Accueil des mineurs isolés étrangers : « On découvre le système infernal dans lequel sont abandonnés ces jeunes »

Témoignage d’une femme qui apporte son aide aux mineurs isolés étrangers qui arrivent à Tours, et qui a découvert le traitement réservé à ces adolescents souvent laissés à la rue par les autorités. « Il y a des choses que les citoyens peuvent comprendre, mais pas l’accueil réservé à ces jeunes. »

Arrivés de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Bangladesh et de tous les coins du monde… Avec des rêves et de l’espoir déjà bien loin, perdus sur les canaux de fortune des eaux internationales où dans des cellules en Libye ou Italie…

Et puis, ils arrivent à Tours… Ce sont des gamins, ils arrivent chez nous parce qu’on leur a dit qu’ici, en France, c’est le pays des droits de l’Homme…

Ils croisent alors le chemin de citoyens qui ne sont pas préparés à cela, à qui ils demandent de l’aide… Ces citoyens se renseignent… Lisent les lois… et surtout découvrent le système infernal dans lequel sont abandonnés ces jeunes…

D’abord, on croise ce jeune, qui devient plus que quelqu’un à nos yeux… C’est un ado, il est si jeune, si seul… Il impose le respect…

On est d’abord rationnels : que faut il faire ? On appelle les assos qui nous orientent vers le commissariat puis l’ASE. Optimistes, on accompagne le jeune pour que tout cela soit un tout petit peu moins lourd, on le rassure, on lui sourit… Lui fait ce qu’il peut...

Arrivés à l’ASE, un accueil plus que glacial avec une impossibilité d’obtenir des infos, telles que : doit on attendre le jeune ? Comment sait on si il est pris en charge ? Il a fallu que l’on attende dehors, en plein mois de novembre, le temps de l’entretien, entre 14h et 17h. À la fin de celui ci, la personne chargée de la prise en charge des mineurs isolés étrangers nous a indiqué le refus de prise en charge du jeune, avec pour unique conseil d’appeler le 115 grâce au papier qu’elle lui avait remis.

Cette dame nous a réservé un accueil des plus froid, sans explications alors qu’il était essentiel, selon moi d’être à l’écoute et de nous informer. Nous étions perdus sur le sujet et devions répondre aux questions du jeune, une fois l’ASE fermée… On lui devait au moins ça... Le jeune est à bout et épuisé : nuit dans la rue, commissariat, après-midi à l’ASE puis un refus de prise en charge avec remise dehors.

Nous avons, cette fois moins confiants, appelé le 115 qui nous a expliqué l’impossibilité de la prise en charge puisque le jeune est mineur… Finalement, à 17h après fermeture de l’ASE nous étions, nous, simples citoyens, sensibilisés mais peu informés, avec un jeune de 16 ans, pour lequel, l’État français et l’ASE d’Indre-et-Loire nous ont demandé de prendre la décision de le laisser ou non à la rue. Cela a changé toute notre vie de par la prise de conscience que cela a engendré. La honte de mon pays, de ma ville…

Depuis, de nombreux jeunes sont arrivés, avec leur histoire, leur rêves perdus, leur courage… Ils sont allés à l’ASE, ils ont croisés cette femme qui représentait leur dernier espoir, le peu qu’il leur reste… Ils ont raconté leur histoire… Et quelle histoire… Ils ont quitté leur pays, traversé la Méditerranée, dormi dehors ou dans des couloirs, travaillé pour aller plus loin, été battus… Pour arriver dans le bureau d’une femme, qui n’a pas eu la décence d’être au moins bienveillante, de les écouter vraiment…

Elle a même fait une faute sur le prénom du jeune sur sa lettre de refus ! Et elle décide de sa vie, de son âge, de la cohérence de son récit et de sa prise en charge…

Repères
 
La loi prévoit une prise en charge d’urgence en cas de danger sur un mineur prévu par les articles 375-3 et 375-5 du Code Civil.
 
L’article 112-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles , donne la responsabilité de cette protection aux services de l’Aide Social à l’Enfance.
 
L’article L.223-2 du CASF prévoit qu’une mise à l’abri d’urgence est obligatoire avant toute évaluation, ce qui n’a pas été fait.
 
L’article 375 du Code Civil prévoit que si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Dans les cas où le ministère public a été avisé par le président du conseil départemental, il s’assure que la situation du mineur entre dans le champ d’application de l’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles.

Il y a des choses que les citoyens peuvent comprendre… ou presque… Le manque de place pour la prise en charge, par exemple. Mais pas l’accueil réservé aux jeunes ou aux accompagnateurs à qui on demande de faire le travail de l’État…

Aujourd’hui, je lance un appel à cette dame, qui est le premier contact des jeunes avec l’État français : ayez la décence de les écouter, ne vous trompez pas sur leur prénom, informez les gens qui les accompagnent, qui ne jugent pas mais cherchent à comprendre, respectez les lois et protégez ces jeunes qui une fois que vous les avez mis dehors, pour certains des jeunes de 14 ans, dorment sur des cartons à la gare de Tours.

Je lance aussi un appel aux Tourangeaux : on a besoin de vous pour dénoncer tout cela, dénoncer l’État, la région, l’ASE... Ces jeunes, nous les côtoyons tous les jours, ils sont géniaux… Ils viennent avec plaisir aux cours de soutien, apprennent le français et nous enrichissent en tellement de points…

Il est impossible de vous expliquer le changement qu’ils ont apportés dans la vie des personnes qui ont croisé leur chemin. Nous, on les croit, on croit en eux…
Leur vie ne s’arrête pas maintenant… Elle recommence tout juste…

P.-S.

Je rappelle ici, à titre indicatif, que 60% des bébés sont enregistrés à la naissance www.unicef.fr/article/230-millions-d-enfants-n-existent-pas-officiellement