La gauche plurielle - Tragédie municipale en un acte

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Si certain·es ont regardé « l’union de la gauche » aux élections municipales de Tours comme une farce, d’autres y ont vu une tragédie. Une équipe d’apprenti·es dramaturges nous a communiqué une pièce en un acte sur ce thème. Nous la reproduisons ci-dessous.

PERSONNAGES

Jean-Patrick GILLE, ancien député de Tours, hiérarque du PS

Alain DAYAN, sbire du PS

Claude BOURDIN, ex-PS, insoumis insoumis

Pierre BITOUN, sbire insoumis

Emmanuel DENIS, écolo, agitateur citoyen

Gilles DEGUET, sbire écolo

La scène se déroule à Tours, en Indre-et-Loire, aux abords de la place Velpeau.

SCÈNE PREMIÈRE.

GILLE, DAYAN.

GILLE.

Allons, fidèle Alain, ne me fais pas languir :
À Denis et ses sbires pourrons-nous nous unir ?
L’accord que ce matin je te fis leur porter
Vers une nouvelle victoire peut-il nous mener ?
Aurons-nous donc, enfin, la victoire attendue
Contre Bouchet, Briand, et tous ces parvenus ?
Retrouverons-nous enfin les ors de la mairie
Qui nous furent volés par Serge Babary ?
Laverons-nous l’opprobre et la honte ajoutée
De la défaite ignoble qui nous fut infligée ?
Celui qui chassa Jean peu de temps s’attarda,
Avant de prestement s’installer au Sénat,
Laissant la ville aux mains d’un vulgaire promoteur
Qui, plus vieux que Dateu, pris la place d’honneur.
Il est temps cher Alain que cesse cette infamie.
Nous renvers’rons demain cette gérontocratie !

DAYAN.

Hélas ! Mon cher ami, mon cher Jean-Patoche,
Emmanuel Denis n’est pas très sympatoche.
J’ai porté la missive que tu m’avais confiée.
Il l’a ouverte, l’a lue, et il m’a ri au nez.
Ce lascar biberonné aux débats citoyens
Se prétend supérieur aux jeux politiciens.
Nous savons, toi et moi, que c’est un paravent,
Nous saurons le ramener à de bons sentiments.
Il a déjà été dans le temps notre allié,
Le goût de la victoire pourrait le faire céder.

GILLE.

Voyons, viens-en au but, dis-moi ce qui l’inquiète !
Pourquoi a-t-il rejeté si sèchement ma requête ?

DAYAN.

Écoute Jean-Patrick, on va pas se mentir,
On a quand même passé des années à trahir.
Nos tracts valent moins que du papier PQ.
On laisse derrière nous des milliers de déçus.
Ne nous étonnons pas que nos offres d’alliance
Soient reçues par Denis avec tant de méfiance.
Il ne fallait pas croire qu’il allait accepter
L’érection d’une statue de Jean Germain en pied.

GILLE.

Nous en reparlerons, fuyons mon cher ami,
J’aperçois qui arrive un duo d’insoumis.

(Ils sortent.)

SCÈNE II.

BOURDIN, BITOUN.

BITOUN.

Bande de salauds ! Crapules ! Vérolés ! Imbéciles !
Couards ! Faquins ! Brigands ! Attroupement de débiles !
Attardés ! Arrivistes ! Graines de macronistes !
Arrogants ! Cumulards ! Inutiles lampistes…

BOURDIN.

Enfin Pierre calme-toi, et vas-tu m’expliquer
Pour qui sont ces insultes que tu jettes à mes pieds ?

BITOUN.

Mais tu ne comprends pas ? Pour les Jeunes Insoumis !
Ces judas ont rallié Emmanuel Denis !
Pour moins de trente deniers, pour trois postes d’adjoints,
Cette bande d’ingrats élevés par nos soins
S’est jetée dans les bras de ce vieux rigolo
Pour qui l’écologie se résume au vélo.

BOURDIN.

C’est bien sûr regrettable, mais ne soit pas trop dur !
Moi-même je n’ai pas toujours été si pur,
J’ai été très longtemps au parti socialiste
Avant de rallier l’élan mélenchoniste.

BITOUN.

Laissons-là le passé et tes errements coupables,
Ton ralliement tardif et tes calculs minables.
Personne ne se rappelle les causes de ta rupture.
Ce qui se joue ici concerne le futur !
On dit au national que Denis peut gagner.
Et c’est l’investiture qui nous est retirée.

BOURDIN.

Comment ? Quelle imposture ! Si c’est ça c’est la fin !
Sans soutien de Jean-Luc, ça sent fort le sapin !
C’est pas le NPA et ses six militants
Qui nous feront passer la barre des dix pour cent.

BITOUN.

C’est pour ça que je râle et que je vitupère
Avec cette trahison, à tous les coups on perd.
On n’aura pas non plus l’appui des communistes :
Il n’y a rien à attendre de ces opportunistes.

BOURDIN.

Ô rage, ô désespoir, ô jeunesse ennemie...

BITOUN.

Ferme-la et partons, je vois qu’arrive Denis.

(Ils sortent.)

SCÈNE III.

DENIS, DEGUET.

DENIS.

Réjouissons-nous cher Gilles, l’affaire est excellente !
Et cela valait bien, je crois, un peu d’attente.
Toute la gauche, désormais, nous mange dans la main.

DEGUET.

Et tout ça sous couvert de projet citoyen !
Quelle idée merveilleuse que ces cogitations !
On les a tous bernés, ces crétins, ces couillons,
Ils ont cru naïvement à une alternative.
Franchement, ils sont cons à bouffer des endives !
Maint’nant soyons malins, mais aussi réalistes,
Il faut que tu t’allies au parti socialiste.

DENIS.

J’y compte bien, mon bon Gilles, et si j’ai repoussé,
C’était pour le plaisir de les faire mariner.
Depuis des mois, déjà, j’arrange ma posture
Pour préparer l’terrain à cette belle imposture.
On va pouvoir s’allier avec les socialistes
Et on va même séduire une poignée de centristes !
J’ai mis, pour tout cela, mes convictions à terre.
J’me suis même converti au tout-sécuritaire.
J’irais planter moi-même des caméras partout
Si elles peuvent garantir que j’emporte le bout !

DEGUET.

Voilà qui est très sage et au final tant pis
Si le projet qu’on sort est aussi ramolli.
L’heure n’est plus aux bagarres trop idéologiques,
Le principal étant que l’on soit pragmatique ;
La prime va seulement au meilleur gestionnaire.
Mais voilà Gille, je sors…

(Deguet sort.)

SCÈNE IV.

DENIS, GILLE.

DENIS.

Te voilà vieux compère ! 
J’ai croisé ce matin ton complice Dayan, 
Et je l’ai renvoyé comme on jette un vieux gant. 
Nous pouvons, néanmoins, convenir d’un accord.
À une seule condition : je suis seul maitre à bord.
Le PS est mourant. S’il ne veut disparaître, 
Ses derniers adhérents ne peuvent que se soumettre.
Les forces écologistes ont le zéphyr en poupe,
Vous auriez tort, ma foi, de cracher dans la soupe.
Vous êtes si habitués à faire la girouette...
Personne ne s’étonnera de cette nouvelle pirouette.
Pour reprendre la ville, je suis le mieux placé :
Europe Écologie devient la panacée !
Ton temps est révolu, fini la Germanie,
Car le nouveau patron, maintenant c’est bibi !

GILLE.

Je dois le reconnaître, l’heure t’est favorable.
Tout le monde réclame du développement durable.
Grimé parfois en Trump, vêtu parfois en vache,
Par ces petites actions menées sans grand panache,
Tu as su attirer pour faire bloc avec toi,
Tous les admirateurs de la jeune Greta. 
Aéroport, bitume, tout ça n’fait plus rêver,
Les Tourangeaux demandent des petits maraîchers !
C’est bien toi le plus fort, tu brasses dans l’air du temps,
Et tu sais qu’au PS, on suit le sens du vent.
Des virages Nascar aux marches pour le Climat,
Tu sus créer l’élan propice autour de toi. 
Je viens donc sans malice t’offrir notre soutien
Pour que tu sois, de Tours, le premier citoyen.
Et sans te reprocher nos disputes de naguère,
Je serai le dossier de ton fauteuil de maire. 
Tu auras toute la gloire, la télé, les journaux,
Des articles élogieux pour le maire écolo. 
Je vois déjà Libé : « Un nouvel Eric Piolle ! »
Et pendant que, dans Tours, tu feras le mariolle,
Pendant que tu plant’ras partout des voies vélo,
Mini forêts urbaines, et plateaux cantines bio,
Que tu peindras en vert parkings et Hiltons,
Offrant paniers d’AMAP, prônant référendums,
Laisse donc au vieux comptable, au triste Jean-Patrick,
Tous les bilans comptables et les services techniques.
Car là-bas tout est gris... Laisse donc sur nos épaules
La charge ingrate et lourde qu’est notre métropole.
Garde tous les honneurs ! Pour le reste, délègue...

DENIS.

Je te vois bien venir, t’es pas finaud Jipègue !
Franchement, vu ton passif, tu rêves un peu trop haut.
Il est hors de question que j’te file la Métro. 
Toutefois je dois dire que j’n’ai pas l’ambition
À Philippe Briand, de servir de bouffon.
Du grand périurbain, n’attendons nulle victoire,
Il faut être réaliste, nous sommes en Indre-et-Loire !
Et les conservateurs, riches et décrépis,
Méprisent le vélo et préfèrent leur Audi.
Le patron de Citya pourrait donc rempiler, 
À moins que ses casseroles le fassent enfin tomber.
Contentons-nous de Tours...

GILLE.

Ce sera déjà pas mal !
Et il faut pour cela un accord minimal. 
Je suis prêt, si tu veux, à enfin m’effacer,
À prendre une place qu’hier j’aurais sûrement reniée.
Mais si je suis cinquième, il te faut pour binôme
Ma nouvelle complice, une tout à fait chouette môme
Qui siège à mes côtés au conseil régional 
Et qui, sans faire un taf franchement phénoménal,
Donnera à notre alliance un air de mixité 
Que l’air du temps exige. Satané parité ! 

DENIS.

J’étais déjà allié à Cathy Savourey 
Mais je dois reconnaître : personne ne sait qui c’est.
Après tout pourquoi pas une seconde Cathy ?
Ça changera un peu des vieux mâles décatis.

GILLE.

Si pour Tours Métropole il nous faut renoncer
Puisqu’on n’convraincra pas les banlieusards rentiers,
Quand c’est perdu d’avance, faisons comme d’habitude :
Envoyons une femme ! L’échec sera moins rude.

DENIS.

Cet accord me paraît assez satisfaisant :
Face à la droite locale et tous ses intrigants,
On arrive à construire une gauche plurielle
Qui me couronne alors comme homme providentiel.
Les roues de mon vélo, libres de tout bâton,
Propulsées par le vent et les cogitations, 
Bardées d’autocollants, PS ou Insoumis,
Par la voie verte express me mènent à la mairie ! 

SCÈNE V.

DENIS, GILLE, DAYAN, DEGUET.

GILLES.

Réjouissons-nous, amis, notre victoire est proche, 
Vu comme la droite est nulle, franch’ment c’est dans la poche !
Je me charge de rallier nos amis communistes.
Ça fait près de trente ans qu’ils se collent à nos listes.
Malgré notre passif de pratiques dégueulasses,
Ils rappliquent toujours pour prendre quelques places.
Il faut leur reconnaître, à ces rouges anémiques :
Ils sont passés experts en realpolitik.
Ce ralliement tardif finira d’asphyxier
Les espoirs de Bourdin et de ses associés.

DEGUET.

Une crainte pourtant…

DAYAN.

Qu’est-ce qui te préoccupe ?

DEGUET.

Que d’un tel ralliement nous ne soyons les dupes. 
La droite aura beau jeu, si nous faisons ce choix,
De réveiller les peurs de tous les vieux bourgeois ;
D’affirmer que bientôt, Tours sera un goulag ;
Que l’URSS [1] interviendra comme elle le fit à Prague ;
Et que si nous gagnons au terme de la bataille
On verra débarquer des chars russes sur le mail.
Ils vont ressusciter le fantôme inquiétant
Du bolchévique armé d’une lame entre les dents.

GILLE.

Allons, c’est ridicule, et cette propagande
Ne s’ra pas de nature à nuire à notre bande.
Tout l’monde sait combien nous sommes inoffensifs,
Et que notre programme n’a rien de subversif.
On pourrait même jurer, comme l’ancien trotskyste,
Que tout notre projet n’a rien de socialiste. 
Mais j’entends une rumeur devant l’école, au loin...

DEGUET.

Il semble qu’il s’agit de Bitoun et Bourdin.
Lâchés par leur parti, proches du désespoir,
Ils veulent malgré tout atteindre l’isoloir. 
Ils cherchent absolument leurs derniers colistiers 
Et racolent à tout va : écoles, collèges, lycées.
Presque toute la liste dans l’éduc’ nationale...
Sans vouloir me moquer, c’est caricatural. 

DENIS.

Laissons-là ces fâcheux et célébrons plutôt
Cette nouvelle alliance des rouges aux écolos.
Nous allons assouvir nos rêves de conquête.
On craignait disparaître : nous voilà à la fête ! 
Préparons à la ville des lendemains qui chantent :
On reprend le pouvoir ! Perspective enivrante.

SCÈNE VI.

DENIS, GILLE, DAYAN, DEGUET, LA STATUE DE JEAN ROYER.

(Au fil de leur discussion, nos protagonistes sont arrivés place de la Liberté, au pied de la statue de Jean Royer, qui soudain s’éveille.)

LA STATUE DE JEAN ROYER.

Immondes scélérats ! Méprisable canaille !
Je n’veux plus voir ma ville aux mains de la racaille !
Déjà quand j’ai laissé les rênes à Jean Germain
J’ai vu Tours dériver vers un triste destin,
Et tout ce qu’on retient de l’édile suicidé
C’est qu’il mariait des couples de Chinois par milliers !
Vous ne passerez pas ! Parole de Jeannot !
Je vous ferais bannir comme j’ai banni l’porno !
Je ferai choir sur vous l’ire de Saint Martin !
Bouchet doit l’emporter, même si c’est un crétin !

(Le ciel s’ouvre. La foudre s’abat sur nos quatre compères qui s’écroulent, terrassés.)




Notes

[1Prononcez « urse » comme votre vieil oncle quand vous jouez au Trivial Pursuit.