Enseignement privé intégriste : la préfecture du Cher sonne le glas de l’Angélus

Par un arrêté en date du 2 juin 2017, le préfet du Cher a pris la décision de fermer l’Institut l’Angélus, école privée hors contrat située à Presly. Pour la préfecture, il s’agit de garantir la sécurité des élèves jusqu’aux vacances d’été. Les soupçons sont particulièrement graves : violences, dont violences sexuelles, privation de nourriture, etc. Une éducation décidément très moderne.

Trois mois plus tôt, en mars dernier, les services de l’Inspection Académique avaient saisi le procureur de la République au sujet de mauvais traitements sur mineurs dans cette école du Cher. Depuis, les premières investigations menées par la gendarmerie permettent de faire état de violences sexuelles, claques et humiliations, privation de nourriture, mise à l’isolement pendant des journées ou des nuits entières, le tout concernant une vingtaine de mineurs sur la centaine que compte l’établissement [1].

Fait inhabituel pour une telle fermeture d’établissement, l’opération s’est déroulée avec un très important dispositif policier (routes permettant d’accéder à l’école entièrement fermées à la circulation, perquisition de l’école pendant toute la journée du vendredi 2 juin 2017) avec mise en garde à vue du directeur, l’abbé Régis Spinoza (cela ne s’invente pas), pendant la durée de cette perquisition et audition d’une soixantaine d’élèves avant leur départ de l’internat. Autre signe de l’importance accordée à cette affaire sordide, le procureur de la République lui-même a tenu à faire une conférence de presse durant laquelle il a estimé que les châtiments mis en œuvre à Presly étaient « dignes du XIXème siècle » et qu’un « climat de terreur » régnait dans l’établissement ! De quoi rappeler l’affaire du Refuge.

L’institut l’Angélus se présente pourtant comme une école catholique bon teint [2]. Ouverte en 2010, elle accueillait jusqu’à présent 109 élèves [3], majoritairement des garçons, du primaire au lycée, avec un recrutement national. Fonctionnant hors contrat, c’est-à-dire sans contrôle ni financement du Ministère de l’Éducation Nationale, l’école axe sa pédagogie dans « la Tradition de la parole de l’Évangile », érigée comme « ligne de conduite ». Ce positionnement à la marge des enseignements publics et dans le respect des principes fondamentaux de l’Église place l’école dans le courant traditionaliste du catholicisme aujourd’hui.

Un institut pourtant bien béni

L’aventure de l’abbé Spinoza à Presly avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices : ancien directeur pédagogique à l’école privée catholique (intégriste) Saint-Projet de Bordeaux, école qui avait défrayé la chronique à la suite de la diffusion d’un reportage intitulé « À l’extrême droite du Père », dans le cadre de l’émission Les Infiltrés de France 2, l’abbé Spinoza était venu se mettre au vert dans la campagne berrichonne, à Presly. C’est là qu’il a donc fondé l’Angélus qui bénéficie, depuis sa création, de l’indéfectible soutien de la Fondation pour l’école d’Anne Coffinier, en raison sans doute de ses pratiques pédagogiques « innovantes » [4].

Prêtre se trémoussant et se déhanchant pour un enseignement « innovant » de la gymnastique [5]

L’installation du prêtre traditionaliste dans ce petit coin du Cher s’était pourtant faite avec la bénédiction des autorités religieuses et laïques. En effet, selon la presse catholique [6], elle avait :

« reçu un bon accueil des autorités locales (maire, sous-préfet, inspecteur académique...), contentes que L’Angélus ne soit pas transformé en grange à foin »

Le préfet de l’époque avait d’ailleurs assisté en personne à la grand-messe organisée à l’occasion de la bénédiction des locaux [7].

Fort de ces débuts encourageants, l’abbé Régis Spinoza a ensuite créé une confrérie en novembre 2013, la Fraternité Enseignante des Cœurs de Jésus et de Marie (FECJM) [8] à laquelle son école était affiliée. L’Angélus était canoniquement reconnu par le diocèse depuis juillet 2016, ce qui signifie que l’institut était considéré par l’évêque de Bourges, Monseigneur Maillard, comme répondant pleinement aux critères des écoles catholiques.

Psaume 127:3 — « Des enfants, voilà les vrais biens de famille, la récompense que donne le Seigneur ! »

Aujourd’hui la préfecture du Cher envisagerait une fermeture définitive de l’établissement.

En effet, et dans l’attente de ce que les investigations révéleront, l’Institution dans son ensemble, et l’abbé Spinoza en particulier, font face à de lourdes accusations. Le procureur de la République a notamment déclaré :

« Il ne s’agit pas d’éléments de dysfonctionnement, mais constitutifs d’infractions pénales : des mauvais traitements sur des enfants (violences, privations de repas, punitions à caractère corporel...) et des soupçons d’infractions de nature sexuelle. » [9]

Pour que l’enquête soit la plus complète possible et pour ne négliger aucune piste, le préfet avait d’ailleurs planifié l’intervention de plusieurs services de l’État conjointement à la perquisition diligentée par le procureur (les services vétérinaires ont ainsi pu constater que l’on donnait de la nourriture avariée ou périmée aux pensionnaires). De nombreux inspecteurs de l’URSSAF étaient également présents lors de la perquisition, l’école étant aussi soupçonnée de travail dissimulé et de diverses infractions financières, voire d’escroquerie. De plus le procureur a bien l’intention de s’intéresser à la SCI et aux sociétés "à but non lucratif" liées au financement de l’école : 

« Il va falloir comprendre le cheminement de l’argent payé par les familles, avec plusieurs associations à but non lucratif et une société civile immobilière propriétaire des bâtiments qui se croisent. » [10]

La réouverture de l’école en septembre 2017 apparaît donc très incertaine à ce stade de l’enquête, et la création prévue à Bourges pour la rentrée 2017 d’une « succursale » de l’école qui serait réservée aux filles pourrait aussi être fortement compromise, surtout si les deux écoles avaient l’intention de partager le même personnel [11].

De son côté, le diocèse de Bourges, par la voix de Mgr Maillard, indique dans un communiqué de presse du 3 juin prendre « connaissance des éléments révélés aux médias par le Procureur de la République et « constitutifs d’infraction pénale » reprochés au directeur de l’école, et souhaite que la justice « puisse poursuivre son travail d’enquête et son action ».

Quant à l’abbé-directeur, il dénonce dans un communiqué de presse des « calomnies » et insiste sur le fait que les « comportements de nature sexuelle » ne seraient qu’« une interprétation tendancieuse d’événements mineurs et d’une parfaite banalité au sein d’un pensionnat » [12]...

Les voix du Seigneur sont impénétrables…

Notes

[1Comme le signalent plusieurs articles de la presse régionale ou nationale, comme Le Berry républicain à plusieurs reprises, France3-régions ou encore Le Monde et l’Express.

[2Voir le site à cette adresse.

[3Chiffres de l’Éducation nationale.

[4Même si la Fondation pour l’école d’Anne Coffinier (qui détient des parts dans la La SCI « La Madone des Ruesses de l’Angélus », qui prête les locaux) reconnaît avoir depuis plusieurs années des difficultés à obtenir de l’association gestionnaire de l’école les documents légaux (comptes, procès-verbaux des assemblées générales...), son soutien n’a jamais fait défaut pour autant. Pour plus d’information, lire le rapport d’activité de la Fondation.

[5Capture d’écran extraite d’une vidéo de propagande vantant les mérites de la pédagogie « innovante » de Presly : on y voit des élèves (ayant bien appris leur leçon ?) dire tout le bien qu’ils pensent de leur école et de sa chaleureuse ambiance ; aucun ne formule la moindre critique.

[6Voir l’hebdomadaire Famille chrétienne, (dans son n°1674, du 13 au 19 février 2010, p.13).

[7Comme relaté par le Mammouth déchaîné dans une enquête consacrée aux niches fiscales des écoles catholiques.

[8Il est possible de voir ici un entretien de ce même abbé concernant les conceptions éducatives de la FECJM.

[9La presse locale en a fait de très larges échos, comme La République du Centre, Le Berry Républicain, mais aussi nationale comme Le Parisien, ou même La Croix. La presse locale et citoyenne s’en est fait aussi écho, comme le blog Gilblog où l’on apprend que les services sociaux et l’archevêché auraient su dès 2012 que les enfants ne mangeaient pas à leur faim.

[10Voir à ce sujet : Le Berry Républicain, article du 06/06/2017.

[11Voir à ce sujet : Le Berry Républicain, article du 21/03/2017.

[12D’après Le Berry Républicain, article du 06/06/2017.