CHU de Tours : « Nous réclamons le droit d’être fier d’être des soignants »

Lettre ouverte d’une infirmière du CHU de Tours concernant le plan de restructuration de l’hôpital, la dégradation des conditions de travail et la dégradation de la qualité de prise en charge des patients.

Comme vous le savez le CHU de Tours va être le théâtre d’un vaste plan de restructuration. Notre direction a d’ailleurs largement communiqué sur ce plan : nouveau bâtiment, meilleur accueil pour les patients. Mais sous couvert de modernisation ce sont bien toutes les catégories de personnel qui vont être touchées par un plan social déguisé. Bien sûr, il n’y aura pas de licenciements secs, mais des départs non remplacés, des contrats non renouvelés, et pour la population moins de lits, des délais d’attente plus longs pour leur prise en charge.

En tant qu’infirmière, je fais partie du personnel soignant. Ce métier comme la plupart de mes collègues je l’ai choisi car comme on nous l’a enseigné lors de nos différents cursus, il permet d’appréhender la globalité d’un ou d’une patiente. Les soins ? pour en rappeler la définition du Larousse, ce sont : « des actes par lesquels on veille au bien être de quelqu’un, des actes thérapeutiques qui visent à la santé de quelqu’un, de son corps », mais aussi « des actes d’hygiènes, de cosmétiques qui visent à conserver ou à améliorer l’état de la peau, des ongles, des cheveux.. ». En l’occurrence, ces soins que nous prodiguons à nos patients sont le cœur de notre métier, ils sont le moyen de conserver voire d’améliorer l’état de santé de nos patients, ils englobent des soins techniques en collaboration avec l’équipe médicale ou relevant de notre rôle propre, mais aussi des soins relationnels.

De plus pour la plupart d’entre nous, nous avons choisi d’exercer notre métier au sein du secteur public, pensant éloigner la notion de merchandising du soin et par conséquent pouvoir prodiguer des soins sans souci de rentabilité.

« L’hôpital se comporte comme une entreprise »

Aujourd’hui nous avons bien compris que l’hôpital, outre sa fonction de service public, doit aussi se comporter comme une entreprise générant des profits, et qu’afin de recueillir ces dits profits, il faut rentabiliser la prise en charge non plus des patients et patientes, mais des clients et clientes. Et nous comprenons bien que pour des gestionnaires, écouter, tenir une main, rassurer, parfois essuyer des larmes et même accompagner les derniers souffles ne rapportent rien d’un point de vue financier. Mais pour nous, tout cela c’est notre quotidien.

Aujourd’hui les restructurations que l’on veut nous imposer, attaquent le cœur de notre métier, elles remettent en cause nos valeurs, ces valeurs qui font que pour satisfaire nos patients, nous sommes capables de sacrifier nos repos pour remplacer un collègue absent, de ne pas manger ou boire, tout cela — c’est un comble — au détriment de notre propre santé.

On nous demande d’être toujours plus efficaces, toujours plus rapides ou mieux organisés. Mais certains soins demandent du temps. L’exécution d’une toilette de patient alité est, selon les protocoles de soins, estimé entre 45 et 60 minutes. Faute de personnel suffisant, nous n’aurons plus le temps d’effectuer ce soin correctement entrainant un risque pour l’état cutané de nos patients, un risque d’augmentation des infections nosocomiales. On nous demande de ne plus changer les draps aussi souvent, qui accepterait de se reposer dans des draps souillés ?

Par la diminution au sein de nos effectifs, on nous contraint à effectuer plus de tâches sur notre temps de vacation au risque pour nous de devenir maltraitants, au risque de commettre des erreurs mettant en jeu la santé de nos patients, mettant en jeu notre diplôme.

Stress, malaise, mal-être et insécurité

Ce manque de temps à accorder à nos patients entrainera indéniablement une augmentation de leur angoisse, de leur agressivité ainsi que celle de leur famille, mettant en difficulté voire en insécurité nos collègues.

Comment assurer une éducation thérapeutique de qualité à nos patients en courant d’une chambre à l’autre ? Comment encadrer les personnels de demain, quand nous-mêmes, vous nous obligez par manque de temps, manque de moyens, manque d’effectifs à ne plus respecter scrupuleusement les protocoles de soins et d’hygiène ?

Toutes ces interrogations sont pour nous source de stress, de malaise, de mal-être, d’insécurité au sein de notre travail. Nous nous soucions de la qualité de prise en charge de nos patients, nous demandons de respecter notre droit à travailler dans de bonnes conditions et en sécurité. Et pour cela, nous demandons des moyens humains pour le faire.

Nous ne pouvons pas accepter de faire « payer » à nos patients des politiques de santé qui mènent à la déshumanisation de l’hôpital, nous ne pouvons pas accepter de devenir seulement des techniciens du soin. Nous réclamons le droit de pouvoir rentrer chez nous en se disant nous avons fait notre travail correctement, tout simplement nous réclamons le droit d’être fier d’être des soignants.

P.-S.

Cette lettre a été lue à l’occasion de la soirée du 20 octobre organisée par le collectif « Notre santé en danger » pour la défense de l’hôpital de Tours.