Grève dans la santé : « On bosse, on bosse, et on bosse dans de très mauvaises conditions »

Ce mardi 8 novembre, des centaines de soignants et soignantes ont manifesté à Tours à l’appel des organisations syndicales. Paroles de manifestant-es.

Parmi les soignant-es représentés, un certain nombre d’orthophonistes. L’un d’eux expliquait :

« Nous nous bagarrons parce que les études d’orthophonistes sont passées à bac+5 depuis 3 ans, et nous sommes toujours payés à bac+2. Le gouvernement propose une rémunération à niveau bac+3, mais c’était valable il y a 40 ans : cela fait déjà 25 ans que les orthophonistes ont un diplôme de niveau bac+4. On a déjà manifesté avec les étudiants la semaine dernière, et on décidera la suite qu’on donne au mouvement le 14 novembre. Les orthophonistes hospitaliers ont déjà fait grève. Il faut une revalorisation statutaire. Aujourd’hui, le salaire de départ d’une orthophoniste, c’est le SMIC + 47 euros. »

Plus loin, deux infirmières du CHU :

« On est dans la rue par rapport aux conditions de travail dans les hôpitaux et autres établissements de santé. Les conditions de travail sont mauvaises, parce qu’il y a une volonté de destruction de l’hôpital public. Cette destruction va se faire sur le long terme, mais elle est prévue en amont, notamment par la loi HPST (la « loi Bachelot ») et la loi « Santé » (portée par Marisol Touraine).

La loi Santé prévoit la constitution de groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui obligent les hôpitaux à opérer des restructurations dans les services, ce qui entraîne des suppressions de postes ou de lits. Au CHU de Tours, la direction veut créer un pôle « secrétariat », avec la suppression de 150 postes de secrétaires en 3 ans. Beaucoup d’autres services connaissent des réorganisations. On nous dit que c’est pour le bien des patients, mais en fait c’est pour supprimer des postes. Et on est pas dupes, on voit bien les effets sur nos conditions de travail et la qualité des soins, qui se dégrade de jour en jour.

Les conditions de travail sont déplorables, c’est pire qu’avant. C’est extrêmement difficile dans tous les services. Les congés maternité ne sont plus remplacés. Le gouvernement a annoncé la suppression de 22 000 postes sur tout le territoire national.

Les restructurations sont très mal vécues dans les services. Les agents sont souvent prévenus au dernier moment. Et au final, ils se retrouvent avec une augmentation de la charge de travail liée à la baisse de personnel.

Il y a une volonté de développer l’ambulatoire, parce que ça rapporte plus d’argent à l’hôpital. Mais on est là pour apporter des soins, pas pour faire de l’argent ! C’est notre mission première, la mission du service public. La ministre de la Santé a déclaré que le GHT serait le levier pour faire des économies. »

Une autre infirmière, qui travaille dans un service de chirurgie, confirme cette dégradation des conditions de travail :

« Les absences ne sont pas remplacées. Alors les cadres rappellent les agents sur leurs repos, leurs RTT, leurs congés. On nous met la pression : si on ne vient pas, nos collègues seront dans la merde, on n’a pas d’esprit d’équipe... On se sent obligées de revenir, même si la direction est incapable de nous redonner nos repos derrière. On bosse, on bosse, on bosse, et on bosse dans de très mauvaises conditions. »

Un agent d’un service de réanimation évoquait la volonté de la direction de faire passer le travail de nuit de 10 heures à 12 heures :

« C’est beaucoup trop dangereux pour nous et les patients. (...) On manque de personnel, les gens sont rappelés sur leurs repos, tout le monde est à bout, tout le monde est fatigué. (...) Les économies se font sur le dos du personnel, ça va jouer sur la qualité et la sécurité des soins. »

Une infirmière avec 17 ans d’expérience, brandissant une pancarte « ni nonnes, ni connes » :

« Je suis dans la rue parce que les conditions de travail se dégradent de plus en plus. Bien évidemment, ce sont les patients qui en pâtissent. Moi j’ai toujours voulu être infirmière pour travailler dans le service public, c’est-à-dire la santé pour tous. La ministre Marisol Touraine veut supprimer des postes, alors qu’on est en sous-effectif, qu’on souffre énormément pour donner des soins de qualité. Je suis dans la rue parce que j’en ai marre. J’en ai marre aussi d’être sous payée.

On se fait du mal, parce qu’on aime notre métier. Quand quelqu’un dans l’équipe est malade, on s’appelle et on vient bosser pour aider les collègues, parce qu’on sait à quel point c’est galère dans les services. Comme les bonnes sœurs, on se "donne" quelque part, à vouloir aider les autres. C’est ce que ça m’évoque, ce don aux autres. Mais il y a des limites. Et il faut que la ministre l’entende. Surtout un gouvernement de gauche. Franchement, ils ont pas honte. Ils nous ont menti. On a voté à gauche, j’ai toujours voté, ils nous ont menti. C’est pire que la droite. Moi je dis que la politique du CAC40, je n’en veux plus. »

A propos de l’impact de la situation à l’hôpital sur la santé des agents, cette même infirmière explique :

« On est de plus en plus en souffrance. Récemment, on a entendu parler de cinq collègues qui se sont suicidés en lien avec leurs conditions de travail [1]. A mon avis, il doit y en avoir beaucoup plus. Comme on est des soignants, on a honte d’être en souffrance. Moi, je travaille en psychiatrie, j’ai déjà fait une dépression... c’est la honte. On ose pas le dire, c’est caché tout ça. Mais on en peut plus, on sait que nos patients souffrent, et qu’on les maltraite. Alors on craque. On ramène ça chez nous, et on culpabilise, on rumine. Moi j’ai pas fait ce métier pour faire souffrir les gens. Le burn out nous pend au nez. »

La manifestation s’est rendue devant les locaux de l’Agence régionale de santé (ARS), copieusement huée par les soignantes et soignants, qui ont également scandé « Marisol, démission ».