Chez Total, il n’y a pas que les patrons qui meurent

La mort du patron de Total dans un accident d’avion le lundi 20 octobre a été abondamment commenté par les médias. Un traitement médiatique qui occulte le fait que 79 salariés du groupe Total sont morts au travail entre 2008 et 2013.

Huit accidents de travail mortels en 2008. Vingt-et-un en 2009. Dix-sept en 2010. Au fil des pages des « Rapports société et environnement » publiés par le groupe Total [1], on voit s’accumuler les morts. Une bonne part des décès recensés dans le groupe correspond à des accidents de transport, dans des pays où les infrastructures routières laissent à désirer, notamment en Afrique. Mais en 2013, sur les quinze accidents mortels enregistrés, sept ont eu lieu dans les usines de Total.

En interne, la CGT dénonce une vision de la sécurité tournée uniquement vers les chiffres. Un militant explique :

« Le dada de la direction, en matière de sécurité, c’est de se positionner par rapport à ce que déclarent les autres majors pétrolières. Or, nous, on a toujours dit que les chiffres des autres groupes étaient bidons, puisqu’on sait que nos chiffres sont bidons. On sait que certains accidents sont camouflés, notamment chez les sous-traitants, puisque la direction leur met la pression pour qu’ils diminuent leurs taux d’accidents. Total les menace de sanctions, voire de rupture de contrat. Donc on sait pertinemment que certains sous-traitants camouflent les chiffres d’accidents, et on en a chopé certains. »

Si, d’après ce syndicaliste, la fusion entre Total et Elf a entraîné d’importants progrès en matière de sécurité, la fiabilité des déclarations d’accidents de travail est toujours sujette à caution.

L’objectif de la direction n’est pas tant d’améliorer la sécurité que de faire baisser le TRIR — le « Total Recordable Injury Rate », c’est-à-dire le nombre d’accidents déclarés par million d’heures travaillées. Et le fait que ce TRIR soit pris en compte pour le calcul de l’intéressement et de la participation est de nature à encourager le camouflage de certains accidents.

Les usines Total étant dangereuses, elles font l’objet d’une surveillance particulière de la part de l’administration, et les directions des sites donnent aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail les moyens de fonctionner. Néanmoins, les recommandations et alertes formulées par ces instances sont insuffisamment suivies d’effets aux yeux du syndicat CGT : « C’est la conséquence d’un arbitrage permanent entre les coûts et la sécurité ».

Ainsi, la nouvelle campagne de réduction des coûts qui a été lancée dans le raffinage a d’abord frappé des postes de maintenance, indispensables à la sécurité, ce qui fait craindre une nouvelle dégradation des résultats en la matière. Une crainte qui a été relayée dans le communiqué de presse de la CGT adressée aux médias suite à la mort du PDG de Total :

« Cet accident rappelle malheureusement que la sécurité dans les transports, qu’ils soient terrestres ou aériens, ainsi que la sécurité sur nos installations industrielles, n’est pas garantie, occultés souvent par les principes financiers.

Combien de salariés perdent leur vie en venant la gagner sans que cette question ne soit abordée souvent qu’en termes de coûts ? Pour la CGT, tout doit être mis en œuvre pour préserver la santé et la vie de l’ensemble des salariés, et ce en toutes circonstances.

C’est ce pourquoi la CGT milite en permanence dans les instances représentatives du personnel. C’est le sens des propos que la CGT a toujours tenu en présence du PDG de TOTAL, Monsieur de Margerie.

Mais force est de constater que, selon nous, les alertes que nous lançons ne sont pas suffisamment prises en considération. L’arbitrage entre objectifs financiers et sécurité est encore trop souvent fait au détriment de la santé et sécurité, et ce, malgré les propos contraires que C. de Margerie nous a toujours opposé. »

Sans surprise, les grands médias ne se sont pas arrêtés sur ces considérations un peu triviales, et ont préféré rendre « un hommage unanime au plus grand patron français ».

Photo : raffinerie Total, par Luc Poupard

Notes

[1Consultables sur le site de Total, onglet « Médias » puis « Publications ».