Mort d’Angelo Garand : « L’État français doit être condamné pour le manquement de la justice »

|

Le samedi 27 juin 2020, une marche était organisée à Blois par la famille d’Angelo Garand, tué par les hommes du GIGN à Seur en mars 2017. Quelques jours plus tôt, ses proches avaient appris que le recours formé contre la décision de non-lieu qui innocentait les tueurs ne serait pas examiné par la cour de cassation. Lors de la prise de parole qui a précédé la marche, Aurélie Garand, sœur d’Angelo, a retracé le combat judiciaire de la famille et a annoncé sa décision d’aller devant la Cour européenne des droits de l’homme pour obtenir la condamnation de l’État français. Retranscription.

Bonjour à tous. Merci d’être là aujourd’hui, pour Angelo et pour toutes les victimes. Il va y avoir plusieurs prises de parole de familles de victimes, surtout de sœurs. On est là pour Angelo, et pour dénoncer tout ce qu’on a subi judiciairement depuis trois ans. Après la mort d’Angelo, on a entamé un combat judiciaire ; trois ans et trois mois plus tard, c’est fini pour nous en France.

Angelo a été tué le 30 mars 2017, alors qu’il venait manger chez mes parents. À 13 heures, le GIGN débarque chez nous, met toute ma famille à terre, menottés dans le dos, mitraillettes sur la tempe. Il y avait mon fils de trois ans. Angelo s’est juste caché dans une petite remise. Angelo s’est caché entre quatre murs, parce qu’il ne voulait pas retourner en prison. Ils ont tout fouillé, ils ont malmené ma famille, ils étaient prêts à repartir, quand Angelo a fait un petit bruit dans la remise. Et là, cinq hommes du GIGN se sont précipités dans la remise et ont abattu mon frère, sans sommation. Il y avait mon père à cinq mètres, il n’a rien entendu à part le dernier souffle de son fils.

On s’est aussitôt constitué parties civiles. On a eu accès au dossier un mois et dix jours après. Là on a appris qu’Angelo avait reçu cinq balles, cinq balles tirées dans le torse, cinq balles tirées dans les organes vitaux : cœur, foie, poumons, reins. Mon frère a été abattu comme un chien. Pour nous, c’est rien d’autre qu’une exécution. Six mois après, la juge d’instruction a décidé d’elle-même de se déplacer sur les lieux, et elle a fait sommer les gendarmes dans la remise. Elle a bien vu que s’il y avait eu des sommations, toute la famille aurait entendu. L’après-midi, elle a auditionné les tueurs, et aussitôt elle les a mis en examen. Les deux tueurs d’Angelo ont été mis en examen pour violences volontaires avec armes ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Janvier 2018, fin de l’instruction. Octobre 2018, premier non lieu. Ce non-lieu a été prononcé par une nouvelle juge qui avait été nommée durant l’été. On n’avait pas été avertis, on nous a changés de juge ; la première juge d’instruction les avait mis en examen.On a aussitôt fait appel. Et en février 2019, la cour d’appel d’Orléans a confirmé le non-lieu. Mais la mort d’Angelo, c’est pas un fait divers, c’est un fait politique, ça vous regarde tous. Parce que le non-lieu confirmé par la cour d’appel, c’est l’article de loi L435-1 [du Code de la sécurité intérieure] qui a été appliqué pour la première fois sur mon frère. C’est un permis de tuer accordé aux forces de l’ordre.

Alors bien sûr, c’était le GIGN, c’est des gendarmes, ils bénéficiaient déjà de cette légitime défense. Mais cette loi est un véritable permis de tuer : au bout de deux sommations, on peut vous abattre d’une balle dans le dos. Les gendarmes, les policiers, jusqu’aux douaniers...

On ne s’est pas laissé faire. On a porté un pourvoi à la cour de cassation. La cour de cassation, ils regardent sur la forme, pas sur les faits. Les faits... Tout le dossier d’Angelo... Des billes, on en avait, pour un procès. Le 4 juin s’est déroulé l’audience. On s’est rendus dans cette salle d’audience, ça a duré deux minutes. Deux minutes pour rappeler le casier judiciaire d’Angelo, qu’il était violent envers les personnes dépositaires de l’autorité publique. Car ceux qui ont tué mon frère, ils ont osé porter plainte contre lui. C’est lui qui est mort, et on porte plainte contre lui, parce qu’ils disent qu’Angelo les aurait malmené. Angelo aurait résisté à tout : il aurait résisté à deux coups de Taser, il aurait brandi un couteau devant cinq hommes du GIGN, en en malmenant un par le cou, il aurait résisté aux quatre balles, et il aurait fallu la cinquième balle dans le foie pour qu’il tombe par terre. Qui peut croire ça ? Personne ! Tout le monde sait que c’est une exécution.

Le 4 juin, devant la cour, exceptionnellement, les magistrats ont demandé si quelqu’un voulait prendre la parole. J’ai pris la parole. Pour mon frère, mais aussi pour dénoncer cet article de loi qu’ils appliquent pour la première fois sur mon frère, le L435-1. Je leur ai dit, aux magistrats : si la justice veut appliquer un tel article de loi, qu’elle le fasse. Y a pas de souci. Mais dans un procès public ! On doit en débattre publiquement, de ces affaires de crime. C’est tout ce qu’on demande. La moindre des choses, c’était un procès.

On m’a laissé la parole, ça a duré deux minutes, mais je leur ai dit tout ce que j’avais sur le cœur, et l’importance de cet article de loi. A la fin de ma prise de parole, le magistrat m’a dit : « Le 17 juin vous aurez le rendu ». Aussitôt je me suis renseigné pour savoir comment on allait apprendre ce rendu le 17 juin, parce qu’on voulait faire quelque chose. Et on a appris par notre avocate, qui a téléphone au greffe, qu’on nous rendrait cette décision le 2 septembre. Mais finalement, on s’est moqué de nous, ils nous ont baladé : ils ont rendu leur décision le 17. Ce n’est même pas une confirmation du non-lieu, c’est une non-admission du pourvoi. S’ils avaient admis ce pourvoi, ils auraient été obligé de l’étudier, et de motiver le rejet. Pourquoi ils n’ont pas fait ça ? Parce qu’ils ne veulent pas laisser de trace. Des billes, y en avait. Des choses à dire, y en avait. Des incohérences, y en avait, entre leurs mensonges, les expertises balistiques, les témoignages de ma famille. Rien que le corps d’Angelo... Cinq balles... La première lui a transpercé le cœur, et ils ont osé dire que mon frère aurait résisté à tout.

On doit se battre. Aujourd’hui on marche pour Angelo. On ira à la Cour européenne des droits de l’Homme, parce que l’État français doit être condamné pour le manquement de la justice.

La justice, depuis le début, on n’y a jamais cru. À nous, on veut nous faire croire à la justice ? Nous qui avons toujours été accusés, condamnés à tort, pour rien, pour des délits mineurs, on voulait nous faire croire à la justice ? On n’y a jamais cru, à la justice ! Tout ce qu’on voulait, c’était un procès. À l’heure actuelle, les tueurs d’Angelo ne répondront jamais de leurs mensonges. Mais on attaquera l’État, et on continuera à lutter. Pour le droit à la vie de chacun. Parce que cet article de loi, c’est un scandale. C’est une honte. Et on doit tous se lever contre cet article de loi. Parce que cet article de loi les autorise à tuer.

La mort d’Angelo, c’est une exécution légale. Une exécution légale dans le pays des droits de l’Homme. La honte. J’ai honte pour eux. J’ai honte. Angelo n’avait que 37 ans. Il avait trois enfants. Ça fait trois ans et trois mois qu’on se bat pour lui, mais on se battra jusqu’à notre dernier souffle. Parce que chaque jour, je me dis : « Qu’est-ce que j’aurais pu vivre avec mon frère encore ? Qu’est-ce qu’on avait tous besoin de lui encore ! » Mais ils l’ont tué. Et ça, on ne leur pardonnera jamais. Et on se battra contre ce système inégal. On continuera. On sait qu’on n’est pas égaux face à eux, mais jamais on ne se couchera, jamais on ne se mettra par terre. Et toujours le poing levé, on le dira que c’est une exécution. Et le nom d’Angelo résonnera jusqu’à notre dernier souffle.

Des exécutions légales dans le pays des droits de l’Homme, retenez ça. Si on n’est pas capables de se rebeller face à ça, qu’est-ce qu’elle vaut, notre vie ? Rien. Battons-nous !


Cette prise de parole a été suivie par une intervention de Ramata Dieng, sœur de Lamine Dieng, tué par la police en juin 2007 [1], puis par une intervention d’Awa Gueye, sœur de Babacar Gueye, tué par la police en décembre 2015 [2], enfin par une intervention de Yamina, la sœur de Mehdi, tué par la police en décembre 2016 [3]. La marche s’est ensuite élancée dans les rues de Blois pour rejoindre le palais de justice. Elle a été ponctuée d’autres prises de paroles, comme celle d’un représentant du collectif Désarmons-les, ou celle d’Anina Ciuciu, avocate et militante pour les droits des Roms.

Photo : ©LaMeute - Jaya / éditing - Graine. Lire le reportage publié par La Meute : « La mort d’Angelo c’est une exécution légale au pays des droits de l’homme » - Un procès pour Angelo – Marche du 27 juin 2020.