Ton documentaire s’ouvre sur la lutte des sidérurgistes en Lorraine. Quel lien fais-tu entre des ouvriers opposés à la fermeture de leur usine et la pollution ?
C’est une histoire passée inaperçue entre les promesses de repreneur par Sarkozy, de nationalisation par Montebourg, ou de reclassement par Hollande : pendant cette chaude activité sociale, Arcelor Mittal continuait d’empocher des millions grâce à ses crédits carbone. Depuis 2005, le gouvernement alloue gratuitement chaque année aux industriels des droits à polluer. Or, en étant le plus gros pollueur sur le sol national (18% des rejets CO2 contre 16% pour EDF et 9% pour Total), Arcelor bénéficie du plus gros stock de crédits. Avec le ralentissement de son activité, elle ne les utilise pas intégralement et les revend à d’autres industriels [1]. Ce qui en fait l’entreprise la plus excédentaire d’Europe en crédits carbone. « Arcelor Mittal gagne autant voire plus d’argent en arrêtant ses hauts-fourneaux qu’en les faisant fonctionner. On marche sur la tête ! », d’après un syndicaliste [2].
Est-ce un « abus » du marché carbone ?
Pour les économistes libéraux, partisans d’une financiarisation du climat, c’est un exemple de bon fonctionnement. Il faut faire confiance au marché, il se régulera tout seul. Selon leur idéologie, la nature est « gratuite » alors que sa destruction n’est pas comptabilisée négativement. Avec le marché carbone, l’air a désormais un prix qui rend plus rentable d’arrêter certaines usines. Parce qu’Arcelor Mittal délocalisera dans un pays aux normes moins contraignantes. Surtout, parce qu’à aucun moment n’est questionnée la nécessité de produire de l’acier en si grande quantité. Le ralentissement de l’activité sidérurgiste en Lorraine est peut-être une bonne nouvelle environnementale, mais ce n’est pas de l’écologie. C’est une magouille de trader.
La logique marchande amène aussi des effets inverses, parfois à l’échelle d’un pays. Fin août 2015, un institut suédois indépendant d’étude sur le climat a publié un texte sur les effets « pervers » du protocole de Kyoto. Ils ont révélé que la production de gaz fluorés (comme le dioxyde de soufre au pouvoir réchauffant 23 000 fois supérieur au CO2) a explosé dans certains pays d’ex-URSS : « Les quantités de ces gaz-rebuts produites par ces installations ont considérablement augmenté entre 2008 et 2013, dès lors que leur captage et leur incinération ont été rémunérés [3] . » En clair, on a produit ce gaz uniquement dans le but de le détruire pour en tirer une rente. Les médias ont parlé de « dysfonctionnement », mais c’est la logique même du marché.
Autre problème de fond, les statistiques comptabilisent les énergies produites et non celles consommées. Une usine polluant en France est prise en compte dans le calcul national. Or, la quincaillerie électronique utilisée par les Français mais fabriquée en Chine est comptabilisée en Chine. Les voitures françaises ne pollueraient pas en France, mais chez les producteurs de pétrole. C’est oublier qu’un gaz émis où que ce soit à la surface de la Terre se dissout et se retrouve vite de l’autre côté du globe. Il n’y a pas de frontières pour les pollutions. Cette méthode de calcul insinue que le réchauffement climatique est un fardeau mondial qu’il faudrait partager, alors que c’est un problème de riches. Que l’on externalise les pollutions dans les pays pauvres n’y changera rien.
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Selon toi, qu’y a-t-il à attendre de la COP21 ?
Ce qu’on y discutera est relativement important et plusieurs signes avant-coureurs laissent penser qu’on ne rejouera pas le coup de Copenhague en 2009. Mais restons lucide. Le but est de limiter le réchauffement à deux degrés d’ici la fin du siècle. Chiffre sujet à controverse, car la véritable augmentation pourrait être de 3,7 à 4,8. Mais quand bien même les États s’y engageraient, aucune sanction n’est prévue en cas de promesses non tenues.
Enfin, la crise climatique permet au capitalisme bureaucratique d’intensifier son emprise sur nous. Le compteur électrique Linky dans les foyers, la privatisation des derniers biens communs, le rationnement, et l’intrusion des systèmes intelligents dans chaque aspect de nos vies. Plus que l’idéologie sécuritaire, l’écologie servira de prétexte à l’intrusion de dispositifs de surveillance. La vie privée pourrait en ressortir aussi affectée que par les lois antiterroristes.
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Illustration Mickomix