Renouvellement urbain au Sanitas : « On veut nous balayer de la carte »

Le 11 mai 2017, la mairie de Tours a dévoilé publiquement son projet de « rénovation urbaine » pour le quartier du Sanitas, avec dans les cartons la destruction de 430 logements sociaux. Parmi les immeubles qui doivent être détruits, il y a celui où vit Audrey [1], une habitante indignée qui voit dans le projet une volonté de chasser la population de ce quartier populaire. Entretien.

Depuis combien de temps vis-tu dans le quartier ?

Cela fait plus de 20 ans que je vis dans mon appartement. Je suis arrivée ici après avoir patienté deux ans dans une maison maternelle, avec ma fille d’un an, à la suite d’un parcours assez chaotique. J’ai fait des démarches pour avoir un logement social, et j’ai attendu longtemps sans rien voir venir, jusqu’au jour où un cousin est allé rencontrer un adjoint de la mairie : quinze jours plus tard, j’obtenais cet appartement, qui était inoccupé depuis deux ans.

Au début, ce que j’aimais dans ce quartier, c’était la convivialité entre tous, et cette fameuse mixité sociale dont on parle tous. Maintenant, c’est plus pareil. Il y avait une infirmière au quatrième, une nourrice au deuxième, un chômeur au rez-de-chaussée… C’était ça la mixité sociale. Des étudiants, des personnes âgées, des personnes handicapées ou valides. C’était comme une grosse salade de fruit, généreuse. Mais aujourd’hui, les gens ne restent pas dans le quartier, on n’a pas le temps de se connaître, les gens se replient sur eux-mêmes.

Je ne fais plus du tout confiance à Tours Habitat — le bailleur social. Ils nous ont laissés à l’abandon. Pour eux, on est comme du bétail, qui paye son loyer et basta. Avant, quand on appelait pour une réparation, quelqu’un venait. C’était rassurant pour les gens. Maintenant, c’est : « Débrouillez-vous ! ». C’est comme ça depuis des années, on est livrés à nous-mêmes. Ici, les gens n’ont pas de fric pour faire des réparations dans leur appartement. Alors, si on ne connaît pas quelqu’un, rien n’est fait.

Comment as-tu pris connaissance du projet de détruire ton immeuble dans le cadre de la future opération de « renouvellement » du quartier ?

J’en ai d’abord entendu parler en m’intéressant à la rénovation de la passerelle Fournier [2]. On avait très peu d’informations, on ne savait pas ce qui allait se passer. En cherchant des renseignements, un ami a entendu dire que mon immeuble allait être démoli. Je n’y croyais pas trop, mais apparemment, cela faisait déjà des années que c’était dans les cartons. Et puis, quand la façade de notre immeuble a été ravalée, on a entendu les ouvriers qui faisaient les travaux dire : « De toute façon, ça va être démoli ». Ils tenaient ça de l’architecte. Alors la rumeur a rapidement fait le tour du quartier. Et ça a commencé à m’angoisser.

J’en ai parlé à des religieuses du quartier, qui m’ont conseillé d’aller voir une association de défense des locataires. Apparemment, cette association disposait déjà de certaines informations, mais il leur avait été demandé de ne pas en parler, pour ne pas « affoler les habitants ». Et on n’avait aucune information du bailleur ou de la mairie. Au départ, j’ai été scandalisée de voir que les associations de défense des locataires ne faisaient rien. On m’a répondu que ces associations n’avaient pas de moyens.

Peu de temps après, une membre de l’association que j’avais rencontrée m’a appris qu’une réunion d’information allait être organisée par Archétude [3]. Immédiatement, j’ai pensé qu’il fallait informer les habitants, faire des tracts, etc. Grâce au Secours Catholique, auquel j’avais fait part de mon désarroi, on a pu imprimer des tracts et des affiches, qu’on est allé distribuer dans les halls d’immeubles et les boîtes aux lettres. Et en allant déposer une affiche à l’école Marie Curie, j’ai découvert que la directrice était déjà informée de cette réunion : on n’avait rien dans nos halls d’immeubles, les habitants n’étaient pas au courant, mais il y avait une affiche à l’école ! J’étais scandalisée.

Tu as participé à cette réunion d’information ?

Oui. En fait, c’était organisé en ateliers, les participants ont été séparés en trois groupes. Finalement, une communication avait été faite dans les halls et par courrier, mais deux jours seulement avant ces ateliers. A ce moment-là, les destructions d’immeubles n’étaient évoquées qu’au conditionnel.

Comme j’ai pu le dire lors de la réunion publique qui a eu lieu quelques mois plus tard, je suis une habitante indignée. Ça me met en colère. Nous sommes victimes d’une injustice. Ce projet n’a rien à voir avec la mixité sociale. S’ils veulent de la mixité sociale, pourquoi ne pas viser d’autres quartiers de Tours ? Pourquoi ils démolissent ici, et pas à Maryse Bastié ? Pourquoi ils ne construisent pas des logements sociaux dans le quartier des Prébendes ?

Ils veulent reprendre la main sur le quartier, en commençant par ce secteur. Après, il y aura une sorte de grignotage. C’est aussi pour ça qu’ils construisent un nouvel immeuble de bureaux, alors que rien n’est fait pour la réinsertion des habitants. Ils seront pour qui, ces bureaux ? On a l’impression qu’ils font le tri parmi les objectifs de l’ANRU [4] : ils choisissent ce qui les arrange, comme les destructions, mais laissent de côté d’autres obligations.

Comment avance le projet ?

On nage en plein flou. Chacun y va de son information : les associations, la mairie, Tours Habitat, l’ANRU (qu’on ne voit jamais d’ailleurs)… Il faut être solide pour suivre ça. Ça occasionne de la frustration, de la colère, de l’inquiétude.

Certains habitants sont quand même contents, parce qu’ils vont déménager et qu’on leur promet quelque chose de mieux. Tours Habitat a assuré que ceux qui le voulaient seraient relogés dans le quartier, et qu’il y aurait un travail d’accompagnement de chaque locataire. C’est la moindre des choses. Moi, je vais exiger d’être relogée dans les mêmes conditions, parce que ce n’est pas Tours Habitat qui a fait tous les travaux d’aménagement et de modernisation de mon appartement. Mais on attend des engagements écrits, pour ne pas se faire avoir.

Comment les habitants du quartier perçoivent-ils ce projet ?

Je pensais que tout le monde s’insurgerait, se mobiliserait, que ça bougerait les foules. Mais il n’y a pas autant de monde que je voudrais aux réunions organisées par le collectif d’associations et d’habitants qui s’est mis en place. Parce que Tours Habitat est venu au pied des immeubles à plusieurs reprises pour parler aux gens, en tenant un discours rassurant. On voit des gens qui déménagent déjà, les immeubles qui vont être détruits se vident. Je pense que les locataires qui ont des problèmes d’impayés n’osent pas se mobiliser, qu’ils ont peur.

Certaines personnes déclarent qu’il faudrait tout raser, que ce quartier est une « verrue ». On se sent méprisés, on a le sentiment qu’on veut nous balayer de la carte. On a l’impression qu’ils ne veulent pas vraiment de mixité sociale, mais qu’ils veulent transformer le quartier.

C’est vrai qu’il y a du deal par endroits, que les rodéos nous empoisonnent parfois un peu la vie, mais leur solution va seulement déplacer le problème. Et s’il fallait raser des immeubles dès qu’il y a de l’insécurité, on n’en sortirait pas. Réhabiliter un quartier, ça passe aussi par de la prévention. Il faudrait donner aux habitants les moyens de vivre correctement. L’argument de la sécurité, c’est juste un prétexte.

Comment aimerais-tu voir évoluer le quartier ?

J’aimerais y voir une maison médicale, une maison des associations, des squares et des jardins réaménagés, avec des jets d’eau, des brumisateurs pour les temps de canicule, des espaces barbecue construits en dur... Que les gens ne se sentent plus méprisés, abandonnés. Que chacun retrouve une place, tout en étant ensemble.

Je voudrais que la lutte qu’on mène fasse écho chez les élus, pour qu’ils réfléchissent à mettre des choses en place pour le quartier, mais durablement. Pas juste : « Ils veulent un jet d’eau on leur met un jet d’eau et puis basta ». Qu’ils fassent vivre le quartier avec nous. Là, on sait que leur projet n’est pas mené pour les bonnes raisons. C’est pas pour nous, ce qui doit être fait. J’ai l’impression qu’ils vont se servir de l’ANRU pour faire ce qu’ils auraient toujours voulu faire depuis des années : nous virer de là.

Photos : AB

Notes

[1Le prénom a été changé.

[2Cette passerelle relie le quartier du Sanitas au quartier Velpeau en enjambant la voie ferrée ; elle a été détruite et reconstruite en 2017.

[3Le cabinet d’urbanisme qui travaille sur le projet de renouvellement urbain.

[4L’Agence nationale pour la rénovation urbaine est en charge du financement et de la mise en œuvre du programme national de rénovation urbaine. A ce sujet, lire Nouveau programme de renouvellement urbain : bientôt le bonheur ?.