Roulement à Bill, qu’est-ce que c’est ?
C’est un atelier d’autoréparation de vélos. On met à disposition un local avec des outils et des vélos dont on peut récupérer des pièces et réparer d’autres vélos, nos propres vélos, et puis fabriquer ce qu’on veut avec ça : des remorques, des vélos couchés, allongés, rehaussés…
On prête effectivement des outils et il y a des pièces qui sont à disposition mais il y a aussi, et surtout, les conseils qu’on s’apporte les uns aux autres. Quand on vient ici ce qui est important c’est qu’on ne repart pas seulement avec un vélo qui marche bien mais en plus on a appris un tas de choses. C’est ça le truc de base : on n’est pas un service. Ce n’est pas « tu lâches ton vélo à l’association et ils vont te le réparer ». L’idée c’est d’apprendre tous ensemble, de se salir les mains tous ensemble.
Roulement à Bill aujourd’hui c’est le résultat d’une démarche qui a 5 ans. Sur les vélorutions on en avait marre de voir que des gens ne venaient pas parce que leurs vélos étaient baisés, parce qu’ils n’avaient pas les outils, parce qu’ils ne savaient pas… On avait visité Le petit vélo, à Grenoble, un atelier à Angers, et un copain a dit « moi j’ai un garage, je peux vous le prêter ». C’est parti comme ça, sur un bout de trottoir, et en 2 ans c’est arrivé à ce que c’est maintenant. C’est beaucoup mieux que ce que c’était au début puisque ça ne concerne pas que des gens qui veulent faire une manifestation une fois par mois mais plein de gens différents.
Nous faisons aussi partie d’un réseau né il y a maintenant cinq ans : L’Heureux Cyclage [1]. Il s’agit de mettre en relation dans toute la France les ateliers qui recyclent des vélos et pratiquent l’échange de savoirs. Il y a cinq ans, ce réseau regroupait une vingtaine d’ateliers, nous sommes aujourd’hui une centaine. Il y a un réel besoin d’atelier de proximité dans toutes les villes et les personnes demandeuses et ayant envie de mettre la main à la pâte sont nombreuses.
Concrètement, comment ça se passe ?
Pour l’instant on est au projet 244 [2]. Il y a une permanence tous les dimanches de 14h à 18h et une autre le vendredi entre 15h30 et 18h [3]. On se finance grâce aux adhésions, qui sont à prix libres, et à des ventes de vélos retapés. On peut aussi nous faire des dons d’outils, de vélos, de pièces ou d’argent. Actuellement nous sommes environ 120 adhérents.
On apprend en regardant les autres, en demandant aux autres, qu’ils assurent les permanences ou non, et on avance petit à petit. C’est de la co-auto-formation ! De l’échange de savoirs dynamique, grâce à la pratique. On apprend des choses aux autres qui nous en apprennent de retour, et on devient de plus en plus polyvalents.
On participe aussi à des mobilisations autour du vélo, autour de la nature ou de l’environnement. On nous demande de tenir un stand, de donner un coup de main, de faire la promotion du vélo.
Donc vous vous autofinancez. Vous ne demandez pas de subventions ?
Non. Parce qu’on est libres comme ça, on fait ce qu’on veut. Peut-être qu’on demandera une subvention en nature pour un local. Mais pour l’instant pourquoi on demanderait des subventions ? On est là, certes avec peu d’outils, mais ça fonctionne dans l’esprit qu’on souhaite. Et puis le nombre d’adhérents a largement augmenté l’an dernier.
Sur ce genre d’association, les problèmes d’argent, qui impliquent de demander, de se mettre en relation avec des autorités, ne se posent pas. Parce que chaque personne amène des outils, amène son savoir-faire, vient dans l’esprit de l’association. Et c’est une démonstration qu’on peut faire de la réparation, du service, mais aussi des apprentissages sans passer par l’étape monnaie. C’est un choix politique : le choix de ne pas être plus grand ou d’avoir des outils plus sophistiqués. L’essentiel de nos besoins c’est du savoir, des coups de mains, des outils, pas du confort ou un bon emplacement.
On comprend bien que la question centrale n’est pas forcément la mécanique. Pouvez-vous me dire plus précisément pourquoi vous venez ici ?
Gaëtan : Pour certains adhérents, c’est juste trouver la bonne pièce et le bon outil pour l’installer. Pour moi c’est beaucoup les rapports humains. C’est convivial, on se retrouve tous les dimanches.
Sophie : Pour moi c’est la démonstration qu’il est possible de se mettre avec des gens inconnus, les personnes qui sont là je ne les connaissais pas avant, autour du vélo. Le vélo c’est très fédérateur parce que c’est la rue, un endroit où tout le monde se rencontre, et à un moment on a un intérêt commun : que nos bécanes marchent. Et pour qu’elles marchent il faut qu’on se rencontre, parce qu’on ne sait pas, qu’on n’a pas le matos, pas le lieu pour le faire… le premier intérêt est là. Ensuite c’est un instrument de convivialité. Le vélo, en tant qu’outil, est neutre. Ce qui permet quand les gens se croisent, se frottent, ont besoin d’outils, de sortir un peu de son quotidien, de sa bande, etc. L’effet c’est qu’au bout d’un moment des inconnus sortent de leur propre cercle et découvrent des choses. Un exemple concret c’est la lutte autour de Notre-Dame-des-Landes. Il y a très peu de lieux à Tours où des gens qui ne connaissent pas Notre-Dame-des-Landes peuvent avoir des informations sur ce qui s’y passe. Ici, incidemment, parce que des gens préparent leur vélo ici pour aller là-bas, ils en entendent parler et en discutent. Je n’aime pas quand le milieu militant est enfermé sur lui-même, ici c’est un lieu très ouvert.
Marie-Hélène : Roulement à Bill, c’est un endroit où il n’y a pas de hiérarchie, qui est mixte, qui n’est pas genré. Ce n’est pas un atelier de gars où dès que tu touches une clef ils vont se précipiter pour te la prendre des mains et dire « attends je vais te montrer, je vais faire ». Je n’aime pas spécialement bricoler mais je trouve ça hyper important parce que je suis autonome. Si je crève mon pneu en allant au taf c’est bien de savoir le réparer. C’est super important de gagner son autonomie. C’est politique parce que quand on n’a pas de thunes et qu’on dépend d’un vélociste c’est problématique, ou quand tu dépends de quelqu’un pour pouvoir te déplacer c’est vraiment galère.
Guillaume : Au début quand je venais comme simple adhérent, j’ai appris, grâce à ceux qui s’y connaissaient, à comprendre comment fonctionnaient ma bécane. Et puis petit à petit je suis devenu capable de complétement la démonter et la remonter et de ne plus dépendre de qui que ce soit, d’un vélociste ou d’un fabriquant de vélos. Maintenant je me débrouille avec cet objet et je peux en faire ce que je veux. Dans un premier temps j’ai acquis ça et maintenant ce que j’y trouve c’est le plaisir de transmettre ça.
Gaël : Une des portes d’entrées c’est quand tu te retrouves dans la rue avec une crevaison et que tu ne sais pas comment faire… Je pense que la plupart des gens viennent comme ça et se rendent compte au fur et à mesure qu’ils y prennent plaisir. Moi je viens souvent alors que je n’ai rien à faire sur mon vélo, par habitude, et j’apprécie d’y trouver des gens, d’échanger sur le vélo et plein d’autres choses. C’est une belle ouverture, avec beaucoup d’échanges.
Actuellement vous êtes au projet 244, vous allez devoir partir en mai, pouvez-vous me parler du problème du relogement ?
On va bientôt être à la rue. On a énormément de matos, il nous faut un minimum de 60m² pour nous loger. Comme on est sorti du système marchand, comme on est en dehors de problématiques très capitalistes, on a peu de revenus. Donc on ne peut pas se payer de super locaux, on n’a pas assez d’argent pour se reloger. Donc on cherche des solutions alternatives. Actuellement on paye 78€ par mois, ça rentre dans notre budget, on doit pouvoir monter à 80€…
On est ouverts à de nombreuses solutions. On a sollicité la mairie maintes et maintes fois. Chacun cherche de son côté, dans le privé… La mairie nous a proposé quelque chose de trop petit au Sanitas, 20m² sans ouverture, sans toilettes et sans point d’eau. On a quand même un minimum de conditions logistiques… Et depuis, rien.
Et l’idée d’ouvrir un lieu en squat, sachant que le contexte local n’est pas porteur pour ce genre d’initiatives ?
Ce serait un coup d’éclat. C’est une chose sur laquelle on n’est pas fermés même si ce n’est pas facile. Si jamais cela se faisait ce serait une manière de rendre visibles nos problèmes.
Ce que nous dit la mairie, c’est qu’ils n’ont rien pour les associations. Elle nous envoie vers la maison des associations qui est Place Plumereau et a priori très discrète. En tous cas ils nous disent qu’ils n’ont rien. Ils nous renvoient vers d’autres communes de l’agglomération, vers le service des commerces, pour un association loi 1901 c’est quand même pas mal ! Donc c’est une mairie qui semble bien pauvre alors qu’autour de nous, le projet 244 c’est une friche de 13 000m² avec des maisons qui sont murées depuis des années et des années. Et des lieux comme ça sur la ville, il y en a plein.
Si on n’a pas de solution convenable de relogement de nos activités, on pourrait être amenés à recourir à l’occupation de locaux en mode squat. Surtout quand on voit tous les lieux qui sont fermés, on se demande vraiment à quoi ça sert et pourquoi on nous dit qu’il n’y a pas de locaux.
Le mot de la fin ?
Roulement à Bill c’est une vraie réussite parce qu’il y a vraiment un monde très divers. Ce ne sont pas que quelques militants gauchistes qui bricolent mais il y a vraiment beaucoup de gens. Ce qui signifie qu’il y a un vrai besoin et qu’on est nombreux à vouloir faire les choses autrement. Dans le concret, il se passe quelque d’intéressant. Le recyclage, ça se fait, l’autonomie ça se fait, l’entraide ça se fait. On ne communique pas énormément mais néanmoins il y a plein de gens qui viennent par bouche à oreille. Contrairement à des stratégies d’associations plus officielles qui communiquent beaucoup pour faire très peu.