De Calais à Saint-Pierre-des-Corps : « Je n’ai pas de contrôle sur ma vie »

Depuis le 24 octobre et le démantèlement du bidonville de Calais, 46 hommes sont hébergés dans un centre d’accueil et d’orientation à Saint-Pierre-des-Corps.

Ils sont arrivés de Calais le lundi 24 octobre. 46 hommes, essentiellement des Soudanais. Le foyer dans lequel ils ont été installés est situé en bordure de la voie de chemin de fer. Un hasard sans doute : le nom de l’avenue, Stalingrad, évoque la station du métro parisien où des centaines d’autres réfugiés survivent dans des campements de fortune [1].

H., 27 ans, est passé par ces campements de La Chapelle et Stalingrad, à Paris, avant de rejoindre Calais. Avant cela, il y a eu la traversée de la Méditerranée, l’arrivée en Italie, le passage de la frontière à Vintimille. Puis quatre jours de marche pour rejoindre Cannes.

« Pendant la journée, je me cachais pour éviter les contrôles de police ; je marchais la nuit. »

Certains des hommes accueillis dans le CAO ont passé plus d’un an à Calais. « La vie était horrible là-bas ». Ils évoquent ceux qui ont réussi à rejoindre l’Angleterre, et ceux qui sont morts en essayant. Pour les Soudanais, vouloir passer de l’autre côté de la Manche est presque une évidence : l’anglais est l’une des langues officielles dans leur pays d’origine, et beaucoup ont de la famille installée là-bas. Mais aujourd’hui, la frontière leur apparaît comme complètement fermée [2].

Alors, certains sont prêts à tenter leur chance en France. Ils ont un mois pour décider s’ils veulent présenter une demande d’asile ici. S’ils refusent, ils ne savent pas trop ce qui leur arrivera. Certains pourraient être renvoyés vers l’Italie, en application du règlement « Dublin », qui prévoit que le premier pays européen traversé par un demandeur d’asile soit considéré comme responsable du traitement et de l’examen de sa demande. Pourtant, comme le rappelle H., des milliers de réfugié-es arrivent chaque jour en Italie, où les structures d’accueil manquent.

En attendant que leurs procédures de demande d’asile avancent, les hommes du CAO trompent l’ennui, notamment en jouant au foot sur un terrain situé à proximité. Si, en théorie, ils peuvent aller et venir librement pendant la journée, H. explique qu’il a quand même le sentiment d’être emprisonné. Le fait d’avoir une chambre, un lit, ne fait pas disparaître la peur et le sentiment d’être dépossédé de son existence :

« Je n’ai pas de contrôle sur ma vie ».

C’est l’entreprise Adoma qui gère le CAO de Saint-Pierre-des-Corps. Un vigile est présent jour et nuit, deux travailleurs sociaux sont là pour accompagner les résidents dans leurs démarches administratives. Un travailleur social pour 23 résidents, c’est mieux que ce qui était fixé par l’État, qui a prévu un ratio de 1 pour 30, et un budget de 25 euros par personne et par jour pour le fonctionnement de ces centres. Mais aux yeux de certaines structures d’hébergement qui ont refusé de participer au dispositif, le montant de cette dotation est insuffisante pour permettre un fonctionnement satisfaisant [3]. D’ailleurs, plusieurs résidents de l’avenue de Stalingrad s’inquiétaient au cours du week-end de l’absence d’accompagnement.

La solidarité locale avec les exilés de Calais s’est matérialisée ce mardi 1er novembre avec la venue au centre d’une vingtaine de personnes, organisées notamment autour de la page Facebook « Coup de pouce aux migrants de Tours », qui ont apporté vêtements et nourriture. Et le 2 novembre en début de soirée, une trentaine de personnes se sont réunies place Jean Jaurès, à Tours, pour réclamer l’ouverture des frontières.

Notes

[2L’État français a multiplié les obstacles : installation de grilles barbelées, construction d’un mur, traque systématique par la police...

[3Le blog Passeurs d’hospitalité, qui documente la situation à Calais, évoque « un système d’accueil au rabais pour les demandeur-se-s d’asile (...) le budget de fonctionnement alloué par l’État aux CAO est insuffisant pour assurer un accueil et un encadrement satisfaisant ».