Le POLAU, jamais en reste lorsqu’il s’agit de mettre en avant l’aspect populaire d’une démarche élitiste, présente Nicolas Simarik comme un artiste engagé dont le « terrain de prédilection est une bataille artistique pour l’accès à la culture » [2]. Mais le choix de la méthode retenue pour « Sanitas en objets » (organiser la résidence d’un artiste officiel plutôt que de valoriser les productions existantes localement) et le contenu des objets produits traduisent surtout un certain mépris du peuple et de ses lieux de vie.
Nicolas Simarik, artiste engagé (c’est lui qui le dit) !
Pour réaliser cette entreprise, la ville de Tours et le POLAU ont trouvé en Nicolas Simarik le candidat idéal. Il faut dire que son travail artistique s’inscrit visiblement, comme en témoigne son ancien site Internet, dans une démarche de subversion à long terme du monde de l’art et ses partenaires économiques. Ainsi, en 2000, il réalise une « performance » consistant à « convaincre des grandes entreprises du privé et du public qui possèdent des uniformes de travail qu’en tant qu’artiste, j’ai le droit de les revêtir ». Merci à lui d’avoir pensé à revendiquer ce droit, sans doute pour dénoncer les conditions de travail difficiles de certaines professions...
La même année et toujours dans la perspective de participer au changement social, Nicolas Simarik se proposait, au cours d’une nouvelle performance, de « remplacer des chefs d’entreprise en leur faisant signer un contrat d’embauche à durée très limitée pour artiste vacataire. Après le contrat signé, le directeur fait une photo de l’artiste à sa place ». Un an plus tard, il remettait le couvert dans une œuvre intitulée « artiste engagé » (sic !) consistant en une « succession de serrage de main par des directeurs d’entreprise qui me disent en regardant la caméra : "Félicitations M.SIMARIK, je vous engage." ». Après de telles démonstrations de bonne volonté, il était sans doute clair pour la mairie et le POLAU que Nicolas Simarik ne ferait pas un usage inapproprié des subsides qui lui sont confiées dans le cadre de « Sanitas en objets ».
Des « objets identitaires » pour accompagner le quartier
Le projet de Nicolas Simarik lors de sa résidence au Sanitas ? Il le dit dans une vidéo d’une qualité remarquable (témoignant sans doute assez bien de l’engagement que met ce monsieur à réaliser un travail de qualité sur ce projet largement subventionné) où il se filme lui-même dans la voiture-bar d’un TGV Paris-Lille : « créer les futurs objets identitaires du quartier, qui est un quartier qui a une cinquantaine d’années, un quartier d’habitat sensible, un quartier d’immeubles ». Il considère que le quartier « deviendra un quartier patrimoine historique(sic !) dans quelques années » et se donne donc pour mission d’écrire dès aujourd’hui les lettres de gloire d’un lieu malheureusement pas encore assez noble pour pouvoir prétendre faire partie de l’histoire de la ville… Nicolas Simarik fait donc de son mieux pour amener de la culture dans un quartier qui en est évidemment dépourvu.
Il y a dans cette démarche comme un relent de néocolonialisme où le grand artiste vient, dans un élan de bonté, apporter l’ouverture vers le monde de l’art à des indigènes dont l’horizon se limitait jusque là à de barbares formes d’expression comme le rap ou le graf’… Heureusement, Nicolas Simarik est là pour faire pénétrer les habitants du Sanitas dans l’univers artistique avec un grand A. Bien sûr, tout cela se réalise sous couvert de démocratisation de la culture. Sur le site du projet, on apprend que l’artiste « s’empare du présent pour le restituer selon des critères bien personnels : l’humour, la simplicité, l’évidence ou encore la critique de notre société » [3]. On s’attend donc à ce que la société en prenne pour son grade et à ce que les objets dénoncent avec vigueur (mais humour) les problèmes qui touchent le Sanitas. On ne va pas être déçu…
Une passerelle trompe l’œil et un dessous-de-plat « kebab » comme symboles du Sanitas
L’objectif de « Sanitas en objets » est donc de résumer l’identité du quartier en un certains nombres d’objets design commercialisables. Le principe est à peu près toujours le même : réaliser avec des habitants du quartier (on ne sait pas vraiment qui ils sont puisqu’ils n’apparaissent vraiment jamais dans la présentation des réalisations) des motifs que l’on viendra coller sur des objets quelconques auxquels on accolera alors le préfixe « sani ». A défaut de tous les décrypter, revenons sur les plus intéressants d’entre eux.
Le premier objet proposé a été la Sanitasse, qui comme son nom l’indique est une tasse… qui, c’est d’un goût exquis, change de couleur lorsqu’on y verse de l’eau chaude. Initialement noire, son vernis s’estompe alors pour laisser apparaître la reproduction d’une façade d’un immeuble du quartier. On imagine qu’il s’agit là d’une métaphore dénonçant la volonté de la mairie d’effacer progressivement ces inesthétiques façades, et on se demande si Jean Germain boit désormais son café froid pour être sûr de ne pas avoir apparaître par mégarde une barre d’immeubles au milieu de son petit déjeuner… Nicolas Simarik a effectivement beaucoup d’humour. Que les craintifs se rassurent, les façades représentées sont vierges de toutes présences humaines et nul habitant ne va surgir de votre tasse au moment où vous y verserez votre thé.
S’attaquant avec vigueur aux problèmes qui concernent les habitants du Sanitas, Nicolas Simarik ne pouvait ignorer la passerelle Fournier… L’artiste précise dans sa vidéo que la passerelle relie « Saint-Pierre-des-Corps et Tours », démontrant ainsi sa parfaite connaissance des lieux et son intégration réussie au quartier [4]. A défaut de la revoir en profondeur ou de commercialiser un système permettant aux poussettes ou aux vélos de l’emprunter, il nous offre (enfin nous vend : édition limitée à 3000 exemplaires) un cabas imprimé avec les motifs de la passerelle. Lorsqu’on l’emprunte on peut alors jouer à faire disparaître le sac grâce à ce magnifique trompe l’œil… trompe l’œil comme la pseudo oreille que tendent les pouvoirs publics aux revendications des habitants de Velpeau et du Sanitas d’améliorer l’accessibilité de la passerelle ? On vient de trouver la seconde trace de l’humour dénonciateur de Nicolas Simarik.
Le sanishirt et la sanisoie (une écharpe) reprennent un même motif qui se compose des noms de quartiers, situés dans d’autres départements, présentés par Nicolas Simarik comme « similaires au Sanitas (…) quartiers CUCS, quartiers ZUP, quartiers ZEP », bref « des quartiers sensibles ». On imagine qu’aux yeux de l’artiste c’est dans cette sensibilité que se trouve l’identité du quartier, une identité qui serait tellement forte que d’autres lui seraient « similaires ». On comprend aussi qu’en tant que quartier sensible, le Sanitas trouve plus facilement sa place dans un groupe de quartiers de grands ensembles que dans un autre qui contiendrait aussi les noms de Prébendes, Velpeau ou Febvotte… on ne mélange pas les torchons avec les serviettes ! A ce propos, signalons à Nicolas Simarik que le rond de serviette manque cruellement à sa collection ; on propose un motif à base de digicodes pour rendre hommage à ceux installés récemment dans le cadre de la politique de résidentialisation du quartier.
Le mépris caricatural des habitants du quartier atteint son paroxysme avec le « saniplat », un dessous-de-plat composé de lettres en aluminium formant le mot kebab. L’artiste précise que l’objet a été conçu par des enfants du quartier « entre 8 et 12 ans ». Attention, édition limitée à 100 exemplaires ! On ne s’étendra pas sur tous les sous-entendus que peut contenir une telle « œuvre » ou sur ce que résumer un quartier entier de la sorte signifie… Sur le site du projet, on apprend juste que Nicolas Simarik est « engagé à lutter contre l’inégalité de manière artistique, il remue les préjugés et invite la population à le rejoindre dans l’élaboration de ses stratagèmes artistiques, pour cumuler les forces d’analyses et suggérer la convivialité ». On ne doute pas une seconde qu’avec de telles réalisations les préjugés sont effectivement battus en brèche !
Vade retro sanitasse !
L’art officiel est une des armes les plus efficaces en termes de domination. Il permet d’imposer à l’autre ses goûts, ses préférences et permet aux dominants d’assoir leur domination sur une base symbolique. Sous couvert de démocratisation de la culture, nombreuses sont les politiques à destination des classes populaires qui viennent ainsi édicter les « bonnes » pratiques culturelles, c’est-à-dire celles qui sont proposées et validées par le pouvoir en place, et exclure de ce fait toutes celles qui sont pensées et réalisées par et pour le bas peuple. Il est certain qu’employer un artiste en résidence est moins risqué pour une mairie que de favoriser et de valoriser l’expression libre de ses habitants.
Il est symptomatique que, dans une ville dirigée par un maire issu d’un parti politique donc la figure de référence est progressivement passée de l’ouvrier à l’artiste, une initiative telle que « Sanitas en objets » se déroule dans le dernier quartier populaire du centre-ville. Elle n’aurait de toute façon pu se tenir ailleurs puisqu’il n’y a que dans les quartiers populaires que l’on ressent le besoin d’aller éduquer les populations à l’art et qu’on peut se permettre d’afficher aussi ouvertement le mépris de ceux qui y vivent. Qui imaginerait ainsi pareille démarche aux Prébendes ou dans le Vieux-Tours ? Se présentant comme le fruit d’une démarche participative, les Sanitasses et autres dérivés n’ont pour but que d’imposer une vision de la culture, la vraie, celle qui vient d’en haut, de réduire l’identité du Sanitas et de ses habitants à quelques gimmicks caricaturaux et de masquer des enjeux qui, s’ils n’ont pas le glamour d’un objet design, n’en sont pour autant pas moins criants.
Antoine Marcireau