Ça commence par un scooter qui tourne dans le quartier. Des policiers en uniforme et d’autres appartenant à la brigade anti-criminalité (BAC) tentent d’arrêter le conducteur, mais sont semés. Les flics tournent dans l’espoir de remettre la main dessus, sans succès.
A force de tourner, les voitures de police s’attirent les railleries d’un groupe de jeunes installés devant le laboratoire d’analyses situé face à l’arrêt de tram. Vers 16h30, les voitures de police viennent se garer à côté du labo. Les jeunes racontent :
« On était 15, ils nous ont contrôlés, fouillés. Y avait des blancs à côté qui ne se sont pas fait fouiller, c’était clairement un contrôle au faciès. C’était dimanche, les commerces étaient fermés, on embêtait personne. »
Ils sont tous alignés, les mains sur la vitrine [1]. Le contrôle se passe dans le calme, malgré les injures et les menaces dont les jeunes témoignent : « Vas-y, palpe-lui lui la bite », lance un policier à son collègue ; « Si vous vous retournez, on vous tire dessus » ; « Maintenant c’est qui les fils de putes ? On va vous la mettre ! ». L’un des jeunes, qui était au téléphone au moment du contrôle, reçoit un coup de la part d’un flic avant d’être aligné contre la vitrine. Après vérification des téléphones et palpations, les flics embarquent l’un des jeunes pour contrôle d’identité. Un autre jeune témoigne, dégoûté : « Les flics font ce qu’ils veulent, avec l’état d’urgence ils ont carte blanche, et ils savent qu’ici il n’y aura pas de rébellion ».
Pendant le contrôle, un flic fait une remarque déplacée à l’encontre de la famille D., qui vit dans le quartier. H., l’un des membres de la famille, est présent, et répond à la provocation policière. Mais les voitures de police font mine de s’en aller.
Elles ressurgissent quelques instants plus tard, sur l’avenue de l’Europe, pour tenter d’interpeller H., qui s’est rendu dans l’immeuble de ses parents. Récemment sorti de prison où il était incarcéré pour une histoire de stupéfiants, il est bien connu des policiers du coin, qui multiplient les provocations et les vexations contre lui ou les membres de sa famille, malgré ses efforts de réinsertion.
Trois flics de la BAC pénètrent dans le hall de l’immeuble où vivent les parents D. Ils frappent à la porte de l’appartement. La mère, la tante et une des sœurs de H. sont dans le hall, et demandent aux flics de ne pas casser la porte, assurant que le père va ouvrir. Mais le temps que le père, âgé de 80 ans, se lève et parvienne jusqu’à la porte depuis son lit médicalisé, les policiers avaient déjà cassé la poignée extérieure. Les coups continuent à pleuvoir sur la porte, qui se casse. La poignée intérieure vient frapper le père, qui est ensuite poussé par un policier contre un meuble.
Dans le hall, la sœur de H. est saisie au cou, projetée au sol puis menottée, après avoir répondu à l’insulte d’un flic. Sa tante, qui a voulu la secourir, est attrapée brutalement au poignet par un autre flic qui lui crie : « Ferme ta gueule, lâche-la ». La mère, âgée de 67 ans, reçoit un coup de matraque en voulant rentrer dans l’appartement pour relever son mari. Après une rapide inspection, les policiers constatent que H. n’est pas dans l’appartement.
Deux médias locaux ont évoqué l’affaire : Info-Tours et La Nouvelle République. Le premier titre « Tours Nord : un contrôle routier dégénère, plusieurs interpellations » [2], le second « TOURS-NORD Interpellations après un contrôle routier au Beffroi » [3]. Info-Tours parle d’une « interpellation musclée », euphémisme de journaliste pour qualifier des violences policières. Dans la NR, Olivier Brosset affirme que « les fonctionnaires ont été confrontés à un groupe d’excités alors qu’ils s’approchaient du Beffroi et l’un d’eux pris à partie ». Or, d’après les témoignages que nous avons recueillis, c’est plutôt les policiers qui méritent d’être qualifiés de « groupe d’excités ».
Pendant ce temps-là, à l’extérieur de l’immeuble, quelques personnes sont arrivées, ameutées par les cris de la famille D. et curieuses de comprendre les raisons de la forte présence policière. Les jeunes contrôlés un peu plus tôt ont suivi, de la place jusqu’au carrefour. Ils racontent que les policiers les ont braqués avec leurs flashballs, et ont distribué coups de matraques et gaz lacrymogène. Ils évoquent aussi une mitraillette dans les mains d’un des policiers en uniforme.
Intervention policière à Tours Nord from la rotative on Vimeo.
Un homme est frappé au visage, puis poursuivi jusque devant La Poste. Plaqué au sol, il reçoit des coups des policiers — sur la vidéo, on voit clairement un policier de la BAC porter un coup de pied dans le haut du corps de l’homme au sol [4]. Bilan : des points de suture au crâne, des hématomes sur tout le corps et deux côtes fêlées. Interpellé, il est au passage insulté, y compris avec des injures à caractère raciste, et finira en garde à vue pour outrage et rébellion... « Les policiers étaient déchaînés », assure un témoin. Le face-à-face aurait duré une vingtaine de minutes, le temps que les flics ressortent de l’immeuble des parents D, embarquant la sœur de H. qui sera également placée en garde à vue pour outrage.
Ce qui a particulièrement choqué les personnes qui ont assisté à la scène, ce n’est pas l’intervention policière en elle-même, mais les conditions dans lesquelles elle s’est déroulé. « Ce qui nous choque, c’est la manière dont ils ont exercé leur fonction. Ils auraient pu intervenir calmement », témoigne une habitante. Une autre dénonce les provocations quotidiennes des policiers à l’égard des jeunes : « Ils contrôlent leurs papiers alors qu’ils les connaissent ». L’un des agents de la BAC impliqués serait un habitué des plaintes pour outrage et rébellion, qui constituent pour certains flics une manière d’arrondir leurs fins de mois.
La famille D., choquée, a tenté de porter plainte contre les policiers. Mais a essuyé deux refus, le dimanche d’abord, et encore le lundi. Un signalement de non-prise en compte de dépôt de plainte a été adressé au procureur de la République. H. a été convoqué au commissariat.