Ce que la Nouvelle République nous dit de l’extrême-droite : analyse lexicographique des articles sur Vox Populi

L’analyse du traitement médiatique de Vox Populi par la Nouvelle République montre comment ce groupuscule d’extrême-droite s’est développé via quelques actions homophobes. Offrant ainsi à son leader un tremplin pour intégrer le champ politique classique.

Nous avons l’habitude de lire des analyses du traitement médiatique qui se fondent sur le décryptage du fond des discours journalistiques. Des analyses qui montrent globalement une bienveillance croissante de la presse et notamment de la presse quotidienne régionale (PQR) vis-à-vis des partis et groupes d’extrême-droite. Nous proposons ici, à partir de l’exemple local du groupuscule identitaire Vox Populi vu par la Nouvelle République, d’observer ce traitement à partir de sa forme. Nous nous appuyons pour cela sur des outils de statistique textuelle (ou lexicographie).

Évacuons tout d’abord un doute : cette proposition n’est pas une mise en accusation de la pertinence des méthodes classiques de la critique des médias. Elle n’est pas non plus une déclaration d’amour à l’idéologie de la donnée qui voudrait que tout soit compréhensible et analysable à partir de données chiffrées. Nous nous en méfions comme de la peste et affirmons que l’analyse que nous présentons ici n’est ni plus ni moins objective que les analyses de fond. Si elle s’appuie sur des outils statistiques c’est avant tout pour permettre une interprétation qualitative incluse dans une approche globale du sujet.

Sans connaissance de nos sujets, le groupuscule d’extrême-droite identitaire Vox Populi d’une part, le journal La Nouvelle République d’autre part, elle ne permettrait de dégager aucun élément signifiant. Si nous utilisons ces outils c’est parce qu’il permettent d’étudier les choses autrement : en l’occurrence cette méthode permet surtout de regarder l’expression du média étudié d’un point de vue global, c’est-à-dire en ne se focalisant pas prioritairement sur le fond d’un article mais sur la structure générale du propos tenu sur le sujet. En cela, elle documente autant le travail de la NR que la stratégie médiatique de Vox Populi et l’importance de ce groupuscule sur la scène publique tourangelle.

Repères

Vox Populi est un groupuscule d’extrême droite que l’on peut rattacher à la tendance identitaire avec la particularité toutefois d’être ouvertement catholique traditionaliste (les identitaires sont en général néo-païens). Son chef, Pierre-Louis Mériguet, ex-néonazi, entretient de très bonnes relations aussi bien avec Philippe Vardon, leader du groupe identitaire Nissa Rebella qu’avec des catholiques intégristes.

Le groupuscule est apparu sur la scène publique tourangelle en 2010 en s’opposant d’abord à la statue Femme Loire et en organisant une première manifestation anit-gaypride puis en 2011 avec leur première marche aux flambeaux à l’esthétique très typée IIIème Reich ainsi qu’à travers un blog qui, avant d’être expurgé, faisait la publicité de textes ouvertement fascistes, l’éloge d’anciens SS et la promotion des idées de Charles Maurras.
L’association loi 1901 Vox Populi a été dissoute en 2014, son chef ayant décidé de finir d’intégrer le champ de la politique « classique » en adhérant au RBM puis au FN, parti sous l’étiquette duquel il est candidat aux élections départementales de 2015. Certains membres, dont Pierre-Louis Mériguet, demeurent actifs au sein d’une association cache-sexe, le Cercle Jean Royer, qui fait venir à Tours divers conférenciers d’extrême-droite.
La Nouvelle République du Centre-Ouest est le seul quotidien diffusé en Indre-et-Loire. Sa position monopolistique lui permet de ne pas avoir à requestionner ses pratiques pour vendre du papier mais le rend aussi incontournable pour les groupes politiques dont le travail se fait essentiellement dans le champ médiatique (ce qui était clairement le cas de Vox Populi).

Corpus et méthodes

Le corpus analysé est basé sur les articles renvoyés par le moteur de recherche du site de la Nouvelle République à la requête « Vox Populi ». Une fois expurgé des doublons et des articles référant à la vox populi et non au groupe politique, il comprend 79 articles soit un total, titres compris, d’environ 23000 mots. La moitié (40) de ces articles ne sont pas signés et les journalistes les plus prolixes sur le sujet sont Olivier Pouvreau (8 articles) et Raphaël Chambriand (6) [1].

Nombre d’articles de la NR sur Vox Populi - période 2010-2015

L’année 2010 ayant été marquée par la contestation de la statue « Femme Loire » (initiative menée par des personnes de diverses obédiences [2], que Vox Populi avait tenté assez piteusement de s’approprier) et la première manifestation anti-gaypride, il donc est assez étonnant que le moteur de recherche de la NR ne vous renvoie que deux articles sur cette période. Faute de matériau correspondant à l’activité réelle de cette année, nous ne considèrons pas 2010 dans l’analyse qui suit.

Nuage de mots des 79 articles (la taille des mots est proportionnelle au nombre d’occurences)

Dans cet article, nous utilisons deux outils statistiques [3] : l’analyse de spécificité d’une part, le calcul d’arbres de cooccurrences d’autre part. Le premier permet de mettre en avant le vocabulaire qui distingue une portion du corpus (par les exemple les articles de 2011) d’une autre et ainsi de constater les constances et différences au sein de celui-ci [4]. Le second permet de visualiser la structure du corpus ou d’une de ces parties en s’intéressant aux termes cooccurrents (deux termes sont cooccurrents s’ils sont employé dans une même portion de texte) et à leur proximité dans le discours [5].

Entre agit prop et liens avec le FN : comment Vox Poupli s’est installé dans le paysage médiatique

L’arbre des similitudes suivant permet d’appréhender l’intégralité du corpus. On distingue alors plusieurs pôles qui permettent bien de voir comment Vox Populi s’est imposé dans le paysage médiatico-politique tourangeau : par l’organisation de nombreuses manifestations provocatrices d’un côté, par ses rapports avec le FN de l’autre. Le gros des articles traite ainsi des actions d’agit prop du groupuscule, ses défilés aux flambeaux et ses manifestations anti-gaypride ainsi que sa présence visible dans les manifestations contre le mariage pour tous. Un certain nombre revient sur l’opposition rencontrée à ces occasions, qu’elle prenne la forme de demandes d’interdiction formulées par certains partis politiques ou de contre-manifestations organisées par les antifascistes tourangeaux. L’autre partie des articles portent sur la place de Vox Populi dans le champ politique tourangeau c’est-à-dire essentiellement du rapprochement progressif de son leader avec le FN.

Graphe de similitude du corpus entier (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Ce constat ne surprendra pas les observateurs locaux mais amène deux informations intéressantes. Premièrement, cela confirme l’efficacité de la stratégie d’agit prop de Vox Populi : elle a permis au groupuscule d’être très présent médiatiquement pendant ses années d’activité réelle (2011, 2012 et 2013, on peut penser qu’en intégrant tous les articles publiés en 2010 la tendance serait la même). Deuxièmement, ce graphe comme la lecture des articles, met en évidence un traitement par la NR uniquement orienté sur la couverture des actions/provocations du groupe et du petit jeu politicien mais ne définissant jamais son inscription idéologique donc ne permettant pas à ses électeurs de savoir réellement de quoi Vox Populi est le nom.

L’homophobie : fond de commerce médiatique d’un Mériguet qui prend de plus en plus de place

De fait, l’analyse des articles permet d’en savoir un peu plus à ce sujet. Vox Populi déployait un discours classique de l’extrême-droite identitaire en vantant l’idée d’une France éternelle que des « enracinés » seraient seuls à défendre contre des hordes d’immigrés (et/ou musulmans) et en faisant de larges clins d’œil aux nostalgiques de l’occupation. Pourtant, malgré de nombreux happenings sur le sujet (diffusion du chant du Muezzin la nuit dans les rues de Tours, pression physique sur les défenseurs des sans-papiers du Cercle du Silence, etc.), ce n’est pas sa xénophobie qui a permis à Vox Populi de bénéficier d’un éclairage médiatique mais plutôt son homophobie.

Le graphe des similitudes montre ainsi l’orientation autour de la thématique homosexuelle (gaypride, mariage pour tous) des différents pôles de description de l’agit prop de Vox Populi. Ceci s’explique par le large traitement qu’a fait la NR des manifestations contre la Gaypride (y compris la question de leur organisation/encadrement avant et des débordements liés après). Ceci s’explique aussi par l’actualité centrale qu’a été la contestation de la loi instaurant le mariage pour tous en 2013. L’analyse du corpus montre ainsi comment l’extrême droite identitaire a été capable, en tous cas localement, de profiter des manifestations contre le mariage homosexuel pour s’offrir une exposition médiatique conséquente (c’est notamment cette année là que la NR consacre un maximum d’articles à Pierre-Louis Mériguet et ses sbires)... et parfois un traitement étonnant de la part du journal local.

Ainsi, le graphique ci-dessous montre l’évolution de la spécificité du terme « homophobe » (en gris). Il est intéressant de constater que si l’emploi du terme est récurent pour décrire la contre-Gaypride en 2011 (précisons ici qu’il est employé à la fois par les journalistes et dans les citations de militants antifascistes), l’année où il est sous-employé (par rapport aux autres) est 2013, soit l’année des grandes manifestations contre le mariage pour tous (année pendant laquelle Vox Populi, planqué sous le cache-sexe du Printemps Français, a aussi organisé sa dernière contre-Gaypride).

On ne peut conclure ici sur les raisons de cette évolution dans le traitement mais on peut quand même s’interroger sur cette banalisation alors que la doctrine du groupe n’avait pas changé. On peut toutefois proposer deux hypothèses invérifiables. Premièrement, la volonté des journalistes de la NR de ne pas associer homophobie et Manif pour tous par peur que la frange moins radicale que Vox Populi se sente flouée. Deuxièmement, l’efficacité commerciale de l’évolution de Vox Populi vers une subtilité plus grande dans le choix de ses slogans (en 2010, les autocollants contre la Gaypride annonçait « pas de défilé pour les enfilés », en 2011 la banderole de tête affichait « non à l’homofolie » et en 2013 les slogans défendaient la sacrosainte famille hétérosexuelle).

Évolution des indices de spécifité des termes « extrême-droite », « front national », « homophobe » et « Pierre-Louis Mériguet »

Sur ce même graphique, on peut voir l’évolution de la spécificité du terme « extrême droite », laquelle est nulle : le terme est employé à même proportion sur les cinq années considérées. Ce qui signifie que le terme n’est pas plus ou moins employé à mesure que les liens avec le FN — que la Nouvelle République a beaucoup de mal à qualifier d’extrême-droite — se resserrent : son emploi dans les articles sur le sujet est stable. L’utilisation du terme « front national » reflète elle très bien la montée du sujet dans les problématiques du groupuscule. En 2011, il n’est même pas question de se positionner dans le jeu électoral ; en 2012 la question commence à se poser ; elle explose en 2013 avec les discussions sur la présence de Pierre-Louis Mériguet aux élections muncipales en 2014. Malheureusement pour lui, l’affaire de la gifle à la sortie de la messe et del’agression d’un militant antifasciste l’excluent des débats. En 2014, le terme est peu représentatif à l’échelle du corpus puisque l’activité du groupuscule se limite à une tentative minable de récupération de la mort d’Hervé Gourdel et à sa dissolution. En 2015, c’est à travers la personne de Pierre-Louis Mériguet que Vox Populi et le FN sont de nouveau associés.

Logiquement dans un groupuscule aussi dépendant de son chef, la courbe de l’indice de spécificité du nom de celui-ci suit une logique elle-aussi ascendante jusqu’en 2015 où Vox Populi ne lui a pas survécu. Le nom du chefaillon est logiquement sous-représenté en 2011 puisqu’à l’époque, et avant que des militants antifascistes ne le démasquent, il intervenait grimé et sous le pseudonyme de Louis Dubois. Mériguet prend de plus en plus d’importance dans les articles à mesure que les ambitions de celui-ci ne finissent par écraser son groupuscule qu’il finit par dissoudre en 2014. L’indice de spécificité du vocabulaire montre ainsi la place croissante du leader dans les discussions autour du groupe.

Nommer les choses : pincettes et faux-semblants

Au-delà de ces commentaires globaux, nous nous sommes arrêtés sur deux mots dont l’emploi (ou le non-emploi) nous semble représentatif du traitement médiatique que la NR a réservé à Vox Populi.

Le terme raciste apparaît 8 fois dans le corpus. Il est significatif de constater qu’à une exception près (qui qualifie de racistes les propos diffusés sur le blog et les réseaux sociaux), il n’est jamais employé en propre par les journalistes. On ne le retrouve en fait que dans la retranscription des propos des mouvements politiques qui dénoncent le racisme de Vox Populi ou dans celles des dénégations du groupuscule (avec notamment le fameux slogan, non commenté, « 0% racisme, 100% identité »). Ce refus d’employer un terme qualifiant pourtant assez bien les contenus diffusés par le groupe et ses slogans de manif interroge.

Les militants locaux ont souvent reproché à la Nouvelle République de qualifier Vox Populi de groupe ou d’association « identitaire » sans jamais définir ce terme où expliquer quelle idéologie il recouvrait. Il nous a donc apparu intéressant d’observer les termes régulièrement associés à ce qualificatif. Et on constate qu’effectivement il n’est jamais associé à des termes descriptifs et notamment pas au terme « extrême-droite ». Comme si tout le monde savait situer ce terme, à la connotation pas forcément très négative, sur un échiquier idéologique ou politique. Cette volonté de non-savoir ou de non-dire interroge.

Graphe du mot « identitaire » (la taille des mots est proportionnelle au nombre d’occurences, la taille des liens au nombre d’associations)

Il est aujourd’hui fort probable que les références à Vox Populi disparaissent des articles de la NR et qu’il ne soit plus fait mention, pour qualifier Pierre-Louis Mériguet, que de sa qualité de membre du FN. L’étude que nous avons faite, résumée ici, démontre que les articles de ce journal suivent parfaitement l’actualité des groupes politiques qui savent se rendre visibles et reprennent facilement leurs éléments de langage sans les analyser ou les définir. Il est donc à craindre que l’euphémisation progressive de la radicalité de Pierre-Louis Mériguet que l’on remarque dans les articles qui lui sont consacrés se poursuive. Conformément aux directives du FN, celui-ci ne dit par exemple plus rien sur l’homosexualité ou le mariage pour tous, et la NR n’en fait pas mention. Nous signalons donc au journal, au cas où il l’aurait oublié, qu’il a en archive tout le matériau nécessaire pour rappeler, par exemple, cet aspect des engagements de Pierre-Louis Mériguet à ses lecteurs.

Ágætur Tölfræðingur

Notes

[1Caroline Devos et François Bluteau signent chacun 4 articles ; Cécile Lascève, Pascal Landré ainsi que le directeur de la publication Jacques Benzakoun sont chacun responsable de trois.

[2Notamment le très droitier adjoint au maire de Tours Thibault Coulon qui employait le slogan très classe « Pour que la Femme-Loire aille mouiller ailleurs qu’à Marmoutier » (cf. la page facebook du collectif).

[3Nous utilisons le logiciel libre Iramuteq (qui lui-même s’appuie sur le moteur de calcul statistique R) qui est spécialement conçu pour l’analyse lexicographique. Il permet d’utiliser des méthodes permettant de faire sortir différents aspects du corpus.

[4L’indice de spécificité évalue le rapport entre le nombre d’apparition d’un terme dans une partie du corpus (par exemple les articles de 2011) et la probabilité qu’il avait de s’y trouver (probabilité calculée par rapport au reste du corpus (ici la méthode probabiliste s’appuie sur la loi de Lafon). Les termes sur-employés dans une partie du corpus ont alors un indice positif. Plus celui-ci est est élevé plus le terme est spécifique. Inversement les termes sous-employés ont un indice négatif.

[5Les arbres de cooccurrences s’appuient sur la méthode statistique dite d’analyse de similitudes (Cf. L’analyse de similitude appliquée aux corpus textuels : les primaires socialistes pour l’élection présidentielle française (septembre-octobre 2011)). Ils permettent de mettre graphiquement en évidence les cooccurrences de termes (présence répétée de deux termes identiques dans une même portion de texte) donc de visualiser la structure générale du discours notamment les proximités et oppositions entre lexiques et thématiques. Formellement, la taille des caractères et proportionnelle au nombre de cooccurrence, celle des branches au nombre d’association dans un segment de texte (ici le test statistique a été effectué sur des segments de 12 et de 15 mots et seuls les résultats doublés ont été conservés).