« Te plains pas, c’est pas l’usine » : travail associatif, contrats aidés et services civiques

|

Dans « Te plains pas, c’est pas l’usine. L’exploitation en milieu associatif », Lily Zalzett et Stella Fihn, deux salariées du secteur, proposent une analyse du travail dans les associations, et offrent des pistes de réflexion et d’action pour lutter contre « l’idéologie du dévouement ».

Le secteur associatif emploie en France 1,8 million de personnes, et il a bonne presse. Quand on travaille dans une association, on est censé y trouver du sens, on est censé être en adéquation avec des valeurs et non avec une logique de profit. Faire corps avec son boulot : une chance inestimable ?

À rebours de cette image, ce livre rend compte de modalités d’exploitation insidieuses, dissimulées derrière l’idéologie du civisme et de l’engagement associatif : rapports hiérarchiques brutaux, chantage à la responsabilité, injonction permanente à ne pas compter ses heures, utilisation sans mesure du bénévolat et des services civiques. Nous reproduisons ci-dessous un passage consacré aux contrats aidés et services civiques.

Contrats aidés et services civiques

Les associations, sommées d’être compétitives, sont logiquement amenées à répercuter la précarité sur leurs salarié.e.s. Car réduire les coûts, en général, cela veut dire comme dans le secteur privé s’attaquer à la seule réelle variable possible  : les travailleurs. Comment les associations sont amenées à faire travailler leur main-d’œuvre plus pour moins cher, c’est ce qu’on va voir maintenant.

Le secteur associatif emploie, on l’a dit, beaucoup moins de contrats à durée indéterminée (CDI) que la moyenne, et cette proportion ne progresse pas  : en 2018, seuls 28 % des embauches se faisaient en CDI – contre 52 % dans le privé hors associations [1]. Le recours au temps partiel et aux statuts précaires est également plus important dans l’associatif que dans le privé lucratif  : en 2011, on comptabilisait dans l’associatif 45 % de contrats «  atypiques [2] ».

Dans ce paysage général, une variable importante est constituée par les contrats aidés. Ces dispositifs, apparus en 1977 en vue de combattre le chômage, permettent à des structures de faire financer par l’État une partie importante (mais changeante) du salaire d’un employé. Ils sont massivement utilisés par les associations. Mais les modalités d’attribution et les enveloppes allouées sont terriblement instables. Les contrats aidés connaissent un boom à la fin des années 1990 avec les «  emplois jeunes  » lancés par Jospin  ; puis leur nombre diminue, remonte avec la crise de la fin des années 2000, baisse à nouveau ces dernières années… Intitulés, modalités d’attribution et niveau de financement changent tout le temps. Le nombre de travailleurs en emploi aidé dans les associations ne cesse ainsi de faire du yo-yo au gré des annonces gouvernementales  ; mais cette modalité d’embauche demeure malgré tout au cœur des variables financières des associations.

Voici quelques-uns des contrats aidés actuellement en usage dans les associations  :

– Les CUI-CAE (Contrats uniques d’insertion, Contrats d’aide à l’emploi)  : en 2017 et 2018, il y a eu des remous autour de leur suppression – on y reviendra. Ils n’ont finalement pas été supprimés, mais réduits drastiquement, et progressivement remplacés par un dispositif approchant. Les CUI-CAE ne sont pas des emplois mais une aide accordée à un employeur pour 26 heures hebdomadaires d’un emploi. Le pourcentage de l’aide dépend de plusieurs facteurs  : la situation de la personne employée (RSA, chômeur.se longue durée…), son lieu d’habitation, son âge. L’enveloppe peut aller jusqu’à 90 % de 26 heures. Le CUI-CAE peut durer un an et il est renouvelable une fois.

– Les PEC (Parcours emploi compétences)  : en 2018, ils ont partiellement remplacé les CUI-CAE. Les PEC sont censés s’adresser à des personnes moins diplômées, en difficulté dans l’accès à l’emploi. L’enveloppe budgétaire est moindre (60 % sur 26 heures), et ce type de contrat est assorti d’un «  accompagnement  » plus fort par Pôle emploi, supposé garantir l’insertion et la formation professionnelles de la personne employée. Ces mesures de surveillance garantissent surtout l’adaptabilité aux besoins de l’emploi. Le PEC peut durer un an et il est lui aussi renouvelable une fois.

– Les «  emplois francs  »  : ils consistent à apporter une aide financière conséquente à une entreprise ou à une association qui recrute un jeune issu de quartiers prioritaires. Suite à des émeutes en 2012 à Amiens, l’État crée ce dispositif pour calmer la colère avec une promesse d’emplois. Ce dispositif avait été presque oublié, mais il est actuellement relancé par le gouvernement suite à la diminution du dispositif CUI-CAE.

– Les «  emplois d’avenir  »  : ils sont réservés aux jeunes de moins de 25 ans, suivis par la mission locale. Ils sont théoriquement destinés à des personnes peu diplômées et sont dans la pratique souvent le premier emploi d’une personne au sein de l’association. Une enveloppe budgétaire est attribuée à l’association, en contrepartie la personne qui est en emploi d’avenir doit obligatoirement être formée. La durée du contrat est de 24 mois. En 2019, cette forme d’emplois aidés est en train de disparaître complètement  : les contrats en cours sont encore aidés par l’État, mais aucun nouveau contrat n’est signé.

Aucun de ces contrats, pourtant tous limités dans le temps, ne permet de toucher la prime de précarité normalement due à la fin de tout CDD classique. Ils sont pourtant très précaires, sous-payés (le SMIC est un must) et ne sont presque jamais des pleins-temps.

Il faut ajouter à ce tableau l’usage massif fait par le secteur associatif de certains types de conventions qui ne sont pas des contrats de travail. Le statut d’auto-entrepreneur en fait partie. Comme dans beaucoup de secteurs aujourd’hui, les structures demandent aux personnes qui postulent de se déclarer en tant qu’auto-entrepreneur. Ainsi, elles payent moins de cotisations sociales et n’ont aucune contrainte en ce qui concerne les travailleurs et les travailleuses  : ceux-ci ne sont même pas officiellement des salarié.e.s, il est possible de les «  virer  » sans préavis, la «  flexibilité  » de leur statut permettant de répondre le mieux possible aux contraintes économiques et aux besoins du marché.

Viennent enfin s’ajouter les multiples formes de volontariat ou de bénévolat plus ou moins gratifié. Le dispositif le plus fréquemment utilisé est le Service civique volontaire (SCV)  : il s’agit d’un volontariat associatif, destiné aux personnes de moins de 25 ans. Elles doivent effectuer pour une durée de 6 mois à 1 an une mission dans une association ou dans un service public (il y a des services civiques dans les CAF, les Pôles emploi, les préfectures…). Dans les textes, cette mission doit être définie avec le volontaire, et ne peut pas remplacer un emploi salarié. L’indemnité est de 472 euros par mois, assortie éventuellement d’une bourse sur critères sociaux.

Il est intéressant de noter que lorsque la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a annoncé la quasi-suppression des contrats aidés en 2017, elle a suggéré aux employeurs qui seraient mis en difficulté par la suppression des aides de se tourner vers le Service civique. On voit bien ici que la distinction entre le salariat et le volontariat est une barrière très imaginaire. Mis à part le salaire, tout est semblable  : la charge de travail, la nature du travail… Les conditions de précarité sont simplement encore plus fortes, et la rémunération quasiment symbolique. De fait, le nombre de Services civiques dans les associations ne cesse d’augmenter  : en 2016, ce sont presque 100 000 personnes de moins de 25 ans qui sont passées par là. C’est trois fois plus qu’en 2013.

Depuis 2019, dernier en date dans le panel des formes de travail associatif non rémunéré, le Service national universel. Ce nouveau service militaire, encadré par l’armée et par des associations, comprend une phase dite «  d’engagement associatif  », permettant la mise à disposition pour les associations qui participent au programme de centaines de «  bénévoles  » contraints  : aucune rémunération, un encadrement militaire et un contrôle accru des jeunes – et au passage une petite page de publicité pour l’État et sa capacité à faire «  vivre ensemble  » toute une classe d’âge. Et de la main-d’œuvre complètement gratuite.

On a devant les yeux une mosaïque complexe d’emplois, de sigles, de dispositifs éphémères, qui durent le temps d’une annonce ou le temps de combler un manque précis. Mais, derrière les sigles, il y a des gens qui subissent cette avalanche de contrats.


Lily Zalzett et Stella Fihn, « Te plains pas, c’est pas l’usine » L’exploitation en milieu associatif, Niet ! Éditions, 7 euros.

Créée début 2016, Niet ! Éditions est une structure éditoriale basée sur une organisation collective, avec des objectifs clairs : proposer, dans une perspective de lutte de classes, une diffusion large des idées et des pratiques anti-autoritaires et anti-patriarcales, et développer un outil collectif en lien avec les luttes. Cliquer ici pour accéder au site.

Notes

[1Voir le rapport «  La France associative en mouvement  »

[2Simon Cottin-Marx, «  Précarité et monde associatif  », Mouvements, décembre 2011.