Exploitation 2.0 : quand des patrons font passer leurs employés pour des travailleurs indépendants

À l’image d’Uber, de Deliveroo ou de Take Eat Easy, les entreprises qui n’emploient plus leurs personnels mais les font travailler comme auto-entrepreneurs se multiplient.

Alors qu’elles entretiennent avec ces travailleurs des liens de subordination, elles les précarisent en se débarrassant de leurs devoirs d’employeur (cotisations, congés payés, chômage, couverture maladie, etc.). Des membres du collectif d’entraide à la rédaction de Rebellyon.info ont voulu cerner un peu mieux les enjeux de ces situations nouvelles avec la sociologue Sarah Abdelnour, l’une des rares à avoir étudié ce sujet.

« L’auto-entreprenariat a créé une nouvelle manière de se désengager pour les employeurs »

Le salariat déguisé tel que vous le décrivez apparaît-il avec le statut d’auto-entrepreeneurs ?

Sarah Abdelnour : L’auto-entrepreneuriat n’a pas créé les très petites activités informelles, à la marge du travail salarié. Mais toutes les personnes devenues auto-entrepreneurs que j’ai rencontrées étaient auparavant salariées ou au chômage. Ce ne sont pas des gens qui sont passés de bricolages informels vers l’auto-entrepreneuriat et qui auraient mis en forme quelque chose qui existait déjà. Il y a aussi des personnes qui sont en sortie d’études, qui commencent par là. Mais les personnes qu’elles remplacent étaient en CDD.

La création du statut d’auto-entrepreneur a clairement entraîné quelque chose de nouveau. Les entreprises qui font aujourd’hui travailler des personnes sous ce statut utilisaient auparavant des contrats en CDD ou CDI. Le plus flou qu’elles pouvaient faire, c’était le stage, ou alors le travail au noir. L’auto-entreprenariat a créé une nouvelle manière de se désengager pour les employeurs. Pour eux, c’est un outil économique et assez pratique pour faire bosser les gens sans gérer l’emploi, sans embaucher, sans payer de cotisations.

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« Quand des dizaines de livreurs à vélo se seront fait renverser, la question de comment protéger ces faux indépendants va se poser »

Plus généralement, comment les travailleurs voient-ils leur situation ?

Sarah Abdelnour : Les salariés que j’ai interrogés m’ont majoritairement affirmé qu’ils étaient contents. A l’époque, ils avaient tous moins de deux ans d’auto-entreprenariat derrière eux. Je pense que les situations pourraient avoir tendance à s’inverser. La création de toute petite entreprise est difficile, et on sait qu’il y a des gros taux d’échec entre trois et cinq ans. Il n’empêche que ces travailleurs partageaient un peu la vision des employeurs, qui consiste à dire : « C’est quand même cool parce que sans ça je n’aurais pas de travail. » S’y ajoutait une revendication d’une sorte d’autonomie.

Avoir réussi à trouver un boulot dans un contexte où c’est difficile les valorise. En rapport à ça, j’ai rencontré beaucoup de critiques de l’assistanat du type « Moi, je ne supporterais pas de toucher les allocations. » Ils cherchaient beaucoup à démontrer qu’ils n’étaient pas des assistés, qu’ils avaient réussi à trouver une solution.

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Tous ne se rendent pas compte qu’en cas de maladie, ils ne seront pas remboursés, qu’ils perdront de l’argent… La différence entre le travail indépendant et le salariat porte pour beaucoup sur la gestion du risque. Le salariat a été créé pour ça, comme une mise en commun des situations de risque et des manières de les rembourser, de les assurer, etc. Les travailleurs indépendants, tant qu’ils sont jeunes et qu’il ne leur arrive pas grand-chose, ça va, c’est un deal convenable. On dit souvent que la première grande loi sociale en France est la loi sur les accidents du travail. Quand il y aura eu des dizaines de livreurs à vélo qui se seront fait renverser, la question de comment protéger ces gars faussement indépendants qui s’exposent à de nombreux risques dans leur travail va se poser.

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