Future « fronde » des automobilistes et des commerçants : la prophétie auto-réalisatrice d’Info-tours

Le journalisme est un métier qui requiert techniques et méthodes. Le mieux pour se les approprier est de les observer mises en œuvre dans des supports accessibles.

Voici donc une courte leçon de pratique journalistique — niveau presse quotidienne régionale (PQR) — grâce à l’inénarrable Olivier Collet, unique journaliste d’Info-tours.fr. Thématique : la prophétie auto-réalisatrice ou comment rédiger un article qui va faire advenir ce qu’il annonce et ainsi justifier l’écriture d’une série d’articles consécutifs.

Leçon de journalisme PQR du jour : la prophétie auto-réalisatrice

Quand on est seul à tenir les colonnes d’un site généraliste ayant vocation à couvrir toute l’actu du coin et surtout à faire raquer des annonceurs comme c’est le cas d’info-tours, il faut être efficace. Efficace en l’occurrence cela veut dire être capable de remplir des colonnes vite et bien. Pour ça, il y a des recettes simples que chaque journaliste de la PQR qui se respecte sait concocter à merveille. Et oui, il ne suffit pas de sauter sur n’importe quel fait divers pour faire une brève, il n’y en a souvent pas assez. Pédagogie étant œuvre de démonstration, on vous en cite quelques unes.

  • Faire d’une info plusieurs articles. Ça, Olivier Collet sait bien le faire, chacune de ses interviews des politiciens locaux étant diffusée par parties. Double effet kiss cool.
  • Passer dix minutes à la réunion de n’importe quel parti politique local, tendre un micro (ça fait le même effet qu’un pot de miel sur Winnie l’ourson), garder trois citations et broder autour. C’est emballé.
  • Faire des articles de base sur la pluie et le beau temps avec des titres aguichants genre « ça va glisser en Touraine » puis faire ceux qui vont avec sur la suppression des transports scolaires et enfin faire des articles bilan pour dire qu’en fait ça n’a pas glissé... pactole !
  • Confier ses colonnes à n’importe quelle association pas trop revendicative comme Olivier Collet l’a fait avec Femmes 3000, l’association prétendument féministe qui ne voit l’égalité que dans entrepreneuriat. Pas cher.
  • (...)
  • Enfin, prendre n’importe quelle actualité nationale et la commenter en imaginant ce que ça pourrait donner localement. C’est simple, tu restes gentiment au chaud chez toi, tu sors les banalités habituelles et c’est parti.

Ca demande un peu de talent quand même. Il faut savoir sentir l’air du temps Là le journaliste réveille le sociologue qui sommeille en lui. Pas Pierre Bourdieu hein, plutôt Jacques, son cousin du café du commerce. Il faut aussi savoir être visionnaire, faire de la prospective, anticiper l’avenir et surtout anticiper comment le commun des mortels moyens va réagir. Enfin, c’est mieux si tu connais le sujet.

Cas d’école : la « fronde » qui vient

Pour les besoins de la pédagogie on va découper en morceaux (si la Rotative vendait de la pub, l’auteur de ces lignes aurait sans doute été invité à faire de chacun un article). C’est parti pour l’étude de ce cas exemplaire de journalisme d’anticipation.

Sujet : le gouvernement a annoncé, entre autres solutions sensées lutter contre l’insupportable hausse historique de la mortalité sur les routes [1], des mesures pour améliorer la sécurité des piétons en interdisant aux véhicules (hors deux-roues) de se garer à moins de 5 mètres « avant les passages piétons » et de renforcer les sanctions envers les conducteurs qui stationnent sur les passages piétons, trottoirs ou pistes cyclables.
Avantages : sujet qui concerne tout le monde donc potentiel de lecteurs au zénith, pas trop de risques de controverse politique, un petit potentiel polémique puisque ça oppose des catégories d’usagers.
Verdict : on fonce !

Connaissance approfondie du sujet :
Olivier Collet a dû naître sur un passage piéton. Ou pas loin en tous cas. Il écrit régulièrement des articles de fond sur le sujet. Le 23 septembre 2014, il s’insurgeait contre l’absence de passage piéton dans une zone 30 des Deux Lions, ce qui amenait tout le monde à traverser « n’importe comment » (photos à l’appui). Bingo, 4 jours plus tard, il dégainait une interview du Collectif Cycliste 37 qui lui expliquait gentiment que c’était plutôt une bonne idée. Combo gagnant. Le 30 novembre 2014, il n’avait pas hésité à aller au contact avec des automobilistes indélicats qui se garaient sur les passages piéton pour faire leurs courses (on pourrait donc s’attendre à trouver en Olivier Collet un ardent défenseur de la piétonnisation, on verra plus tard que ce n’est pas le cas).
Avantages : une expérience approfondie qui permet de connaître tous les poncifs à dégainer le moment venu.
Verdict : à ce niveau on parle d’expertise.

Angle d’attaque : dire que ça va bien comme ça l’écologie ou la sécurité des piétons et qu’on veut pouvoir rouler en caisse en ville, bordel ! Le faire un petit peu plus subtilement pour donner l’impression qu’on ne profite pas du fait d’être le type qui appuie sur « publier » pour faire passer ses idées personnelles. La jouer oracle en annonçant qu’il va y avoir une « fronde » des automobilistes et des commerçants. Oui, une « fronde », ça fait gros mot qui tâche et ça permet de tendre la main à Laurent Baumel pour un futur entretien (toujours anticiper). S’appuyer sur le passé : oui, les commerçants râlent dès qu’on retire une place de parking à moins de 20 kilomètres de leur établissement et poussent des cris d’orfraie dès qu’on leur parle de piétonnisation [2]. En plus, ça ajoute une touche d’historien dans le sociologue. A la fin, faire un clin d’œil au lecteur en s’adressant à lui avec complicité : « alors, on parie que ça va râler ? ». Ensuite, prier pour que ça marche.
Avantages : c’est bien racoleur, y a le petit côté sympa proche du petit commerce et de ces automobilistes qu’on traite comme des « vaches à lait ». C’est bien parti, et en plus y a effectivement de grandes chances que la prophétie s’avère juste, ce qui permettra de dire « je vous l’avais bien dit » (donc de renvoyer vers un ancien article, de générer du clic et donc des revenus publicitaires, vous suivez toujours ?). Dans le cas contraire ce ne serait de toute façon pas le premier article qui raconterait n’importe quoi.
Verdict : on fait l’article comme ça, ça permettra sans doute d’en faire plein dans la foulée.
Bonus : y aura peut-être même un gus qui fera un article désagréable sur votre article et votre pratique professionnelle. C’est toujours un peut vexant mais ça fera quand même venir 3 clics. Malin !

Bilan :
Faites un article de 1685 signes (oui, un journaliste sérieux compte les signes de son article) intitulé « Sécurité routière - passages piétons : vous la sentez venir la fronde ? ». Oui, un premier parce qu’un sujet pareil ça en annonce d’autres. Livrons-nous à notre tour à un peu de prospective (à but pédagogique, bien sûr).

Ça fait combien d’articles assurés ça ? Soyons sympas et partons sur une hypothèse basse. Hypothèse elle-même fondée sur une seconde hypothèse : de fronde il n’y aura pas vraiment donc pas de manifs à couvrir ni rien. On peut quand même miser sur trois articles. Pour les besoins de la démonstration on vous donne les pitchs :

Passage piéton : l’association des commerçants pas contents d’être en colère dénonce une mesure « irresponsable » en période de crise

Le pitch : une interview de Jean-Pierre, commerçant rue des halles qui a calculé que sur la place ça fait 15% de stationnement en moins. Qui du coup explique que son chiffre d’affaires va être divisé par 8. Qui ajoute que quand on voit les cheminots qui glandent et ont des passages piétons gratuits alors qu’on fait rien qu’à aider les grandes surfaces mais rien pour le petit commerce, et bah faut pas s’étonner que ça vote FN. Qui pense s’associer avec le « collectif des automobilistes poujadistes mais de tradition » pour lancer une pétition réclamant des aides de la mairie et des baisses de charges parce qu’« avec toutes les taxes on étouffe ».

Passage piéton : la ligue contre les méchants violents de la route dénonce « l’irresponsabilité » de l’association des commerçants pas contents d’être en colère
Le pitch : échanges avec Jeannine, retraitée qui se bat pour qu’on encabane pendant 20 ans quiconque a un jour bu un verre de trop. Elle s’insurge contre les propos de Jean-Pierre qu’elle juge égoïstes. « Ces gens-là ne pensent qu’à leurs bénéfices alors qu’au Québec des bébés-phoques meurent sur la route tous les jours » s’emporte-t-elle. Elle appelle le gouvernement à maintenir le cap avec fermeté.

Passage piéton : Yves Massot calme le jeu
Le pitch : coup de fil à Yves Massot, l’adjoint au transport à la mairie de Tours, lequel temporise. Il déclare : « je crois qu’on a entendu beaucoup de choses excessives sur cette affaire. Il faut garder la tête froide, sur un sujet pareil il faut prendre des décisions objectives et non idéologiques ».

Sur ce, on salue Olivier Collet pour sa perspicacité et son professionnalisme et on lui souhaite bon courage pour tous ces bons articles à venir qu’il va quand même falloir écrire (plus efficacement que nous ne l’avons fait pour ce modeste cours).

Jean-Louis Durand

Notes

[1Hausse qui vient après une baisse historique. Ami camarade journaliste, trouve toi vite un copain doué en stats et tu auras un article facile sur pourquoi c’est finalement pas totalement étonnant...

[2Quand bien même toutes les études montrent qu’ils y gagnent toujours, notamment en régularité de fréquentation dans la journée.