Retour sur le rassemblement du 18 mai en mémoire de Zyed et Bouna

Une trentaine de personnes se sont rassemblées lundi 18 mai entre 19h et 20h devant le palais de justice de Tours en mémoire de Zyed et Bouna, et en solidarité avec leurs familles et proches.

Un rassemblement sous le choc du jugement rendu quelques heures auparavant par la cour d’appel de Rennes, pour les deux seuls agents mis en cause dans la mort des deux adolescents électrocutés dans le transformateur EDF où ils s’étaient réfugiés pour fuir le contrôle de la police, à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005.

Alors qu’à toutes les étapes et rebondissements de l’interminable procédure engagée par les familles endeuillées qui s’en était suivie, le ministère public avait constamment requis le non-lieu puis la relaxe, deux policiers restaient poursuivis pour non assistance à personnes en danger. Dix ans après les faits, ils ont été ce 18 mai définitivement relaxés au pénal, conformément aux ultimes réquisitions du Parquet [1].

La coordination nationale appelant à se rassembler ce jour-là dans la perspective du verdict, composée des familles et de soutiens réclamant Vérité et Justice pour Zyed et Bouna comme pour toutes les victimes mortes ou mutilées dans le cadre d’une intervention policière litigieuse, ne nourrissait aucune illusion :

« Après dix ans de batailles judiciaires et une relaxe confirmée une première fois en appel, quelque soit le verdict il ne sera jamais pleinement satisfaisant. Dans de trop nombreux cas les policiers mis en cause bénéficient d’une impunité judiciaire et sont traités comme des citoyens au-dessus des lois. »

La nouvelle de la relaxe des policiers n’en a pas été moins rudement perçue par les militant-e-s et personnes réunies à Tours, dont toutes les pensées se tournaient d’abord vers les familles depuis si longtemps affligées, à nouveau renvoyées par ce dernier terrible coup à l’impossible deuil de leurs enfants « morts pour rien » [2].

Lors de la prise de parole du collectif local « D’ailleurs Nous Sommes d’Ici » qui a clos le rassemblement, c’est cette solidarité qui a d’abord été exprimée avec émotion, avant de rappeler la nécessité d’élargir et de mener politiquement dans la durée le soutien au combat de toutes les familles touchées et mobilisées qui s’efforcent de se coordonner.

« Ce qui est arrivé à Zyed et Bouna, ce qui arrive à tant d’autres victimes, n’est pas une fatalité, ni accidentel. C’est le résultat de politiques menées par tous les gouvernements successifs depuis plus de trente ans. C’est le résultat de pratiques sécuritaires discriminatoires que dénonçaient déjà les jeunes mobilisés pour l’égalité et contre le racisme lors de la grande marche de 83. C’est le résultat de violences exercées par la police sous la responsabilité et au nom de l’État, qui par conséquent presque toujours les couvre, judiciairement. Une violence d’État obéissant trop souvent à des ressorts racistes, lorsqu’elle commence par des contrôles policiers abusifs, répétitifs, pratiqués quotidiennement au faciès, en fonction de la couleur de la peau, en fonction de l’origine ou de la religion réelles ou supposées, en fonction de l’habillement, en fonction du quartier. C’est bien cela qui a fait fuir jusqu’à les tuer Zyed et Bouna, c’est bien la peur de cette violence causant régulièrement, au-delà du harcèlement et de l’humiliation, des blessures pouvant aller jusqu’à la mutilation (avec la banalisation de l’usage de flashball) et à la mort. »

Une réponse a été faite à l’ignominie du propos de Marion Maréchal-Le Pen pour qui ce jugement prouverait qu’en 2005 « la racaille avait bien mis la banlieue à feu et à sang par plaisir », quand on pourrait plutôt voir dans ce verdict la preuve que les jeunes révoltés d’alors avaient raison de ne pas croire en « la justice de ce pays » à laquelle les familles ont toujours au contraire voulu se fier. Il a aussi été question des politiques d’immigration meurtrières, aux frontières extérieures, où s’écrasent et meurent nombre de migrants, confrontés là encore à une violence policière militarisée. Tandis qu’à l’intérieur du territoire aussi, des « frontières » séparent les centres-villes des quartiers populaires périphériques où sont relégués, parmi les plus pauvres, celles et ceux qui génération après génération, ne sont jamais tout à fait considérés ni traités comme des citoyens français à part entière. Discriminés au logement, à l’éducation, au travail, aux loisirs et pour enfoncer le clou, face à la police et à la justice.

« Nous sommes donc ici pour Zyed et Bouna, morts électrocutés dans ce transformateur il y a 10 ans ; pour leur ami Muhittin gravement blessé qui a survécu mais reste douloureusement marqué à vie ; nous sommes ici pour toutes les victimes de cette violence et de ce racisme d’État ; nous sommes ici enfin pour tous les proches, menant pour obtenir vérité et justice des luttes si éprouvantes et si souvent déçues, aussi cruellement qu’aujourd’hui. »

« Nous voulons dire à ces familles frappées par la même injustice toute notre solidarité, d’abord pour les renforcer dans leur courage d’agir, de poursuivre le combat jusqu’au bout. Et ensuite parce que l’enjeu est politique, au sens premier du terme, en ce qu’il concerne chacune et chacun d’entre nous ; en ce qu’il concerne toute la société, une société au sein de laquelle nous voulons que les choses changent radicalement, pour une égalité réelle entre toutes et tous. Notre détermination à cette fin doit être sans borne. Notre solidarité avec les familles des victimes de la violence et du racisme d’État doit être sans borne. »

En fin de rassemblement, les personnes présentes ont scandé quelques slogans : « Zyed et Bouna on n’oublie pas » ; « Police partout, justice nulle part » ; « Pas de justice pas de paix ».

A ce sujet, lire aussi : Pour Zyed et Bouna : une condamnation à nous battre, sur le blog Quartiers Libres.

P.-S.

Le collectif D’ailleurs Nous Sommes d’Ici organise régulièrement des permanences ouvertes à tou-te-s afin de poursuivre le combat sur tous les fronts de ce racisme d’État dans la durée, à travers des mobilisations comme aujourd’hui, des événements publics de sensibilisation, etc. Il est disponible pour travailler à la construction d’actions collectives comme pour accompagner toute personne souhaitant défendre individuellement ses droits face à un traitement discriminatoire. Plus d’infos sur le site du collectif : https://dnsi37.thefreecat.org

Notes

[2Chanson-clip réalisée en 2007 au profit de l’association de soutien « Au-delà Des Mots » qui aujourd’hui encore accompagne les familles.