectivement condamnés à 7 000 et 2 750 € d’amende pour ces trois infractions.
EDF et le directeur ayant fait appel de cette condamnation, une nouvelle audience s’est tenue le 1er février 2018 à la cour d’appel d’Orléans. Suite à des joutes verbales houleuses entre le Parquet et le directeur de la centrale, l’affaire a été mise en délibéré. Le 29 mai 2018, la cour d’appel d’Orléans a largement confirmé le jugement rendu en première instance. Finalement, EDF et le directeur de la centrale ont ainsi été respectivement condamnés à 7 000 et 1 750 € d’amende.
Malgré ses deux condamnations successives, EDF a tout de même décidé de porter l’affaire devant le Cour de cassation en soulevant notamment deux problèmes de droit :
- le mode de preuve des contraventions en matière nucléaire, qui ne serait pas libre mais uniquement sur procès-verbal (ce qui revient à exclure les éléments évoqués dans les rapports d’inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire dès lors qu’ils ne feraient l’objet d’un procès-verbal) ;
- la clarté et la précision des textes répressifs en matière nucléaire.
Le 24 septembre 2019, la Cour de cassation a rejeté les moyens soulevés par EDF. Pour le Réseau « Sortir du nucléaire », cette décision marque une avancée considérable pour le droit nucléaire et les associations.
En effet, ces arguments étaient constamment martelés par EDF et les exploitants nucléaires afin d’échapper à leur condamnation. Cet arrêt vient donc définitivement trancher le débat. Il confirme, d’une part, que la preuve est libre en matière pénale, y compris en ce qui concerne les contraventions nucléaires, la Cour estimant que « la preuve des contraventions objets des poursuites peut être apportée par tout moyen ; que les procès-verbaux établis par l’ASN constituent des éléments de preuve qui, soumis au débat et n’étant pas le fruit de procédés déloyaux, sont parfaitement admissibles » ; et, d’autre part, que les textes répressifs nucléaires sont suffisamment clairs et précis pour être à la base de condamnations pénales.